Marc Hayek mise sur la Chine

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Marc Hayek mise sur la Chine - Swatch Group
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Le Swatch Group multiplie les ouvertures de boutiques dans le marché le plus important du monde.

«Le Matin» a suivi à Shanghai les tribulations du patron de Breguet, Blancpain et Jaquet Droz.

L’importance du marché chinois justifie aisément un voyage de six jours pour Marc A.Hayek (43 ans), un horloger qui prend son temps pour mieux le vendre. A Shanghai, l’héritier du plus grand groupe horloger du monde a inauguré trois boutiques ce week-end, avant d’aller rencontrer ses employés et ses détaillants à Pékin.

Avec ses 598 m2 sur trois niveaux dissimulés derrière une façade en verre autoportante, la boutique Breguet illustre à elle seule la démesure du marché chinois et de ses 1,2 milliard d’habitants. Patron de la marque la plus huppée du groupe, Marc A. Hayek en a profité pour inaugurer officiellement les boutiques réservées à Blancpain et à Jaquet Droz, les deux autres marques qu’il dirige.

Pas moins de 180 journalistes représentant 120 publications chinoises ont assisté à ces cérémonies, en présence du consul général de Suisse, Heinrich Schellenberg. La mission de Marc A. Hayek, sur les traces de son grand-père Nicolas G. Hayek, c’est de vendre des garde-temps. Mais du temps, il en a gardé pour le donner au «Matin», présent lors de son périple.

Vincent Donzé: Marc A. Hayek, pourquoi ouvrir vos propres boutiques en Chine?
Marc A. Hayek: Vendre une marque à travers une publicité, ça ne suffit pas en Chine: il faut véhiculer un message. C’est notre but en ouvrant des boutiques qui racontent une histoire horlogère et où il ne s’agit pas seulement de changer un bracelet.

Cela justifie-t-il l’ouverture de la plus grande boutique Breguet du monde à Shanghai?
Ce n’est pas un objectif en soi, mais tout est démesuré en Chine.

Les Chinois n’achètent-ils pas leurs montres à l’étranger?
C’est le cas, oui, malgré les taxes à l’importation. En déplacement, les consommateurs chinois peuvent comparer les prix: ils ne dépensent plus leur argent sans compter.

Sont-ils sensibles à la belle mécanique horlogère?
Un Chinois apprécie la haute horlogerie plus qu’un Russe ou un Américain! A Shanghai, arborer une montre en or ne suffit pas pour prétendre à un statut social. Sa préférence va à une montre classique, produite par une manufacture.

Vraiment?
Le temps est fini où le Chinois achetait une copie par méconnaissance! Il négocie tout, mais aujourd’hui, il est prêt à payer pour de l’authentique. Le métier de l’horloger, il le connaît. Ce que demande le consommateur chinois, c’est une montre par une marque!
 



Dans ce marché, les barrières sont-elles culturelles?
En Chine, on ne signe pas un contrat un verre de blanc à la main, comme dans le canton de Vaud. Vous devez faire santé, «kampai», avec chacun des convives… Plus sérieusement, tout prend du temps et il ne faut pas brûler les étapes. Le plus important, c’est de posséder une équipe chinoise sur place, un «brand manager» qui connaît toutes les ficelles…

Il ne suffit donc pas de vouloir?
Que non! Tout se construit petit à petit, si possible en parlant chinois. On commence par vendre 15 montres, puis 16, puis 18… Le temps n’est pas compressible! Le marché est difficile à conquérir, mais il en vaut la peine.

Parlez-vous chinois?
Quelques mots, plus difficiles à acquérir qu’en japonais pour une question de logique d’alphabet. A Shanghai, 80% des gens parlent mieux l’anglais que moi le chinois, mais je m’intéresse à la culture de l’autre. Ce qui compte, c’est le respect. A l’inverse, on ne demande pas à un Chinois voyageant en Suisse de parler un dialecte alémanique…

Ce marché va-t-il exploser avec la baisse des taxes douanières?
C’est un signe très positif, mais attendons de voir si les accords de libre-échange produisent leurs effets cette année. Encore une fois, il faut savoir se monter patient avec la Chine. Tout n’est pas parfait en matière de droits humains, mais en politique comme en économie, la Chine a réalisé de gros progrès en 15 ans, par exemple dans la lutte contre la corruption. Ce n’est plus un pays qui ne fait qu’investir dans son armée…

En préparant cet accord, notre ministre de l’Economie, Johann Schneider-Ammann, travaille-t-il toujours pour le Swatch Group, après avoir siégé au conseil d’administration?
Bien sûr que non, mais il reste un ami. J’appréciais énormément ses qualités d’entrepreneur, mais nous n’avons plus guère de contact. Nul doute qu’il voit le Swatch Group comme un élément de l’économie suisse, mais qu’il œuvre pour le bien de toute l’industrie.

Qu’avez-vous emporté dans votre valise?
Un iPad et… du tabac lausannois Fred! Et bien sûr, des cravates, des costumes. Sans oublier des cartes de visite imprimées pour la première fois en version chinoise.

Pas de chocolat?
Un peu, mais nous avons surtout prévu du gruyère, le meilleur, expédié séparément.

Combien de passeports avez-vous déjà usé à force de voyager?
Beaucoup, mais je vais vous faire une confidence: j’en possède deux, en raison du temps nécessaire parfois pour obtenir un visa. C’est autorisé, à condition d’en avoir toujours un des deux sous clé.