« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. » Ainsi s'ouvre l'Évangile de saint Jean dans le Nouveau Testament, dans l'une des lignes les plus célèbres jamais écrites sur la théologie et l'épistémologie - le concept d'une puissance directrice absolue qui façonne notre monde et tout ce que nous en savons. Outre son application religieuse évidente, cette phrase constitue également une observation générale sur tous les domaines de connaissance établis, dans lesquels il existe des vérités fondamentales à accepter et à développer, mais jamais à remettre en question ou à remplacer. La haute horlogerie en est un exemple.
Lorsque j'ai commencé à écrire sur les montres, le premier journaliste horloger que j'ai rencontré m'a dit que les marques au sommet de la pyramide horlogère étaient Patek Philippe, Vacheron Constantin et Audemars Piguet, le "Big Three" de l'horlogerie. Comme c'était l'une des premières informations que je recevais sur la culture horlogère de la part de quelqu'un de plus expérimenté que moi, je l'ai prise comme parole d'évangile, sans vraiment m'interroger sur le pourquoi du comment. Ceux qui me connaissent depuis un certain temps reconnaîtront que c'est un comportement anormal de ma part. Après tout, le test décisif pour déterminer si vous parlez réellement à Suzanne Wong, la rédactrice en horlogerie, ou juste à une autre asiatique aux cheveux rouges, c'est de voir si elle pose des questions interminables sur des sujets alors que tout le monde est déjà passé à autre chose. Cependant, comme je l'ai dit, c'était au début de ma carrière. Je travaillais dans un grand conglomérat médiatique avec une culture assez rigide où il était mal vu de remettre en question les personnes plus expérimentées que soi.
Après quelques mois dans le secteur, cependant, j'ai réalisé que l'idée d'un Big Three était totalement contraire à la nature intime et détaillée de la haute horlogerie. Les montres et les philosophies horlogères de ces trois marques sont en effet exceptionnelles et peuvent être considérées comme une norme que nous admirons tous et que nous cherchons à imiter. Toutefois, le progrès est rarement linéaire ; l'évaluation de la qualité se fait sur plusieurs axes dans plusieurs dimensions. Il est impossible d'affirmer sans équivoque qu'une marque est meilleure que toutes les autres.
En fait, nous ne pouvons même pas dire si un facteur confère définitivement un avantage tangible à une marque. Une marque est-elle automatiquement plus prestigieuse ou respectable plus elle est ancienne ? Manifestement non, quand on voit le travail étonnant réalisé par des entreprises relativement jeunes comme De Bethune. Une montre est-elle automatiquement meilleure parce qu'elle possède plus de complications horlogères ? Bien sûr que non : il suffit de regarder le Chronomètre Contemporain de mon ami Rexhep Rexhepi d'Akrivia, d'une exquise beauté. Une marque est-elle supérieure aux autres simplement parce que ses montres sont plus chères ou plus connues ? Je ne pense pas avoir besoin de répondre à cette question.
J'ai parlé avec des membres de la communauté horlogère qui s'accrochent encore à des idées dépassées comme l'existence d’un Big Three. Ce sont des personnes qui ne songeraient même pas à regarder sérieusement une montre fabriquée par Louis Vuitton, Chanel ou Hermès. Ironiquement, c'est généralement une question de snobisme, car ils ne croient pas que ces géants du monde du luxe grand public aient une légitimité suffisante dans l'horlogerie. Peu importe les nombreux exemples de garde-temps réellement innovants et mécaniquement impressionnants qui sont issus de ces marques. Et puis ces types se mettent en colère lorsque vous leur apprenez que les personnes qui fabriquent les mouvements de ces marques sont les mêmes que celles qui fabriquent les mouvements de leurs marques « geek » préférées.
Cela me met sur les nerfs ; du moins jusqu'à ce que je me rappelle que moi aussi, j'avais l'habitude de croire des choses sans me demander pourquoi. S'il y a une chose que j'ai apprise de ma vie religieuse, c'est qu'une foi solide est aussi une foi qui interroge. Les choses deviennent plus fortes quand on les teste. Si elles résistent au défi, tant mieux. Si elles se brisent, vous découvrez où elles doivent être réparées et améliorées. La devise d’A. Lange & Söhne, une marque inexplicablement et injustement (et de manière exaspérante) exclue du « Big Three », est "Ne jamais rester immobile". Pour quelqu'un qui n'a pas mis les pieds dans une salle de sport ou pratiqué une activité sportive depuis l'université (je parle de moi), cette phrase est un déclencheur à bien des égards. Cependant, je suis d'accord avec elle du plus profond de mon cœur. Qui plus est, j'y crois.
