Quand Rolex devient détaillant

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La fin des vacances a été marquée par un coup de semonce dans le ciel horloger : Rolex, premier horloger mondial, reprend Bucherer, premier détaillant européen de la branche avec une centaine de points de ventes. Jusque-là, Rolex n’avait qu’une seule boutique en propre…à Genève

Vendredi 25 août, le détaillant horloger britannique Watches of Switzerland a connu une journée noire avec une chute de plus de 20% de ses actions en Bourse. Rien n’augurait pourtant un tel revers dans la mesure où les performances du groupe enregistrées depuis le début de l’année laissent présager une hausse de l’ordre de 25% sur les ventes 2023 et de près de 30% sur le bénéfice opérationnel. N’était-ce l’annonce faite par Rolex, la veille, du rachat de l’entreprise lucernoise Bucherer ! En sachant que Watches of Switzerland, qui opère 202 points de ventes au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, compte Rolex comme marque partenaire phare et en sachant que Bucherer compte de son côté une centaine de boutiques à son actif, notamment au pays de l’oncle Sam, faudra-t-il s’attendre à une guerre de titans sur sol américain ? C’est en tout cas ce que redoutaient les opérateurs en Bourse. Une crainte largement relayée parmi les détaillants nord-américains représentants de la marque Rolex qui commencent eux aussi à broyer du noir.

Lors de l’annonce du rachat, le groupe Rolex s’est évidemment voulu rassurant se disant convaincu que « cette reprise est la meilleure solution pour ses propres marques mais aussi pour l’ensemble des marques de montres et bijoux partenaires, ainsi que pour tous les employés du groupe Bucherer ». Impossible malgré tout de ne pas sentir la fébrilité qui s’est emparée des acteurs de la branche, tant la stratégie Rolex est en mesure d’avoir un impact sur toute la profession. Or jusqu’ici, la marque a la couronne s’en était tenu à un strict partage des tâches, se gardant bien d’entrer sur le marché de détail. Hormis sa boutique à Genève, Rolex n’avait jamais détenu de point de vente en propre, travaillant exclusivement avec des détaillants partenaires. Avec le rachat de Bucherer, tout va évidemment changer.

Un nouveau départ ?

Il ne fait pas de doute que cette reprise de Bucherer s’inscrit dans une perspective de stabilité des marchés. Le groupe lucernois, fondé en 1888, est un partenaire de longue de date de Rolex. C’est en effet en 1924 qu’Ernst Bucherer, représentant de la deuxième génération, concluait une alliance avec Hans Wilsdorf, fondateur de Rolex, donnant ainsi de la visibilité à une marque en pleine phase de démarrage. Depuis, les liens ne se sont jamais distendus. Pour preuve, c’est avec Bucherer que Rolex a lancé son programme portant sur ses montres certifiées de seconde main (Rolex Certified Pre-Owned). Pour Bucherer, confronté à un problème de succession, le candidat idéal à une reprise de ses activités n’était autre que Rolex, qui n’a pas fait faux bond. Question d’éviter de voir tomber Bucherer en de « mauvaises » mains et de consolider son réseau de vente.

Reste à savoir si cette reprise s’inscrit uniquement dans une stratégie défensive. Comme il est à peu près certain que le commerce en ligne n’est pas une option pour Rolex, c’est sur son réseau de points de vente physiques que la maison va continuer à construire son avenir. En ce sens, si l’entrée de Rolex sur le marché de détail était plus ou moins prévisible, le rachat de Bucherer offrait une opportunité impossible à ignorer. « On peut en effet se demander pourquoi Rolex ne donnerait pas la priorité à ses propres marques, explique Olivier R. Müller, fondateur de LuxeConsult. Maintenant que la maison en a la possibilité en disposant d’un des premiers réseaux mondiaux, cela va assurément changer la donner pour l’ensemble des détaillants horlogers. » Faut-il dans ce contexte évoquer la question des marges, comme le soulève également Olivier R. Müller ? Selon Morgan Stanley, les ventes de CHF 9,3 milliards réalisées par Rolex en 2022 représentent CHF 13,95 milliards de ventes au détail. En d’autres termes, c’est une marge de l’ordre de CH 4,65 milliards que Rolex peut prétendre intégrer partiellement dans ses comptes. Faut-il pour autant tabler sur un statu quo dans les boutiques ? Maintenant que Rolex détient une centaine de points de vente en propre mais n’est représenté que dans la moitié d’entre elles, tout comme sa marque sœur Tudor, on peut raisonnablement s’attendre à des changements. Et c’est encore sans compter le facteur « expérience client » en train de remodeler le paysage des « boutiques » horlogères qui se transforment en lounges, cocktail bars, restaurants, cinémas et autre « maisons » d’accueil. En devenant détaillant, Rolex va immanquablement rebattre les cartes du jeu horloger. A qui les atouts ?

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