Les cinq défis de l’horlogerie suisse

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5 challenges the Swiss watch industry faces - Outlook 2018
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L'instabilité géopolitique est aujourd’hui l'une des principales préoccupations de l'industrie horlogère.

Il ne reste que quelques jours avant le GPHG et Only Watch, après quoi toute notre attention se tournera vers Noël, suivi inexorablement par le SIHH et les préparatifs pour Baselworld 2018, qui promet une conclusion tumultueuse au semestre le plus chargé de l'année pour l'industrie horlogère. C’est donc probablement le bon moment aujourd’hui pour commencer d'envisager ce que l’année 2018 réserve à l’industrie horlogère.

Quentin Mayerat s’est penché sur l’étude Deloitte 2017 sur l'industrie horlogère suisse et y a trouvé cinq raisons qui font que la situation de l'horlogerie s’améliore (article à lire mercredi). J’ai décidé de mon côté de voir le verre à moitié vide et, par souci d'équilibre, j'ai analysé le même rapport sous un angle différent (en particulier compte tenu de son sous-titre «Tout est affaire de numérique») pour souligner certains des risques et des défis auxquels l'industrie est confrontée.

1) Les exportations augmentent mais la demande reste faible

L'étude Deloitte pose aux cadres de l'industrie des questions souvent fermées et, qui, au mieux, permettent plusieurs réponses. A propos des «facteurs de risques externes» auxquels fait face l'industrie, par exemple, nous ne savons pas si les personnes interrogées ont pu choisir parmi plus que les cinq options présentées dans le rapport ou si elles ont dû classer ces cinq choix par ordre d'importance. Dans tous les cas, la demande étrangère plus faible et le franc suisse fort sont en tête de liste.

2) L'incertitude politique est devenue une préoccupation

Depuis l’étude 2016, le Royaume-Uni a voté pour la sortie de l'Union européenne et Donald Trump a été élu président des États-Unis, deux événements redoutés mais considérés comme improbables jusqu'à ce qu'ils se réalisent. Aujourd’hui, cette crainte se concrétise avec chaque tweet posté et chaque délocalisation de personnel des banques installées à Londres vers un lieu qui sera encore dans l'Union européenne dans deux ans.
Pour les personnes interrogées par l'étude Deloitte, l’Allemagne est le seul pays parmi les cinq plus grands marchés d'exportation pour les montres suisses où le niveau d'incertitude politique était faible. Le niveau de confiance était extrêmement élevé, mais c'était avant qu'Angela Merkel n’obtienne une victoire électorale plutôt modeste qui l’obligera à l’avenir à négocier avec un gouvernement de coalition. L'étude place le nombre de personnes qui pensent que l’incertitude politique est faible en France et en Italie juste au-dessus de ceux qui pensent qu'elle sera élevée. Sans surprise, le manque de confiance dans les marchés américains et britanniques, suivis par la Chine, est flagrant. Cela est d'autant plus inquiétant pour l’horlogerie que ces pays représentent également ses trois premiers marchés.

3) Le défi du commerce électronique

Le choix de Deloitte d'inclure pour la première fois cette année une question sur le développement du commerce électronique et des canaux numériques est révélateur. Cette stratégie commerciale vient en tête des priorités pour 2018, avant l'expansion des marchés, la R & D et les réductions de coûts. Le fait d'avoir des revendeurs agréés en ligne et de posséder des e-boutiques monomarques a également éclipsé les magasins monomarques, autrefois considérés comme une des priorités des dirigeants de l'industrie. Il y a deux ans seulement, il existait encore un consensus au sein de l’industrie horlogère pour penser que les magasins monomarques seraient le canal de vente le plus important des cinq prochaines années. Mais pour la première fois cette année, ce sont les revendeurs agréés en ligne qui sont considérés comme le canal le plus important pour les cinq prochaines années. Cet énorme changement de mentalité obligera l'industrie à s'adapter à une toute nouvelle façon de commercer dans un délai extrêmement court.

4) Régler la balance numérique

Alors que les marques investissent massivement dans le commerce électronique, elles seraient bien inspirées de prendre en considération les habitudes de leurs clients. Selon Deloitte, une grande majorité des clients à travers le monde préfère encore acheter une montre en magasin. Ils adoptent cependant la stratégie dite «ROPO» (recherche en ligne, achat hors ligne) qui est l'exact contraire du «showrooming», qu'un autre type de clients utilise, notamment pour l'électronique, où les produits sont examinés en magasin avant d’être achetés plus tard en ligne. Les marques doivent donc s'assurer d’avoir une forte présence en ligne, à la fois via leurs propres canaux mais aussi via les principaux canaux en ligne, car c’est là que ces clients viennent chercher des informations.

Les cinq défis de l’horlogerie suisse

5) Maîtriser les réseaux sociaux

Sur l’importance des réseaux sociaux, les points de vue des marques et des clients coïncident. Ce sont eux qui ont le plus d'influence sur la décision des clients d'acheter une montre et les marques ont donc raison de les placer au sommet de leur stratégie marketing. Mais la mise en place de cette stratégie marketing est un défi en soi. Parler de cibler les "millennials", par exemple, semble démodé. Le terme couvre une génération entière, mais les réseaux sociaux permettent d’affiner considérablement la cible. Même si la détection de faux followers et de bots sur Facebook et Instagram est relativement simple (ce que l'élection présidentielle américaine a contribué à accentuer), les marques semblent encore trop se concentrer sur le volume, plutôt que sur la qualité de l'audience. Le nombre de personnes dans le monde ayant les moyens de dépenser plus de 10’000 francs suisses pour une montre est, après tout, assez limité.

PS: Méfiez-vous des fournisseurs!

Il n'y a pas si longtemps, le Swatch Group a réussi à imposer des mesures au niveau de la politique gouvernementale qui l’ont autorisée à réduire ses livraisons de mouvement à des entreprises externes au groupe. La conséquence attendue de cette mesure fut d'encourager de nombreuses autres marques à produire leurs propres mouvements ou à se tourner vers des fournisseurs alternatifs. Pourtant, ETA se trouve aujourd’hui dans cette position inconfortable d'essayer de vendre ses mouvements aux mêmes clients qu'elle voulait abandonner il y a quelques années. Cela constitue néanmoins un exemple de l'influence qu'un fournisseur fort peut exercer sur le marché. Il convient donc de garder un œil sur les activités du Groupe Acrotec, à ce jour le plus grand fabricant suisse indépendant de pièces de précision, qui a réalisé quatre acquisitions cette année, la plus importante étant sans doute Mimotec, qui produit des composants en silicium en utilisant sa technologie UV-LIGA. Les participants à l’étude Deloitte s'accordent à dire que les rachats de fournisseurs par d’autres fournisseurs représentent les acquisitions les plus probables en ce moment et qu’ils dépassent ceux de marques acquérant des fournisseurs, un nombre qui a diminué au cours des trois dernières années. C'est un signe clair que l'intégration verticale se déplace des marques vers les fournisseurs.