L'épure, c'est dur.

Image
Less is more... difficult. - Style
2 minutes read
Moins une montre est ornementale, plus elle est difficile à réaliser. Analyse d'un paradoxe élégant, sous le radar et dans l'air du temps.

En 1908, Adolph Loos publiait Ornement et Crime. Dans ce manifeste, l'architecte viennois s'élevait contre la norme académique qui consistait à orner tous les bâtiments de colonnes, sculptures, modénatures et autres artefacts qu'il jugeait inutiles. En théorisant le besoin d'épure, en mettant l'accent sur la beauté de la forme, Loos a ouvert la voie à la modernité en architecture et au-delà. Des dizaines de mouvements lui ont emboîté le pas. Minimalisme, Bauhaus, brutalisme, fonctionnalisme, le design au sens large est profondément imprégné, depuis, de la vitale nécessité d'aller à l'essentiel dans les formes. L'horlogerie n'en est pas exempte et la montre épurée est un exercice indémodable. Mais il n'a rien de simple. Car moins on en fait, mieux il faut le faire.

La montre épurée est basée sur un rejet de tout ornement. Cela commence par leur source principale : les complications. Idéalement, elle ne possède que deux aiguilles, même si une troisième pour la seconde est tolérée. Tout le reste, secteurs, guichets, compteurs, n'a pas sa place ici. Seconde nécessité : le monochrome. Et de préférence, du gris. Car avec le refus de l'ornement vient celui de l'ostentation. Les couleurs or, rose ou jaune, chaudes, sont presque trop chargées. Ce sera donc un or gris, un acier ou un platine. Il va sans dire que les boites gravées, munies de godrons, de cornes aux découpes fantaisistes sont à bannir, de même que les lunettes à texture, cannelée, crantée ou autres.

Vient enfin le cœur du sujet, la zone où se concentre l'essentiel du remplissage de l'espace montre : le cadran. Oublions les guillochés, les étampages qui en donnent l'impression. Le choix se limite à deux options : un sablage (mat et discret, mais finalement rare) et la star de l'épure ; le soleillage. Il crée un effet de lumière discret qui donne la vie dont le cadran a, malgré tout, besoin. Les tours d'heure, minuteries et chemins de fer ont intérêt à se faire discrets. Il faut cependant quelques éléments de ci de là, pour structurer l'espace. Des index, clous ou bâton, font l'affaire, surtout s'ils sont parcimonieusement répartis. A la limite, quelques chiffres arabes, mais seulement s’ils se content d'occuper les points cardinaux du cadran. Incontournable, par contre, le nom de la marque, ce qui est après tout bien logique. Par contre, la mention Swiss made semble obligatoire alors qu’elle n'apporte pas grand chose et peut aisément basculer côté fond.

Le rendu de ces montres est chic, souvent classique mais pas forcément. Là où ce style surprend, c'est par son éternelle actualité. Il n'est pas rare de voir ce type de pièces au poignet de gens bien plus jeunes que ce que l'on imagine. Et pour cause. Le minimalisme a toujours ses adeptes, et l'âge n'a rien à voir à l'affaire. Ce d'autant plus que les mouvements normcore et hipster y trouvent leur compte : celui de pièces qui en font un minimum, qui se remarquent peu mais qui ne manquent pas de substance. La mode adepte de pièces indémodables ? Quel paradoxe !