Le chronographe raconté par son cadran

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The chronograph told by its dial - History
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Le chronographe moderne, avec ses deux compteurs, semble avoir toujours été là. Ce serait oublier les multiples transformations de son cadran, au travers desquelles se lit son histoire.

C’est la maladie du chronographe : l’évoquer pour sa technique, sa fréquence, ses matériaux...mais si rarement pour son cadran. Comme si, instrument de précision, on ne pouvait lui prêter de visée artistique. Grave erreur : l’histoire du chronographe ne se résume pas qu’à une somme de données techniques. Son histoire se lit aussi sur son visage, son cadran. Oui, le chronographe est une montre comme les autres ! Ou presque.

Chronographe ou chronomètre ?
Aujourd’hui, l’affirmation semble évidente. Cela n’a pas toujours été le cas : le chronographe ne s’est pas tout de suite porté, ni appelé de la sorte. L’invention de Nicolas Rieussec (1821) portait pourtant bien son nom : « chrono-graphe », elle, déposait littéralement une goutte d’encre sur un cadran de manière à visualiser le temps écoulé.

Mais aujourd’hui, le chronomètre occupe à ses côtés une place de choix. Quelle différence ? La précision du chronomètre est garantie par une certification indépendante. Cette certification est le plus souvent donnée par le COSC, Contrôle Officiel Suisse des Chronomètres. D’autres institutions, à l’instar des observatoires, peuvent également l’attribuer, sous réserve que soient respectés les mêmes critères de tests.

Le cadran, livre ouvert d’une histoire de précision
Le cadran du chronographe s’est dessiné suivant deux contraintes : ses fonctions et l’espace qu’on leur donnait pour s’exprimer. Aussi, lorsque les montres de poche ou bracelet n’existaient pas encore, de larges coffrets en bois permettaient de s’offrir le luxe d’avoir un cadran pour chaque fonction. Quand Louis Frédéric Perrelet obtient ainsi en 1828 le brevet de chronographe à rattrapante, les deux aiguilles de mesure sont dissociées, chacune sur leur cadran !

Progressivement, les conditions d’utilisation des chronographes évoluent. L’on passe de la confortable  tribune du champ de course au médecin de ville, au juge-arbitre, bref : à des hommes de terrain. En d’autres termes, le chronographe se démocratise. Pour l’avoir sur soi, il faut donc quitter le coffret en bois et offrir un format proche de la montre de gousset : le chronographe de poche. Certains pionniers, comme Louis Moinet en 1816 (inventeur du chronographe) avaient anticipé ce format avec 50 ans d’avance. Toutefois, il s’agissait-là d’instruments d’exception réservés à une élite, le plus souvent composée d’astronomes.

L’avènement du chronographe de poche
De grands capitaines d’industrie, tel Léon Breitling, vont s’engouffrer dans la brèche. Le chronographe devient le compagnon de route de multiples activités pour lesquelles il sera à chaque fois adapté. L’on voit ainsi apparaître les chronos pour courses d’automobiles, de chevaux, de vélos, etc. A Villeret, les frères Robert se font une spécialité de ces mouvements de précision. Ils deviendront Mercure, puis Minerva. Quelques kilomètres plus haut, à Saint-Imier, une autre maison marque le destin de la chronographie : Longines. Toutes garderont le format rond, avec deux aiguilles centrales sur fond blanc. La différence esthétique du chronographe, avec cette époque, se fait sur son échelle ou la décoration de son fond.

 

La référence 5951 de Patek Philippe, un chronographe à QP tel que la manufacture en a fait l’une de ses spécialités.


Un instrument pour professionnels
Au-delà de la mesure de ces activités, sportives pour la plupart, le chronographe se découvre une vocation professionnelle. Ball Watch avait initié le mouvement avec ses garde-temps pour contrôleurs ferroviaires. Vacheron Constantin et Blancpain produiront également plusieurs modèles à destination des médecins, les fameux ‘pulsomètres’, mesurant les pulsations cardiaques de leurs patients.

 

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Le visage du chronographe change en conséquence : il ne mesure plus un temps écoulé, mais une fréquence. Apparaissent ainsi les « bases » sur les cadrans, que reprendront les télémètres et, plus tard, les tachymètres. La vocation militaire de certains chronographes conduira même au développement de cadrans pourvus d’échelles pour faciliter la lecture de cartes d’état-major !

Devenant de plus en plus précis, les chronographes s’enrichissent ensuite de cadrans totalisant les 30 minutes, 12 voire 24 heures. Cette démultiplication d’informations ne posait aucun problème dans le large espace offert par une montre de poche. L’apparition de la montre-bracelet allait changer la donne.

Mécanique de poignet
L’avènement du chronographe de poignet, dans les années 1930, marque un revirement : ce n’est plus la fonction qui dessine le cadran, mais ses capacités techniques. En d’autres termes, le mouvement dicte l’esthétique. Le Valjoux 23, mastodonte de 13 lignes d’un entre-deux-guerres où la discrétion était de rigueur, impose un cadran XL qui montre combien les habitudes du gousset sont encore présentes.

A partir des années 40, l’ère de la complication s’ouvre au poignet. C’est un calibre Angelus, le ChronoDato, prisé des collectionneurs, qui incarne mieux qu’aucun autre l’association d’un chronographe avec un calendrier. Le Valjoux 88 prendra sa suite en y ajoutant la phase de Lune.

Un chrono, deux écoles
Dès lors, deux écoles esthétiques vont s’affronter : celles des ‘purs’ chronographes et celles des chronographes complétés de complications.
La première trouve rapidement ses marques : les bi-compax et tri-compax, pourvus de deux ou trois compteurs. 3h, 6h et 9h sont les places qui leurs sont attribuées. Cette disposition est encore en vigueur aujourd’hui.

L’esthétique du chronographe n’aurait-elle donc pas changé en 70 ans ? Très peu, à de rares exceptions près : les mouvements chronométriques de forme. Landeron en fut l’apôtre, implanté dans certains prototypes Movado notamment, devenus rarissimes. Invicta s’essaya à l’exercice dans les années 40. Une Reverso Duoface en reste l’exemple le plus contemporain.

Les chronographes à complications ont quant à eux développé une esthétique très particulière, devant condenser plus d’informations dans le même espace. Le chronographe à calendrier est le cas le plus fréquent. Zenith a par exemple développé son Espada très rapidement après la sortie de son calibre El Primero, y ajoutant ce calendrier. Angelus changera plus tard la donne en offrant la première date digitale ajoutée au chronographe, avec le ChronoDatoLuxe, que suivra A. Lange & Söhne avec sa Datograph. Patek Philippe fit plus tard des chronographes QP sa marque de fabrique. La maison l’a encore prouvé en 2014 avec sa référence 5951.

 

 

Doit-on attendre l’avènement d’une nouvelle ère, où le cadran du chronographe mécanique se complètera d’indications...électroniques ? La montre hybride, cœur mécanique, mouvement à quartz, existe déjà, le plus souvent à usage professionnel. Depuis sont arrivées les montres connectées. Elles pourraient bien donner un nouveau visage au cadran du chronographe.

 

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