Le contre-emploi et la Bell & Ross BR 03-92 Diver

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Cast against type and the Bell & Ross BR 03-92 Diver - Why not...?
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Bien que risqué, le contre-emploi peut se révéler payant.

Selon le Larousse, le contre-emploi est un « type de rôle ne correspondant ni au physique ni aux dispositions naturelles d’un comédien ». Risqué, le contre-emploi peut aussi payer.

Combien d’actrices et d’acteurs doivent leurs succès aux Oscars ou aux Golden Globes à une performance en total décalage avec leur image, ou leur nature ? L’histoire du théâtre et du cinéma est jalonnée de ces surprises artistiques, qui poussent chacun à se remettre en question et à se dire « je ne pensais pas qu’il ou elle pourrait incarner aussi bien ce personnage ».

On pense à Tom Hanks dans Philadelphia, Coluche dans Tchao Pantin, Steve Carell dans Little Miss Sunshine, Josiane Balasko dans Trop Belle pour Toi ou même Arnie [ndlr : Arnold Schwarzenegger] dans Un flic à la maternelle, ou Sly [ndlr : Sylvester Stallone] dans Cop Land.

Au-delà de la performance, le contre-emploi est aussi un risque. Car mal dosé, ou mal mesuré, un casting peut aussi s’avérer dramatique, ridicule et « plomber » un(e) acteur(trice). Il n’y a donc pas de contre-emploi sans prise de risque.

Pour réussir, il faut surprendre, parfois changer d’apparence, mais surtout travailler beaucoup. Il faut aussi se sentir inspiré – voire possédé – par le rôle. Le contre-emploi n’est pas qu’un travail, c’est une remise en cause personnelle qui pousse à sortir d’une zone de confort pour s’essayer à autre chose.

De manière plus large, le contre-emploi peut s’appliquer à d’autres domaines. Il s’agit en fait de la capacité à surprendre en repensant des codes ou en remettant en cause des a priori solides.

Un exemple : l’automobile et l’image du diesel, carburant « lent » et qui « pue » ! Partant de là, aucune voiture de compétition ne pourra donc jamais s’imposer en course avec un moteur qui fonctionne au gazole. C’est Audi et Peugeot qui s’y essaieront et tenteront alors une forme de contre-emploi technologique, et Audi de gagner finalement les prestigieuses 24 Heures du Mans en 2006. Toujours dans l’automobile, je pense également à la Porsche 959 de 1989, qui remporta le Paris-Dakar. Pouvait-on imaginer à l’époque, une Porsche aux lignes proches d’une grande routière s’imposer sur les chemins africains ?

Comme le contre-emploi est la rencontre entre l’imagination, la prise de risques et la lutte contre les a priori, tous les secteurs peuvent s’y aventurer. Comment cette forme artistique se transfère-t-elle alors en horlogerie ?

Une montre, c’est la rencontre entre un style et une fonctionnalité. Qui dit style, dit donc perception et goût. Qui dit fonction, pense capacités techniques. C’est de la rencontre de ces deux éléments que naissent certains a priori. Un exemple ? Une montre de plongée doit être ronde, alors qu’une montre habillée doit être carrée ou rectangulaire.

Si l’on pense montre habillée, c’est la Jaeger-LeCoultre Reverso ou la Tank de Cartier qui viennent immédiatement à l’esprit. Par contre, pour une plongeuse, c’est la Rolex Sub, l’Omega Seamaster ou la Blancpain Fifty Fathoms. Toutes rondes. Ces marqueurs stylistiques restent dans les esprits et s’imposent aux futurs acquéreurs. L’a priori est ainsi né.

Mais les montres de plongée ont-elles toujours été rondes ?

Nous voici donc en 1926, date à laquelle Rolex invente la première montre étanche. Entendons-nous bien sur les mots. Nous parlons ici d’une pièce qui résiste à l’eau, mais aussi à la poussière. Le boîtier est donc scellé et hérite du nom désormais célèbre d’Oyster. C’est en 1927 que Rolex passe de la théorie à la pratique et apporte une preuve indéniable de l’étanchéité de son Oyster. Mercedes Gleitze se lance dans la traversée de la Manche avec la Rolex à son poignet. Après 10 heures, lorsqu’elle termine son aventure, la montre n’a pas pris l’eau.

Si nous regardons le design de cette première montre étanche, nous remarquons que, si le cadran est bien rond, la boîte ne l’est pas exactement. Elle est plutôt de forme coussin, que l’on retrouvera plus tard dans les Panerai militaires de 1940.

Mais cette Rolex Oyster est-elle pour autant la première montre de plongée ? Pas vraiment… car si elle résiste bien à l’eau, elle n’a pas été testée en profondeur. C’est une montre de natation. D’ailleurs, à une époque où la plongée n’existe pas encore, quel serait le bénéfice de tester la résistance d’une montre à la pression ? Aucun, sauf à marquer les esprits.

C’est pourtant ce que fera Omega en 1932, 5 ans après la traversée de Mercedes Gleitze. Cette année-là, la marque de Bienne lance sa Marine et décide de tester sa résistance à la pression de l’eau en la plongeant dans le Lac Léman. Elle descendra jusqu’à 70 mètres. Et vous savez quoi ? La Marine est une montre – presque – carrée ! Il est donc particulièrement amusant de voir que la première plongeuse n’est ni ronde, ni issue de la mer, mais d’un lac !

Alors, comment Omega a-t-elle pu réussir cet exploit, sachant que l’étanchéité nécessite normalement des joints qui résistent à la pression et que tout angle crée un point faible ? Le choix technique sera particulièrement innovant – voire unique. Omega crée un boîtier carré qui s’intègre dans un autre boîtier étanche rectangulaire. Il s’agit donc d’une sorte de double caisson. La montre sera rééditée en 2007 par Omega dans sa série Museum et je regrette qu’elle n’ait pas bénéficié de plus d’exposition.

La première plongeuse n’avait donc rien à voir avec l’image que l’on se fait actuellement des montres qui affrontent les grandes profondeurs ! Mais qu’en est-il de la suite ?

Après l’Oyster et la Marine, les nouvelles plongeuses s’arrondirent lentement, comme si elles subissaient une évolution naturelle. L’Oyster devint ronde. Et si Omega continua sa Marine, elle lança aussi ses Seamaster de plongée, confirmant la tendance. De nombreuses marques suivirent la direction et nous oubliâmes le passé… Peu de marques s’essayèrent à des designs qui sortaient des sentiers battus. Il faut cependant citer Jenny avec sa Caribbean 1500, dotée d’un boîtier « presque » carré, ou encore Omega avec la très inhabituelle Seamaster Ploprof.

Mais hormis ces tentatives, les plongeuses restaient majoritairement rondes, jusqu’à récemment. C’est justement ce qui est très intéressant avec Bell & Ross et sa BR 03-92.

Pourquoi Bell & Ross ?

J’ai une affection particulière pour Bell & Ross. Il y a très longtemps, je vivais dans le XVIème arrondissement de Paris et j’allais régulièrement prendre un petit-déjeuner dans une des brasseries de la Porte de Saint-Cloud. Je remarquais parfois quelques jeunes cadres attablés qui portaient des chronos très sympas. Un jour, j’ai demandé à l’un d’eux d’où venait sa montre et c’est comme ça que j’ai découvert le nom de Bell & Ross. Nous étions, si je me souviens bien, en 1994 ou 1995.

Le contre-emploi et la Bell & Ross BR 03-92 Diver

La marque française est une très belle réussite. Elle a habilement géré sa croissance, partant d’un partenariat avec Sinn, pour finalement commercialiser ses propres créations. Et pas n’importe lesquelles ! On a bien sûr tous à l’esprit la fameuse BR 03 carrée, déclinée en de multiples versions. Mais il y a aussi les pièces d’inspiration vintage (les modèles WW1 et WW2) et celles qui accompagnent de nombreuses aventures, sur mer, sur terre (notamment grâce à un partenariat avec Renault F1 et les montres RS 18) et dans les airs.

Le contre-emploi et la Bell & Ross BR 03-92 Diver

Elle a récemment défrayé la chronique – à son insu – lorsqu’Alexandre Benalla [ndlr : un ancien membre de la garde rapprochée du président français Emmanuel Macron], alors auditionné par les parlementaires – portait à son poignet une Bell & Ross réservée au service de protection du Premier ministre...

Le contre-emploi et la Bell & Ross BR 03-92 Diver

Preuve, s’il en est, que la marque a grandi, elle s’essaye aussi à des modèles plus extrêmes – mais aussi plus décalés, tels que des tourbillons en saphir (les BR-X1 Tourbillon et la surprenante BR-X2), les fameuses Bell & Ross Skulls – dont la dernière fort amusante BR 01 Laughing Skull – ou sa série de montres reprenant les instruments de bord, dont ma préférée reste la BR 01 Red Radar.

Le contre-emploi et la Bell & Ross BR 03-92 Diver

Bref, Bell & Ross grandit et surprend. C’est pour cela que, lorsque la marque a décidé de relancer une plongeuse, on s’attendait à une surprise. Ce fut donc un exercice de contre-emploi avec la première montre de plongée – vraiment – carrée de l’histoire.

Le contre-emploi et la Bell & Ross BR 03-92 Diver

La Bell & Ross BR 03-92 Diver : la quadrature du cercle

Il est facile de résumer ce que nous offre la série des trois Bell & Ross Diver. Une première montre carrée, étanche à 300 m. La Diver se décline en un modèle noir avec une aiguille orange, un bleu avec une aiguille jaune, et un autre en bronze, proposé en série limitée de 999 exemplaires. Chaque pièce reprend le design qui a fait le succès des BR 03 : un boîtier carré, quatre vis, une date située entre 4 et 5 heures et une découpe de bracelet propre à la marque. Le tout dans une taille contenue de 42 mm. La Diver est animée par un solide mouvement Sellita, qui reste standard dans l’offre Bell & Ross.

Le contre-emploi et la Bell & Ross BR 03-92 Diver

Alors, en quoi cette BR 03-92 se distingue-t-elle de ses consœurs ?

D’abord, elle est équipée d’une lunette de plongée qui a la particularité d’être assez fine. Ici, pas de céramique, mais un insert en aluminium. Beaucoup préfèrent la céramique, mais je reste un amateur de l’aluminium, qui « vit » avec la montre, se marque, mais contribue à lui donner du caractère.

Les chiffres propres aux BR 03-92 disparaissent au profit d’indicateurs horaires ronds ou rectangulaires. La forme des aiguilles a aussi été revue. Elles sont étrangement plus fines que les modèles « réguliers », mais semblent traitées avec un traitement en Super-LumiNova plus puissant.

Le contre-emploi et la Bell & Ross BR 03-92 Diver

Un autre élément qui différencie la BR Diver est la présence d’un rehaut interne relativement épais. Alors que sur le modèle classique, le rehaut est droit et quasi invisible, il est très présent sur la Diver et les indicateurs des secondes y sont gravés. Cela contribue à réduire la taille du cadran et donne un aspect plus trapu à la montre.

Autre différence visible, notre Bell & Ross BR 03-92 Diver est équipée d’un protège-couronne sur lequel figure l’inscription « LOCK » et une flèche indiquant dans quel sens il faut tourner la couronne pour s’assurer de l’étanchéité. Il faut également noter que la couronne est plus imposante que sur les modèles classiques et est recouverte de caoutchouc, facilitant ainsi la préhension.

Le contre-emploi et la Bell & Ross BR 03-92 Diver

Le fond de la montre reste dans le style Bell & Ross : plat avec quelques indications comme le modèle, sa référence et la mention de quelques éléments techniques.

Le bracelet reste en caoutchouc, mais les deux lettres BR se font plus discrètes. La boucle reste simple et facile à manipuler.

Le contre-emploi et la Bell & Ross BR 03-92 Diver

Comme évoqué plus haut, la Diver existe en trois versions : noire, bleue et bronze.

Le modèle en bronze est particulièrement attachant. Hormis son matériau, il se distingue des deux autres Diver par un bracelet en cuir gras de toute beauté, des index entourés d’or rose et une lunette entièrement en bronze. Il reste mon préféré dans la gamme Diver, mais j’avoue avoir aussi un faible pour la version bleue.

Le contre-emploi et la Bell & Ross BR 03-92 Diver

Qu’en pense l’avocat du diable ?

Défendre le diable est en quelque sorte un rôle à contre-emploi, donc l’avocat du diable éprouve une certaine sympathie pour cette Bell & Ross. Il lui reproche cependant quelques petits details.

D’abord – et toujours – pourquoi donc affubler le cadran du mot « Automatic » ? Cela alourdit l’ensemble, surtout lorsque l’on sait que le cadran de la Diver a une ouverture moindre que les autres modèles. Donc moins serait mieux et il faudrait éviter d’afficher trop d’informations sur ce cadran réduit. Même remarque pour la couronne et son « LOCK », à mon sens non nécessaire. 

Enfin, même si j’apprécie beaucoup la façon dont le bracelet est intégré à la montre, les vis Hex restent un choix qui rend le changement un peu trop compliqué, car elles requièrent de posséder un tournevis Allen. 

Comment porter la Bell & Ross BR 03-92 Diver avec un style à contre-emploi ?

Plusieurs idées me viennent à l’esprit quant au meilleur style pour porter cette Diver carrée. Comme c’est une montre très sportive, pourquoi ne pas oser le smoking et faire réaliser un bracelet en tissu noir ? Non, là je pense que l’on va trop loin !

Par contre, rien n’empêche d’opter pour un cuir de chameau ou de veau étanche.

Une fois votre plongeuse ainsi parée, pensons à la meilleure tenue.

Plusieurs vêtements peuvent créer cette impression de décalage. Pensons d’abord au pantalon. Je verrais bien un modèle de chez Brunello Cucinelli qui propose une originale combinaison entre un pantalon à pinces et une fermeture laçage, similaire à celle des « jogger ». En plus, cette version est en laine bleu marine avec des fines rayures tennis. Amusante et originale.

En haut, essayons un tee-shirt blanc de chez Violent Gentlemen de Anaheim (Californie) et pour accentuer le look inhabituel, osons le sweat à capuche – mais en laine ou cachemire (Gant). Après – comme le temps se rafraîchit – essayons un autre « classique » du contre-emploi, le blazer style doudoune, avec une préférence pour ceux de chez Hackett.

Pour finir, il ne reste plus que les souliers et seul un modèle sport adapté à la ville sera en phase avec notre thème du jour. Il faudra alors regarder du côté de chez Berluti et les – extrêmes –  New Ultima, chez Bally avec ses bottes de montagne Chack ou les amusants sneakers en tweed de Zonkey Boot.

Maintenant, vous voici prêts à affronter les premiers frimas de l’automne et peut-être les premières balades en montagne.

Loin de la mer…

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