La saleté et la Montblanc 1858 Automatic Chronograph Bronze

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Dirtiness and the Montblanc 1858 Automatic Chronograph Bronze - Why not...?
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Notre collectionneur local propose une ode inhabituelle à la saleté.

Je vois déjà les rictus d’inquiétude. Parler de saleté et de montres s’annonce difficile et probablement que les commentaires sur cette Montblanc ne seront pas très élogieux… Détrompez-vous, et s’il vous plait, continuez à lire ce « Et pourquoi pas... ? ».

Le thème de la saleté et de la détérioration est particulièrement en phase avec notre époque. De nos jours, ce qui est sale est mal. D’ailleurs, n’en a-t-il pas toujours été ainsi ? Certainement, mais avec les progrès de la société, nous essayons de repousser les limites et de vivre dans un monde qui lave « encore plus blanc ». La pureté est partout, et la chasse aux microbes et aux parasites bat son plein. Au point que – dans certains pays – nous sommes de moins en moins protégés des « saletés » et certaines maladies oubliées reviennent sur le devant de la scène.

De l’autre côté, la saleté se développe. Pollution, particules, nuages nauséabonds se généralisent. On lutte contre, parfois avec des – petits – succès, mais l’avenir semble noir comme un poumon plein de charbon. La planète souffre, se rebiffe, mais nous continuons à la salir.

Donc, nous naviguons entre une extrême propreté et une absolue saleté…

Mais quel est donc le rapport avec les montres et l’horlogerie ?

En y regardant de plus près, l’horlogerie est aussi à la recherche de cette immaculée perfection. Un exemple ? Les marques généralisent aujourd’hui les lunettes de plongeuses faites en céramique. Pourquoi ? Parce qu’elles ne s’altèreront pas avec le temps et resteront « pareilles à ce qu’elles étaient au premier jour ». Ni le temps, ni l’environnement ne pourront plus les souiller, et pour beaucoup, c’est une bonne nouvelle.

Un autre exemple se trouve dans la construction des boîtiers. Que ce soit Seiko avec le traitement Diashield, ou Sinn avec le Tegiment, nombreuses sont les marques qui essaient de rendre leurs pièces propres et nettes maintenant et pour le futur. Ces aciers résistent aux chocs et à toutes les blessures quotidiennes. Encore une fois, ils resteront propres comme un sou neuf !

Les nouveaux matériaux entrent aussi en jeu, soit pour leur innovation stylistique, soit pour leur solidité et leur stabilité. La céramique se casse, mais ne se raye pas. On préfère donc le risque du dommage ultime (renseignez-vous sur le prix de remplacement d’un boîtier en céramique), à celui de la petite rayure qui fait sale.

Et sur les blogs horlogers, nombreux sont ceux qui parlent de leur TOC [ndlr : Trouble obsessionnel compulsif] relatif aux « scratches », petits chocs et minuscules rayures qui risquent de remettre en cause la pureté de leurs précieux garde-temps !

Je pourrais continuer longtemps, rajouter les bracelets en caoutchouc qui ne changent jamais ou même citer ceux qui achètent des montres mais ne les portent pas par peur de les « abîmer ».  Mais maintenant, il est temps de passer du côté sale de la force, là où l’imperfection, la saleté ou les taches sont synonymes de beauté…

Tout est arrivé grâce à l’usure du temps. La passion grandissante pour le vintage s’est rapidement imposée et les montres anciennes sont revenues à la mode.

Quand on aime l’ancien et que l’on chine dans les friperies ou les marchés aux puces, on ne peut que respecter les marques d’usure, les taches, les déchirures et toute forme de référence au passé. Au lieu d’être repoussées, elles sont recherchées, au point de devenir un graal et de faire exploser la valeur de certaines pièces.

La nouvelle peinture de votre appartement se craquelle… Quelle horreur ! C’est moche, repoussant, sale et il faut vite y remédier. Mais sur le cadran d’une Rolex Sub, on va appeler ça un « spider dial » et votre vieux garde-temps prend soudain encore plus de valeur.

Une tache d’humidité dans votre cuisine. Elle s’étend, prend une couleur marron pas jolie jolie. Le plombier intervient, la saleté est vaincue ! Ouf. Mais sur une Seiko Lord Marvel de juin 1968, ce cadran bruni par l’humidité, qui présente une couleur légèrement beige avec quelques petites taches, est une vraie beauté.

Votre parquet se gondole à cause du soleil. Vos vêtements perdent de leur couleur et vos rideaux pâlissent. Le soleil c’est mal et ça peut aussi salir… mais une Omega Speedmaster qui verra son cadran noir changer de couleur une fois exposé longuement au soleil deviendra une « chocolate dial » fort recherchée des collectionneurs. Comme quoi, même la mauvaise qualité peut devenir un atout.

Pour finir, je pourrais aussi parler des boîtiers et de la quête ultime pour des montres qui n’ont jamais été polies. Leur boîtier reste marqué par les affres du temps et chaque impureté raconte une histoire. C’est pour cela qu’ils plaisent autant.

Donc le monde des amateurs est divisé entre les « propres » et les « sales », et ce n’est pas grave.

Mais certaines montres ont choisi leur camp et le revendiquent fièrement parce qu’elles sont en bronze.

La tendance des boîtiers en bronze s’est vraiment accélérée avec Panerai et sa première Bronzo. Avant, il y avait eu Genta et sa Gefica, voire même les premières tentatives de Panerai Pré-Vendôme ou les Anonimo. Mais la Bronzo lancera la mode.

En offrant un boîtier qui se patine avec le temps, Panerai a osé faire de la « saleté » une valeur. Pourquoi donc utiliser ce mot a connotation si négative ? Tout simplement parce que c’est comme cela que ma femme décrit mes montres en bronze. Elles sont sales…

Le collectionneur parlera de patine et certains chercheront à atteindre la patine ultime, verte, rouge, granuleuse, agressive. Ces tentatives choqueront les tenants de la propreté, mais raviront les courageux « bronzophiles ».

Après Anonimo, Genta et Panerai, beaucoup de marques ont suivi le chemin tracé (IWC, Tudor, Oris, Ennebi, ou même récemment Hublot). Les alliages de bronze ont évolué, certains vieillissant avec des tons bruns, verts, voire orange ou même rouges.

Mais quelle que soit leur patine, le charme reste intact. Avec son chronographe 1858, Montblanc fait une entrée remarquée dans le club des « dirty watches » !

Pourquoi Montblanc ?

Je n’ai jamais été un grand fan des montres de la marque allemande.

Leurs stylos, par contre, sont des monuments pour qui aime l’écriture. Je me rappelle encore mon premier Meisterstück, acheté après un stage d’étudiant. Je l’ai toujours. Par la suite, j’ai rajouté à ma collection un Hemingway, un Lorenzo de Medici et un Alexandre Dumas.

Pour les montres, je pense que toute marque doit apprendre, échouer et enfin s’affirmer.

La saleté et la Montblanc 1858 Automatic Chronograph Bronze

C’est ce que Montblanc a fait. Aujourd’hui, je vois une marque devenue crédible, intéressante et même attirante. Je me surprends à apprécier autant certaines de leurs créations. Pour moi, les modèles Rieussec ont servi de déclencheur et ont permis à Montblanc de se défaire de l’image d’une « marque de stylo qui fait des montres ». Petit à petit, les designers et les horlogers ont su faire évoluer les collections, pour atteindre une vraie maturité avec les 1858, mais aussi les récentes TimeWalker.

La saleté et la Montblanc 1858 Automatic Chronograph Bronze

Aujourd’hui, le catalogue Montblanc regorge de belles montres. Les versions « Minerva » sont tout simplement exceptionnelles et trop rares à mon sens. Avec une telle force de frappe marketing et industrielle, je rêverais de voir les mouvements Minerva revenir dans plus de montres et plus de configurations. Le chronographe mono-poussoir de 2018 est une des plus belles surprises de l’année, et je ne me lasse pas d’admirer sa couleur verte si inhabituelle et son mouvement qui laisse sans voix.

La saleté et la Montblanc 1858 Automatic Chronograph Bronze

Mais aujourd’hui, parlons d’une autre nouveauté de 2018 et d’un des chronographes les plus sympathiques actuellement proposés sur le marché des montres, le joli – mais potentiellement sale – 1858 en bronze.

La Montblanc 1858 Automatic Chronograph Bronze : « dirty little beauty »

La ligne 1858 de Montblanc reprend les codes des anciennes Minerva (qui appartient désormais à Montblanc) et y rajoute un grain de modernité, voire d’innovation (par exemple, la surprenante 1858 Geosphere). On y retrouve probablement les plus belles créations de la marque, avec notamment les très exclusives versions équipées de calibres Minerva.

La saleté et la Montblanc 1858 Automatic Chronograph Bronze

Mais au début de l’année, Montblanc a présenté entre autres un superbe chronographe fortement inspiré des anciennes productions de Minerva, comme le rare chronographe de 1940 réf. 1335 -710230 équipé du calibre 13-20CH.

Proposée en deux versions, acier et bronze, cette montre de 42 mm aligne les réussites. D’abord, sa forme très classique, aux proportions presque idéales. Ensuite, le choix d’un chronographe bicompax qui renforce le côté vintage, mais aussi la simplicité du cadran. Et pour continuer, des index « chiffres » qui la rendent plus sportive.

Il faudrait aussi rajouter la présence d’aiguilles de type « pilote », identiques à celles présentes sur certaines versions des modèles 1335, et du nouveau logo Montblanc, parfaitement en phase avec l’esprit de la collection 1858.

Pour terminer en apothéose, la version acier est offerte sur un bracelet NATO d’excellente qualité ou sur un cuir délicieusement vintage.

La saleté et la Montblanc 1858 Automatic Chronograph Bronze

Bref, nous sommes en présence de ce qui est probablement l’un des meilleurs chronographes actuellement disponibles.

Comme si cela ne suffisait pas, Montblanc a décidé de proposer ce chronographe 1858 dans une version bronze qui se distingue de sa consœur en acier par deux éléments. Il y a bien sûr le boîtier en bronze qui se patinera avec le temps. Nul ne sait ce que donnera cette patine, mais une chose est certaine, vous serez surpris par son aspect final. Le bronze peut se « salir » rapidement, avoir des taches de couleurs différentes et montrer quelques traces vertes au niveau de la lunette ou sur les cornes. Mais il pourra aussi tourner vers un rouge marron plus rare et souvent obtenu par l’usage d’accélérateur de patine (sulfure, œuf, voire … urine). D’autres possibilités restent le marron mat, le vert (comme sur les anciens monuments et statues), ou des « grains » multicolores…

La saleté et la Montblanc 1858 Automatic Chronograph Bronze

En résumé, nul ne sait, mais chaque pièce sera différente. Et c’est là tout le charme.

Mais Montblanc n’a pas proposé qu’un boîtier en bronze. La marque a aussi complètement changé le cadran pour opter pour une version saumon vieilli, qui reprend là encore la patine vue sur certaines Minerva anciennes. Les index sont dorés, et les aiguilles recouvertes d’or rouge. Je suis certain que l’évolution de la couleur du boîtier mettra de plus en plus en valeur ce cadran. Il suffit maintenant d’attendre…

La saleté et la Montblanc 1858 Automatic Chronograph Bronze

Le fond en titane est traité de la même couleur que le bronze de la boîte et est gravé d’une représentation du Mont-Blanc.

Je suis ravi que Montblanc nous offre une telle montre. Avec ce chronographe 1858, Montblanc met la barre très haute et j’attends avec impatience les nouveautés de 2019…

Qu’en pense l’avocat du diable ?

Je l’ai écrit plus haut, avec ce chronographe 1858 en bronze, Montblanc dispose d’une star dans sa collection. Il est dur de prendre ce modèle en défaut. Seule une taille réduite (39 mm) et un profil plus fin pourraient rendre cette montre encore plus attrayante.

Mais mon reproche principal porte sur la boucle déployante, trop compliquée, trop épaisse, et pas en phase avec le reste de la montre. Une simple boucle ardillon en bronze aurait été bien plus appropriée.

A part ces deux remarques, rien à dire, la 1858 Automatic Chronograph Bronze est une réussite.

Comment porter cette montre avec un « dirty » style ?

Pour la montre, le bracelet proposé avec le modèle bronze est beau. Mais j’aimerais aussi pouvoir l’essayer sur un bracelet NATO en cuir de chez Bernhard Bulang (Bulang & Sons) ou un de ses modèles en nubuck. Il faudra alors en profiter pour changer de boucle.

Pour ce qui est du look, le denim « usé » reste le meilleur choix. Ma préférence va vers un Ralph Lauren Double RL Selvedge, ou un Dsquared. Ensuite, laissons tomber la chemise et choisissons plutôt le tee-shirt. Un Zadig & Voltaire gris de la ligne Toby « Hors Service » sera un clin d’œil amusant. Vous pourrez même enfiler dessus un polo Majestic Filature au look vieilli.

Les souliers – résolument sport – pourront s’assortir à la montre, grâce à une patine verte ou bronze/gold. Plusieurs options s’offrent à vous, les sneakers JM Le Glazel CS9094 ou ceux d’Addisson Genève, mais aussi les Berluti Playtime, qui restent mes favorites.

La veste sera d’inspiration militaire, par exemple celle de Bulang & Sons (assortie au bracelet de montre en canvas), ou la très versatile version de J. Crew. Pour terminer ce look « patiné », soit une écharpe pilote en soie blanche vintage ou une en filet camouflage, trouvées dans un surplus et surtout bien usées !

Voilà, avec ce look pas trop « clean » qui matche avec une montre qui se salira avec le temps, vous êtes prêts.

Maintenant, il faut juste attendre que le temps fasse son œuvre et salisse joliment votre chronographe !

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