Complication ou complexité : la Patek Philippe Calatrava Semainier 5212A

Notre collectionneur préfère les montres simples aux montres compliquées. Et si cette Calatrava Semainier faisait exception à la règle ?

Commençons par une déclaration qui pourrait choquer : je ne suis pas un grand fan des grandes complications. Pour beaucoup d’amateurs de belle horlogerie, ce que je viens d’affirmer peut supprimer tout l’intérêt pour ce qui va venir. Mais attendez un peu et laissez-moi vous expliquer pourquoi.

D’abord, je le reconnais, ces montres sont de merveilleux exercices de style et de technologie, de beaux exemples de maîtrise et d’imagination, et encore plus, la preuve que les horlogers sont des artistes. J’ai eu la chance d’admirer ces maîtres horlogers sur leurs établis et de voir la passion briller dans leurs yeux lorsqu’ils parlaient de leurs créations.

Cependant, au-delà d’être une montre, une pièce de haute horlogerie doit avant tout être génératrice de sensations et d’émotions. Il faut donc du temps pour s’approprier leur grandeur et les apprécier à leur juste valeur.

Alors pourquoi donc, après cette déclaration d’amour, puis-je encore écrire que je ne suis pas « touché » par ces œuvres d’art(s) ?

Parce que je crois profondément à l’horlogerie accessible. Une montre doit rester ce qu’elle est supposée être : un objet du quotidien, simple, utile, mais cependant intime. Et aujourd’hui, les montres à grandes complications s’éloignent trop de la réalité, tant sur le plan financier qu’émotionnel.

D’abord, financièrement, une pièce à grande complication est, pour la très grande majorité des gens, un plaisir inaccessible. Trop chère, trop éloignée des réalités économiques, trop extrême, elle transporte l’horlogerie dans un autre monde trop distant.

Cependant, vous me répondrez qu’en matière automobile, il y des hypercars. Alors pourquoi pas des hypermontres ? Ce n’est pas faux.

Mais la montre à grande complication se différencie encore plus de ces voitures exceptionnelles par sa difficulté d’accès. Alors qu’il est – relativement – facile de comprendre une Bugatti La Voiture Noire, il est plus difficile de véritablement saisir toutes les nuances d’une montre dotée de complications.

L’autre élément qui me dérange, c’est l’éloignement émotionnel. À mon humble avis, la grande complication « détruit » le rôle premier de la montre, alors que l’hypercar « hypertrophie » la notion de voiture.

Voici donc le réel problème de cette haute horlogerie : elle élimine la vocation première de la montre. Et c’est pour cette raison que je m’éloigne parfois de ces objets. J’aime les montres aux ambitions modestes, que les grandes complications semblent vouloir parfois « ridiculiser », sans même le vouloir, en affirmant une trop grande supériorité technique.

Je respecte cependant l’objet d’art, ainsi que la prouesse technique et artisanale. Et je sais que je ne pourrai jamais posséder un de ces objets. Je peux même avouer que je n’ai jamais tenu dans mes mains une de ces merveilles. Pour une raison que j’ignore, même lorsque j’en ai eu l’occasion, j’ai toujours voulu conserver une distance entre ces montres et moi.

Mais si je veux rester un peu critique, il y a quelque chose d’autre qui me gêne parfois dans les montres à grandes complications. Elles veulent trop faire, au risque de mal faire. Trop de fonctionnalités, trop de composants, trop d’extrêmes.

À force de vouloir repousser les limites, ces pièces deviennent un réceptacle technique qui perd son sens. On peut comprendre la présence d’un tourbillon, même si son rôle est désormais totalement inutile. Mais pourquoi deux ou trois ? Pourquoi le faire tourner dans un sens ou dans un autre ? D’accord pour une complication, voire deux, voire même trois… mais pourquoi les empiler au lieu de les simplifier ?

Attention donc à ne pas vouloir trop en faire. L’art doit rester simple. Comme une montre…

La montre à grande complication est donc une réalisation exceptionnelle, qui a perdu son utilité au profit du prestige. Car ces montres étaient – en leur temps – vraiment utiles. Les fonctions proposées étaient toutes importantes : un chronographe pour mesurer les temps courts, un calendrier plus ou moins détaillé, une phase de lune pour comprendre les marées, des fuseaux horaires pour voyager, un réveil, un tourbillon pour améliorer la précision de la montre ou une sonnerie pour aider les malvoyants. Et bien plus...

Mais qu’en est-il aujourd’hui ?

Eh bien, le besoin de complication est toujours présent. D’ailleurs, il l’est même de plus en plus. Et c’est justement le paradoxe énorme des grandes complications. De plus en plus de personnes les utilisent. Sauf que leur nom a changé. On appelle désormais ces nouveaux objets des montres intelligentes, des smartwatches. Elles sont bourrées de technologies, se veulent à la fois plus accessibles et plus complexes. Elles repoussent les limites de miniaturisation et s’imposent sur les poignets. Elles vous parlent, vous informent, vous mesurent. Demain, elles vous sauveront peut-être la vie. Mais sont-elles encore des montres ? Je ne sais pas… Je ne sais plus… Cependant, une chose est sûre : elles dévorent des parts de marché et menacent les montres.

Alors, en guise de conclusion, laissons de côté la nostalgie. Car il y a des montres à complications qui peuvent encore soulever l’enthousiasme, même celui des plus sceptiques. Et lorsque j’ai vu pour la première fois cette Patek Philippe 5212A, je me suis pris à rêver de pouvoir en tenir un jour une en main. Car cette Calatrava me parle à plus d’un titre : simple, plutôt dépouillée et émotionnellement intéressante, elle ressemble à une montre « normale ». Et c’est pour cela qu’elle m’a séduit.

Pourquoi Patek Philippe ?

Je vais vous avouer quelque chose qui va probablement vous surprendre : je ne suis jamais entré dans la boutique Patek Philippe de Genève. Non pas que je n’en ai jamais eu l’occasion. Je suis passé devant à des centaines de reprises. Je me suis arrêté devant les vitrines un nombre incalculable de fois. J’ai même visité l’exposition Patek Philippe de New York en famille. Mais je n’ai pas franchi les portes de la célèbre 41 Rue du Rhône.

Je pense que de la sorte, je montre une forme de respect à cette marque fondée par un horloger né dans le même pays que mon père. J’ai donc du mal à parler plus de cette marque, dont nous savons toutes et tous ce qu’elle apporte à l’horlogerie. Patek Philippe reste une référence incontournable, un monument indéboulonnable et un des plus brillants porte-drapeaux de l’horlogerie helvète – et genevoise.

Certes, Patek Philippe offre un certain nombre de ces complications qui me font « peur », mais propose aussi des montres plus proches de mes valeurs horlogères. Elle reste une marque qui exhibe un sérieux à toute épreuve autant qu’un classicisme revendiqué. Qu’on aime ou pas, personne ne peut ignorer Patek Philippe et ses prouesses techniques.

En matière de grandes complications, les ateliers de Patek Philippe restent LA référence. Certaines créations de la marque conservent le titre de montres les plus compliquées au monde, pour autant que l’on puisse mesurer ce genre de record.

La 6300 G est l‘exemple même de ce que je décrivais plus tôt. Un mouvement de 1 400 composants logés dans un boîtier tout aussi complexe. Elle est extrême, voire extrémiste. Irréaliste et inatteignable. Je la respecte autant que je la crains parce qu’elle en fait trop.

Néanmoins, ce n’est pas d’elle dont je vais vous parler aujourd’hui, mais d’une pièce que je trouve plus séduisante parce qu’elle prend un peu ses distances avec cette aînée fort compliquée et nous offre quelques caractéristiques bien rafraîchissantes.

La Patek Philippe Calatrava 5212A : quelle semaine est-il ?

La première Calatrava fut créée dans les années 30. Son créateur, David Penney, voulait une montre à l’allure et au design simple et épuré. Alors qu’à l’époque Patek Philippe développait ses grandes complications, la Calatrava allait devenir un exemple de dépouillement, mais aussi de raffinement. Si son nom évoque une époque guerrière – et l’ordre chevaleresque Calatrava -  elle reste cependant une montre qui se remarque par sa capacité à rester discrète, parlant ainsi au plus grand nombre.

Depuis les années 30, la Calatrava a connu de multiples versions, mais à chaque évolution, Patek Philippe a su conserver une esthétique dépouillée, bien lointaine des grandes complications surchargées.

Et en cette année 2019, la marque genevoise présente une nouvelle version de la Calatrava, la très surprenante 5212A. Plusieurs éléments me font apprécier cette nouvelle complication. Tout d’abord, son boîtier de 40 mm est en acier, ce qui reste plutôt rare pour une Patek Philippe. Il conserve le style des premières trois aiguilles, rond et simple. De plus, en optant pour une pièce de 40 mm, Patek Philippe choisit une option résolument contemporaine, avec un diamètre destiné à séduire le plus grand nombre.

Complication ou complexité : la Patek Philippe Calatrava Semainier 5212A

Le cadran blanc cassé semble a priori simple, jusqu’à ce l’on y porte plus d’attention. La combinaison de l’acier et de cette couleur crème crée une impression de douceur, mais aussi une réelle présence au poignet. La Calatrava 5212A est une séductrice qui sait surprendre. Car avec cette montre, Patek Philippe introduit une toute nouvelle complication. En effet, pour la première fois, une montre indique le numéro de la semaine, en plus de la date, du jour, du mois, et bien sûr de l’heure. À quoi bon proposer cette nouvelle complication ? Honnêtement, je ne sais pas. Même sur mon iPhone je ne regarde pas la semaine. Alors pourquoi donc le faire sur une montre ? Voici donc une nouvelle complication plutôt inutile, mais certainement seduisante.

Complication ou complexité : la Patek Philippe Calatrava Semainier 5212A

Tout vient de son intégration dans le cadran et de sa capacité à jouer avec les autres éléments de la montre. Hormis la date, toutes les autres informations se retrouvent indiquées par des aiguilles. La magie de la Calatrava 5212A vient justement de ce jeu des aiguilles et de la simplicité apparente de son cadran. Même si celui-ci contient de nombreux éléments, il conserve une lisibilité exceptionnelle par la cohérence de ses indications. Point de guichet, de sous-compteurs ou de couleurs. La Calatrava reste fidèle à ses origines.

Mais pourtant, elle a un aspect fort inhabituel. Il faut regarder de plus près le cadran pour se rendre compte que la typographie employée est inhabituelle, voire étrange. En effet, Patek Philippe a choisi ici de reproduire l’écriture d’un des designers de la montre. La police n’en est donc pas une, c’est juste la reproduction d’une écriture « humaine ». J’adore ! Ce petit détail permet à la Calatrava 5212A de franchir la frontière entre technicité et émotion, et on doit remercier les équipes de Patek Philippe d’avoir osé ce petit détail qui change tout.

Complication ou complexité : la Patek Philippe Calatrava Semainier 5212A

Car grâce à cette typographie, la Calatrava 5212A semble imparfaite, voire mal finie. Et vous savez quoi ? C’est probablement la raison pour laquelle il faut considérer cette monte comme une vraie réussite, non seulement technique mais presque « sociétale ». Avec la 5212A, Patek Philippe semble ne pas se prendre trop au sérieux, tout en réalisant une pièce d’excellence technique. Elle est provocante, marrante et imparfaite. En rentrant de la projection d’Avengers Endgame, je ne pouvais m’empêcher de voir un peu d’Ironman dans cette Calatrava.

En conclusion, voici donc une grande complication qui sait se faire petite, sans se prendre trop au sérieux, tout en cachant la même quête de perfection technique qui anime les autres complications de la marque.

La Patek Philippe 5212A est une belle surprise, qui a su me faire aimer les grandes complications et me fera peut-être un jour franchir le pas et entrer dans la boutique au 41 Rue du Rhône.

Qu’en pense l’avocat du diable ?

Le diable aime l’excès, l’exagération, voire la vulgarité. Donc rien dans cette montre ne peut l’attirer...

Mais si on y regarde de plus près, quelques petits détails peuvent cependant nous déranger. D’abord, le bracelet de la montre. Si j’aime la simplicité du cuir gold (bravo et merci de ne plus tuer d’alligators), j’aurais tout de même souhaité que Patek Philippe conserve la boucle ornée de la croix de Calatrava.

Complication ou complexité : la Patek Philippe Calatrava Semainier 5212A

Ensuite, même si 40 mm semble une taille idéale, un ou deux millimètres en moins auraient rapproché la pièce de la perfection.

Enfin, j’aurais apprécié que le guichet de date soit traité de la même couleur que le cadran.

Complication ou complexité : la Patek Philippe Calatrava Semainier 5212A

Sinon, rien d’autre à dire. La Patek Philippe Calatrava est un exemple de sobriété et d’équilibre.

Comment porter cette Calatrava 5212A ?

La Calatrava est une complication particulière, qui sera mise en valeur par un look simple. Donc éloignons-nous des publicités habituelles de la marque et osons la chemise polo blanche – ou popover. Cette combinaison entre polo et chemise correspond parfaitement à l’image de la Calatrava 5212A, raffinée mais simple. Le modèle le plus accessible se trouve chez Suit Supply, mais vous pouvez aussi en trouver chez Proper Cloth ou chez G Inglese qui propose son fameux polo Agnelli en de nombreuses couleurs.

Pour continuer dans la complication simple, enfilons un pantalon cargo de la Maison Standards. J’aime particulièrement ces modèles aux poches plaquées sur les cuisses qui permettent d’emporter de nombreux objets, sans pour autant avoir l’air d’être surchargé.

Comme vous le savez, j’apprécie les blazers et, pour notre Calatrava, j’opte pour un modèle en denim de chez John Varvatos. Si la veste semble rigide au départ, elle s’assouplira avec le temps pour devenir une deuxième peau.

Enfin, pour les souliers, rien de mieux que des sneakers, qui cette fois seront des JM Le Gazel – aux patines exceptionnelles – ou des Altan, tel que le modèle Camo qui mérite le détour.

Vous voici ainsi prêts à partir flâner le long des berges du Léman. Et si jamais le temps vous le permet, passer donc la porte d’entrée de la boutique Patek Philippe et dites-moi si le détour en vaut la chandelle !

Marque