Donnez-moi du moderne !

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Give me something modern! - Editorial
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Du vintage, du classique, des collections repensées ou refondues, inspirées d'avant ou de dans longtemps, et au milieu de toutes ces idées, il en manque une, pourtant essentielle : où est la montre d'aujourd'hui ?

L’année 2018 touche à sa fin et je ressens un grand vide. La montre de 2018 ressemble à celle de 1956, ou 1965, ou 1978, ou 1985, ou 2010. Elle semble décidément ne pas vouloir être de 2018. Elle snobe son époque, insaisissable, invisible, morte-née peut-être. Entre les rééditions à l'identique de modèles passés, les réinterprétations de modèles d'avant et l'invention pure et simple de modèles nostalgiques de toutes les décennies d'après-guerre, il n'existe aucune montre de son temps, de ce temps.

Et pourtant, qu'elle est forte notre époque ! Prenez les automobiles. Jamais elles n'ont été aussi agressives, effilées, puissantes et innovantes. Regardez le vêtement. Déstructuré, re-libéré, électrifié par la fusion entre le sportswear, le streetwear et le quotidien. Scrutez les sneakers, exubérants, colorés, massifs ou athlétiques, réédités parfois, mais radicaux comme jamais. Observez la joaillerie, sans cesse renouvelée, géométrique, colorée et poétique. La cuisine, admirée des foules, bouillonnante d'inventivité, d'influences, d’appétits. Et la montre dans tout ça ? Rien de spécial, rien de spécifique, rien de vraiment nouveau.

Comprenez-moi bien, j'adore les bracelets en cuir marron craquelé avec les points de bride sous les cornes. J'adore le perlon, facile à laver, pas cher, coloré comme je veux. Je n'ai rien contre les 38 mm sur NATO avec index en Superluminova façon tritium et les aiguilles oranges. Bien au contraire. J'admets volontiers avoir des réserves sur la quatrième vague de vintage, celle qui se penche actuellement sur la décennie 80, pas la plus glorieuse de cette industrie... Mais quand même, je sais lire une esthétique juste, réussie, équilibrée, ancrée dans des codes de tradition ou d’histoire légitime. Et il y a au moins 20 montres sorties cette année qui me font saliver au point de donner une crise cardiaque à mon banquier.

Ça me met hors de moi, mais je constate que la montre doute d'elle-même. La courte mais profonde crise de 2015-2018 a profondément secoué les horlogers, encore une fois. Cet épisode de repli, 2 ans de recul des exportations horlogères, a même été plus blessant que les autres. Il n'était pas lié au secteur du luxe en général. Pas à un marché en particulier. Ce sont les montres qui ont souffert et pas le reste. Surtout pas ce secteur connexe, dans lequel bien des marques horlogères sont également actives, la haute joaillerie. Alors, désemparés, boudés par leur public, en vraie difficulté commerciale, certains se sont mis à douter de leur pertinence. De l'intérêt même de l'horlogerie. Et comme à chaque fois qu'ils souffrent, les faiseurs de la montre se retournent vers l'arrière pour préparer l'avenir. La modernité leur échappe au profit de la sécurité. En crise d'identité, ils lèchent leurs plaies quelque part dans les montagnes enneigées et pittoresques du Jura.

Après tout, on peut bien les comprendre. On n’arrête pas de leur dire que les jeunes ne portent pas de montre. Qu'ils ne vivent que dans leur smartphone, qui donne l'heure, fait des achats, pense à leur place. Que les smartwatch rendent la montre mécanique caduque, nulle, et même trop naze pour les millenials. Que les complications ne servent à rien et en vrai de vrai, n'intéressent personne. Que leurs acheteurs traditionnels sont des vieux croûtons en perte de vitesse et qu'il faut de toute urgence s'intéresser aux 18-25 ans, qui dépensent leur argent de poche et leurs indemnités de stage partout, partout, sauf en montres. Bref, on raconte des horreurs stupides.

Seulement voilà, moi, je veux du moderne. Pas du futuriste, pas de la science-fiction, même si j'ai une tendresse particulière pour ces genres horlogers transgressifs et jouissifs. Non, je veux une montre qui incarne notre époque. Pas une montre portée par un héros de cinéma d'antan. Pas une vision rêvée du passé ou du futur. Aujourd'hui. Et je ne la trouve pas. 

Qui saura capter l'air du temps ? Incarner le style 2018 dans une montre qui résume son époque et qui n'est ni 2.0., ni refonte, ni re-design, ni reboot. La montre autrefois moderne qui se remodernise, ça n'est pas pareil qu'une montre qui pose la contemporanéité. Comme un grand roman, qui saura mettre un design clair sur un paysage qui est vaste, complexe et confus ? Qui saura écrire l'histoire horlogère du vrai maintenant ? Qui produira ce modèle dont on dira dans trente ans: « houlala, elle fait vraiment 2018, celle-là » ?