L'orfèvre du temps

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Kari Voutilainen, un créateur de montres d'exception installé au Val-de-Travers

Le Salon mondial de la bijouterie et de l'horlogerie de Bâle, du 12 au 19 avril, servira d'écrin à la dernière réalisation de Kari Voutilainen, un créateur de montres d'exception installé au Val-de-Travers.

L'atelier de l'artisan d'horlogerie d'art Kari Voutilainen occupe une partie du premier étage d'un vieil immeuble anonyme situé en plein centre de Môtiers (NE). Aucune enseigne, aucune plaque vissée à la façade. Juste le nom du locataire des lieux scotché à la porte d'entrée indique que c'est bien ici, derrière ces murs gris, que sont façonnées à la main des merveilles de précision et de complication qui font chavirer le cœur de riches collectionneurs du monde entier.

L'endroit dégage quelque chose d'austère. Sans doute est-ce dû à l'ancienne affectation de ces locaux qui abritaient autrefois le registre foncier du Val-de-Travers ou alors à la nature du travail qui y est effectué aujourd'hui, travail qui requiert calme, ordre, propreté et méticulosité quasi maladive… Réservé au premier abord, notre hôte s'avère plutôt chaleureux pour un Finlandais originaire du sud de la Laponie. Il nous offre un café et des bonbons au goût de son enfance.

Kari Voutilainen a vécu à Kemi, une petite ville nichée au bord de la mer Baltique, jusqu'à l'âge de 20 ans. Rien ne le destinait à devenir un jour créateur de garde-temps d'exception. Sauf, peut-être, la présence, dans son entourage, d'une personne qui tenait un magasin d'horlogerie et aussi son goût prononcé pour les activités manuelles. «Déjà tout jeune, je savais que je voulais faire quelque chose avec mes mains.» Il exerce ses talents sur des vélos, des vélomoteurs et même sur un réveille-matin. «Je l'ai démonté, mais je ne suis jamais parvenu à le remonter.»

Son service militaire achevé, ce bricoleur s'inscrit à l'Ecole d'horlogerie de Tapiola, un établissement renommé. «Une formation de trois ans axée surtout sur la réparation et la restauration.» Diplôme en poche, il gagne sa vie en retapant des tocantes de toutes marques. Un boulot pépère qu'il lâchera à deux reprises pour étancher sa soif d'apprendre au Wostep, le Centre suisse de formation et de perfectionnement horloger installé à Neuchâtel. Deux séjours de six mois enrichissants et laborieux. «Je travaillais tous les jours, week-ends compris.»

Plusieurs entreprises helvétiques repèrent ce jeune homme opiniâtre et passionné. Michel Parmigiani l'engage. A Fleurier, Kari Voutilainen utilise son savoir-faire pour donner ou redonner vie à des pièces compliquées anciennes et contemporaines. Un vieil horloger œuvre dans le même atelier que lui. «Il m'a transmis ses connaissances. Ça a été mon meilleur apprentissage.» Toujours aussi acharné, le Finlandais trouve encore la force, le soir venu, d'exercer ses talents à la maison. «J'ai mis près de quatre ans pour faire une montre de poche.» Sa première réalisation.

Après plus de neuf ans de pratique, cet artisan hors pair accepte un poste de prof au Wostep. «C'était l'occasion de partager mon expérience, de m'ouvrir l'esprit et de mieux comprendre le fonctionnement de l'industrie.» Mais l'établi lui manque… «J'ai enseigné trois ans, puis je me suis mis à mon compte.» On est en 2002, il a 40 ans et connaît tous les rouages de son métier.

Restauration et sous-traitance l'occupent à ses débuts. Pourtant, c'est bel et bien la création de ses propres modèles, que ce perfectionniste signe sobrement de son nom, qui finit par l'accaparer complètement. Au point qu'il doit engager du monde – trois horlogers le secondent actuellement – pour parvenir à satisfaire la demande et à dégager un petit peu de temps pour son épouse et ses deux enfants. «Je passe encore trop de week-ends et de soirées ici», admet-il.

Chaque détail a été pensé

Ses montres: des chefs-d'œuvre au design épuré et à la finition soignée, pensés dans les moindres détails et façonnés entièrement à la main, parés des métaux les plus précieux et renfermant des mouvements complexes où se mêlent et s'entremêlent tradition des grands horlogers du XVIIIe siècle et innovations du XXIe. Valeur de ces complications haut de gamme: 51 000 francs pour un chronomètre, 145 000 pour un chronographe et 350 000 pour une répétition minutes dotée d'un mécanisme de sonnerie original. «Ce n'est pas une marque que je vends, c'est du travail. C'est le vrai coût de ce qu'il y a dedans. Il n'est pas renchéri avec le marketing. »

A Bâle, au Salon mondial de la bijouterie et de l'horlogerie, dans le stand de l'Académie horlogère des créateurs indépendants, le maître finlandais présentera son dernier joyau: une répétition minutes habillée d'or et de tantale (un métal rare de couleur gris-bleu). Son prix n'est pas encore fixé, mais gageons que cette pièce unique trouvera rapidement preneur. Kari Voutilainen n'a, du reste, pas l'air de s'en soucier. Il nous quitte, trop heureux de pouvoir enfin retourner à son établi…

Migros Magazine / Alain Portner / www.migrosmagazine.ch

Le privilège des pièces uniques...

La Finlande est certes plus connue pour la qualité de ses pilotes de rallye que pour ses horlogers, mais Voutilainen est vraiment LE nom que les connaisseurs se transmettent. Né en 1962, il passa son adolescence à démonter et remonter tous les objets mécaniques de la maison, à tel point que ses parents l'envoyèrent suivre une formation horlogère à la célèbre école de Tapiola, où seulement une petite élite de 5% des candidats est admise. Son diplôme en poche, il commença à travailler dans la restauration de pièces anciennes. Il était cependant très attiré par les complications et s'inscrivit alors au WOSTEP, à Neuchâtel, avant de rejoindre Parmigiani Mesure et Art du temps. Il devait y rester dix ans et travailla à la restauration des pièces les plus exceptionnelles. Il lui arrivait également de réaliser des commandes pour d'autres marques. Durant son temps libre, il fabriqua pendant cette période une première montre tourbillon à échappement à force constante. En 1999, il quitta Parmigiani pour devenir professeur au WOSTEP et, trois ans plus tard, muni de sa double expérience de professeur et de restaurateur, il décida d'ouvrir son propre atelier de fabrication.

En 2005, Voutilainen a présenté une première mondiale: la Masterpiece No 6, une répétition minutes décimales qui sonne les heures de manière intuitive. Ce que cela signifie? Pour sonner 1h52, par exemple, une répétition minutes standard frappera un coup aigu pour l'heure, 3coups aigus-graves pour le nombre des quarts depuis l'heure (soit 45 minutes) et sept coups graves pour les minutes après le dernier quart. Il faut une certaine gymnastique mentale pour calculer le tout, tandis que la Masterpiece No6 frappe un coup aigu pour l'heure, 5 coups aigus-graves pour les dizaines et 2 coups graves pour les unités.

En 2006, Voutilainen a présenté la Masterpiece No7, qui comprend cette fois une indication de second fuseau horaire sur un cadran auxiliaire magnifiquement gravé ainsi qu'un chronographe (11 pièces) avec un balancier Carbontime dont le spiral est en carbone graphite et le balancier en quartz.

Cette année, il présentera les Masterpiece No8 et 9, toujours sur la base d'une répétition minutes décimales, mais sans complication supplémentaire. Il convient de préciser que chacune de ses Masterpiece est une pièce unique. La No9 présente cependant la particularité d'avoir un boîtier en or et tantale.

Son dernier projet consiste en une commande spéciale de 9 chronomètres simples sur la base d'un mouvement «vintage» remarquable conçu pour concourir aux concours d'observatoire: le Peseux 260. Ce dernier a été produit pendant un quart de siècle jusqu'en 1970. Il y a eu moins de 3000 mouvements Peseux 260 produits en vingt-cinq ans. Chacune de ces pièces sera ensuite individualisée selon les demandes du client, tant au niveau du cadran que de la finition du mouvement.

Il est également important de souligner qu'en plus de concevoir des approches nouvelles de l'horlogerie, Voutilainen propose une finition remarquable faite de poli noir, d'angles droits et de courbes, louée par le grand Philippe Dufour, lui-même considéré comme le maître de la finition!

Voutilainen n'aimant rien de plus que sa liberté, il privilégie les pièces uniques ou séries très limitées qui lui permettent de continuer à développer et faire vivre ses idées foisonnantes.

 

Le Temps / Alexandre Ghotbi / www.letemps.ch