La J12 vue par Arnaud Chastaingt

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Arnaud Chastaingt’s take on the J12 - Chanel
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Le directeur du Studio de Création Horlogerie de Chanel explique comment tout a changé sur la nouvelle J12, « sans rien changer ».

Quand l’étudiant en école de design Arnaud Chastaingt découvre la J12 en 2000, il éprouve un coup de foudre pour « sa silhouette parfaite, son look unique et son allure androgyne » qui lui font l’effet d’une « révélation sur l’objet montre ». La fascination se renforce en 2003 au lancement de la J12 en céramique blanche, qu’il décrit comme un acte créatif radical qui l’a accompagné inconsciemment. À la fin de ses études la même année, c’est pourtant chez Cartier qu’il débute sa carrière en tant que créateur, où il gravit les échelons pendant dix ans. Il rejoint ensuite la Maison Chanel, séduite par « son approche atypique de la création, où le style et le design priment sur la mesure du temps ». Directeur Business Development Horlogerie et Joaillerie, Nicolas Beau évoque leur rencontre décisive en 2013 dans son interview au magazine GMT paru pour Baselworld 2019. Les premiers coups de crayon d’Arnaud Chastaingt se destinent tout d’abord à d’autres montres Chanel : la montre Monsieur, la Boyfriend, la Camélia Squelette, entre autres.

La J12 vue par Arnaud Chastaingt

Tout changer ou ne rien changer

Quand sonne l’heure du face à face entre Arnaud Chastaingt et la J12, en 2014, le jeune directeur du studio de création horlogerie de Chanel ne voit que deux options : « tout changer ou ne rien changer ». Profondément respectueux du dessin original de Jacques Helleu, l’ancien directeur artistique de Chanel, tout en refusant de mettre la J12 entre parenthèses, il est partagé par ce paradoxe. Afin de se l’approprier, il entraîne tout d’abord la J12 vers des territoires inattendus, lui attribuant des looks atypiques, tels que la version XS ou en l’équipant d’un bracelet NATO. Le genre ? « Peu importe, notamment avec la nouvelle génération, même si les femmes se sont accaparé cet objet créé à la base par un homme, pour un homme. Je devais surtout veiller à ce qu’elle reste contemporaine. » Or, pour un créateur, ne rien changer est un exercice complexe, plus que celui de créer une tout nouvelle montre comme la Boyfriend. « J’ai donc tout changé sans rien changer, avec tous les acteurs du département horloger. Je suis entré dans une autre relation, il s’est agi d’une approche presque chirurgicale pour m’en imprégner au plus près. Nous avons procédé à beaucoup d’essais pour arriver finalement à un équilibre entre l’ADN et la nouvelle esthétique, changeant au bout du compte 70% des composants. Ce n’est pas une nouvelle J12, mais la J12. » [Lisez l'article « Tout change dans la J12 » par Paul O'Neil pour en savoir plus.]

La J12 vue par Arnaud Chastaingt

Nouveau mouvement, nouvelle contrainte

Le directeur du Studio de Création Horlogerie qu’est Arnaud Chastaingt ne donne a priori pas la priorité au mouvement dans ses premières réflexions. Cependant, une nouvelle volonté stratégique de Chanel prévoit le développement de ses propres calibres. Nicolas Beau déclare en effet : « Dans notre vision de l’horlogerie de demain, la montre est passée du stade d’instrument pur à un instrument qui est un bel objet, impliquant une progression du mouvement en esthétique et en robustesse ; il faut de très beaux moteurs dans de très belles créations ». Ce qui implique de les montrer, donc de créer un fond saphir, et lorsque ce nouveau calibre de manufacture s’avère en outre légèrement plus épais que le précédent, le travail sur le boîtier devient primordial. Naturellement, l’esprit du designer opère également sur ce nouveau mouvement monté en gamme, certifié COSC et garanti 5 ans. « Je ne souhaitais pas voir une architecture de masse classique, mais immédiatement identifiable avec son cercle parfait permettant d’entrevoir la platine. C'était d’ailleurs un élément de la charte graphique initiée en haute horlogerie. Le rotor a donc été conçu en tungstène. Cela représente un travail énorme de faire fonctionner une masse en tungstène avec une telle ouverture, mais cela fait partie du design. » Des jeux de polissage et de satinage du rotor viennent parachever l’esthétique de l’ensemble visible à travers le fond saphir du boîtier.

La J12 vue par Arnaud Chastaingt

Un boîtier de manufacture repensé

Avec ce calibre plus généreux, la carrure a subi des modifications importantes pour compenser la différence d’épaisseur. Son flanc est ainsi devenu plus doux, légèrement bombé, ce qui lui confère une perception visuelle plus fine. La largeur de la couronne a été réduite d’un tiers, de même que son cabochon, tout en conservant son ergonomie. La lunette a vu la surface de sa bague en métal affinée d’un tiers, avec un nombre de gouges passé au contraire de 30 à 40. Ses dentures métalliques lui donnent un ton plus affirmé. Au dos, le fond est légèrement bassiné pour mieux épouser la forme du mouvement. Il a fallu développer un fond en céramique venant cerner la glace saphir, ce qui induit un emboîtage par le dessus. Avec ce fond en céramique, la J12 se veut maintenant 100% inrayable. Auparavant, seul le fond en acier pouvait indiquer si la montre avait été portée ou pas. La J12 a également gagné en légèreté. Fabriquée en interne à la manufacture G&F Châtelain de La Chaux-de-Fonds, la céramique exige un savoir-faire très particulier que très peu de marques maîtrisent. Pour le fond en céramique notamment, il faut venir à bout de nombreuses contraintes technologiques, liées par exemple au fait que la céramique réduit de 20 à 30% à la cuisson. Également en céramique, le bracelet a été retravaillé pour lui apporter plus de dynamique, des maillons allongés et une chute plus marquée.

La J12 vue par Arnaud Chastaingt

Un cadran aux variations microscopiques

Les progrès de Chanel dans la fabrication de la céramique permettent au millésime 2019 de la J12 d’afficher des chiffres dorénavant en céramique (auparavant seul le cadran était en céramique). Les chiffres ont été revus avec un typographe habitué des codes de la Maison. Comme l’explique Arnaud Chastaingt, « visibles à la loupe, certaines lignes sont devenues plus gracieuses, et les chiffres en céramique ont gagné en qualité, avec des surfaces plus plates et des lignes plus tendues, offrant une meilleure lecture ». Même la typographie de la date a été changée malgré la complexité, notamment pour les dates à deux chiffres. Les courbures de l’intérieur des 6 et 9 s’admire au microscope ! « Cela dégage une certaine perfection. » Parallèlement, comme l’ouverture du cadran est plus grande, le Swiss Made mentionné en bas du cadran s’apprécie maintenant mieux entre l’index et le plan incliné du rehaut qui a été ajouté. Les aiguilles bénéficient d’affinements : « il existait une différence de largeur entre les heures et les minutes, et j’ai privilégié la largeur de l’aiguille des minutes sur celle des heures ». Le Super-LumiNova est plus élégant, la trotteuse est plus fine. L’effet poudré du cadran a été accentué pour une meilleure cohérence.

La J12 vue par Arnaud Chastaingt

Une muse accessible

Quid du prix de la nouvelle J12 ? Alors qu’on aurait pu s’attendre à une augmentation en phase avec toutes les améliorations apportées, c’est le seul à très peu changer : avec seulement 350.- € de plus, la J12 ne coûte que 5 300.- €. Comme le déclare avec malice Nicolas Beau, « avec cette J12 nous avons trouvé l’éternelle jeunesse ». Arnaud Chastaingt conclut : « Aujourd’hui je considère la J12 comme ma muse, je n’en ai pas la paternité mais je l’ai officiellement adoptée. Pour l’instant, ma définition de la J12 c’est le noir et le blanc, mais demain je n’exclus rien ». D’ailleurs, d’autres complications viendront l’animer, comme par le passé (chronographe, phase de lune, GMT, tourbillon...). Attendons-nous à un millésime 2020 haut en couleurs, pour célébrer les 20 ans de la J12.

La J12 vue par Arnaud Chastaingt

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