L’horlogerie est-elle (vraiment) durable ?

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Is watchmaking (truly) sustainable?   - Environment
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Le développement durable peine à s’imposer dans l’industrie horlogère. Classée en priorité basse, il ne se révèle que dans la prospérité, s’éteint dans les crises. Les grands groupes restent moteurs, prenant les devants de consommateurs qui sont encore peu demandeurs.

L’horlogerie est par essence durable puisqu’elle ne produit que des biens pérennes, donc...durables. Voilà, en synthèse, le raccourci dont l’industrie a longtemps usé pour écarter un sujet sur lequel elle était sensiblement en retard. Hélas, c’est un fait, l’horlogerie pollue, licencie et comporte son lot d’inégalités. Pas plus, mais pas moins que toute autre industrie.

Pourtant, la RSE, Responsabilité Environnementale et Sociale, a réussi à s’imposer. D’abord dans l’environnement lointain des marques, chez le consommateur (tri sélectif, réduction de la consommation énergétique domestique, véhicules hybrides), puis chez les industriels (bois FSC, labels de commerce équitable), puis chez le politique, qui enchaine ses sommets et Grenelle à un rythme effréné. Doucement mais sûrement, l’industrie horlogère a suivi le mouvement.

Timides premiers pas
Les premiers temps furent toutefois peu reluisants. L’industrie a fait ce qu’elle sait faire de mieux : du storytelling. L’une fait son miel, l’autre met trois prises électriques sur son parking – mais pas les véhicules qui vont au bout. L’illusion ne fait pas long feu. Le rapport RSE devient alors un exercice d’absolution verte, auquel les grands groupes rivalisent d’ingéniosité. Malheureusement, à cet exercice, seuls les faits comptent. Et il a fallu attendre bien longtemps avant d’avoir les preuves tangibles d’une prise de conscience RSE – le plus souvent en sortie de crise de 2008.

Depuis, heureusement, les choses bougent, à vitesse toutefois modérée. Dernier exemple en date, la nouvelle manufacture A. Lange & Söhne, inaugurée le 5 septembre dernier. Le bâtiment reflète une architecture durable et une gestion de l'énergie innovante. Sa centrale d'énergie géothermique, la plus grande de Saxe, maintient une température stable tout au long de l’année. Le bâtiment est exempt de CO2.

Des bâtiments d’avenir
Sans aller aussi loin, les récentes constructions ou rénovations de l’industrie sont le plus souvent labellisé Minergie (équivalent HQE), comme chez Fleurier Ebauches ou Jaeger-LeCoultre, dont la dernière extension de 9000 mètres carrés (la plus grande de son histoire) est ainsi certifiée. Durant les vingt dernières années, l'assainissement de l’installation de chauffage lui a ainsi permis de conserver une consommation de mazout stable tout en augmentant la surface des locaux de production de 40%. Idem pour le Swatch Group, qui a réduit sa consommation d’énergie fossile de 6,7%, alors que sa production a augmenté...même si dans le même temps, la production de déchets spéciaux, hors piles, s’est envolée de +27,6 %.

Parallèlement, de nombreuses maisons ont installé des panneaux photovoltaïques sur des constructions plus anciennes, comme Audemars Piguet ou TAG Heuer à Chaux-de-Fonds, où la marque déploie aujourd’hui 750 mètres carrés de panneaux solaires.

Des labels recherchés
Autre axe de développement : les certifications. Minergie en est une, mais uniquement architecturale, tout comme la SIA 380/1 (Société suisse des Ingénieurs et des Architectes) sur laquelle repose notamment le nouveau bâtiment Hublot, qui la dépasse de 20% en termes d’efficacité.

Le RJC, Responsible Jewellery Council, en est une autre. Cette organisation à but non lucratif a pour ambition d’impliquer l'ensemble des acteurs de la filière joaillière, depuis les mines jusqu'aux points de vente, afin de mettre en place un code éthique de la profession. Cartier, par exemple, en est l’un des 14 membres fondateurs, depuis 2005. Et pourtant, la maison n’en fut elle-même certifiée qu’en...2010. C’est dire la lente progression de la cause même si, depuis, l’immense majorité des maisons l’ont adoptée.

Fairmined, autre certification, représente probablement l’avenir de l’horlogerie durable. Ce label atteste du caractère éthique de l’or, ainsi que sa complète traçabilité. Chopard en a ouvert la voie avec des collections horlogères et joaillières. Le pari était risqué car c’est un or plus onéreux : il doit être traité dans un circuit totalement indépendant au sein de la manufacture.

Malgré ce surcoût, Chopard a tenté une première série de 25 montres Fairmined, en 2014. Elle rencontra un tel succès que la série suivante (2015) fut dix fois plus importante (250 pièces). De son propre aveu, par la voie de Marc Hayek, le Swatch Group est également prêt à considérer cette option. Harry Winston pourrait par exemple étudier le sujet.


Et l’humain, dans tout cela ?
La RSE peut être entendue comme « Responsabilité Sociétale et Environnementale », mais aussi « Sociale et Environnementale ». Il n’en reste pas moins que, dans les deux cas, c’est bien l’humain qui se cache derrière cet ambivalent « S ».

La parité n’a jamais été le vrai problème de l’industrie horlogère, compte tenu des nombreux postes historiquement tenus par des femmes. L’accès aux fonctions décisionnelles est toutefois plus problématique – à en juger par la seule présence au board de femmes, dont les noms les plus connus se résument à Nayla Hayek ou Jasmine Audemars, aujourd’hui agée de 74 ans. Parmi les indépendants, on note la présence de la Directrice Générale de DeLaneau, Jessica Walther, mais le nombre de postes décisionnels aux mains de femmes reste marginal.

L’ingéniosité des indépendants
Les marques indépendantes n’ont pas les moyens des grands groupes. Leur ingéniosité prime. Christophe Claret a su en faire bon usage : « Nous avons un ingénieux système pour le bâtiment de fabrication et nos machines, qui sont refroidies par le froid ambiant de la nuit de notre région. Il ne fonctionne qu’avec de l’eau. De plus, nous avons opté pour un choix innovant et risqué il y a dix ans : acquérir une machine à découpe au laser à très haute précision. Elle nous permet d’économiser 68 heures par jour de consommation électrique de machines, puisqu’elle réalise en 4 heures ce que d’autres machines font en 72 heures ».

Reste que pour la plupart d’entre eux, le développement durable n’est pas la priorité. « L’objectif, c’est d’abord de survivre », soupire l’un d’eux. Légitime supplique, mais si les consommateurs en font, eux, leur priorité, il faudra suivre.