Le 12ème art

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The Twelfth Art - GPHG 2012
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Les "Oscars" de l'horlogerie vus de l'intérieur et du premier rang du Grand Théâtre.

Traduction: Michèle Brunner

Si vous êtes un lecteur fidèle de Worldtempus, vous savez que l'on m'a demandé cette année de faire partie du jury du Grand Prix Horlogerie de Genève (GPHG). Au-delà de l'indéniable honneur, c'était aussi pour moi l'opportunité de voir de l'intérieur le fonctionnement de ces Oscars de l'horlogerie.  Et à ma grande surprise, je dois avouer que la somme de travail occasionné s'est révélée gratifiante à bien des égards.

Les délibérations du jury ont été rudes à cause du grand nombre de pièces exceptionnelles en lice. Les quatorze membres du jury ont dû faire leur choix parmi la liste des montres présélectionnées, et pour ma part, pas loin d'une journée entière m'a été nécessaire pour mener à bien cette tâche. Les montres présélectionnées – dix dans chaque catégorie, 270 en tout – ont été choisies sur la base d'un système de notation compliqué que chaque juré a transmis directement au notaire. Deux semaines avant la cérémonie du 15 novembre, la journée entière que le jury dédia à examiner les montres et à en discuter fut une révélation pour moi : nous autres journalistes, historiens, collectionneurs et commissaires priseurs avons discuté et étudié en détail les différentes caractéristiques des montres. A la fin de la journée, j'étais heureuse d'avoir fait des choix difficiles, et épuisée comme si j'avais couru un marathon ! Cette fois encore, les choix des jurés furent secrets et communiqués uniquement au notaire. A l'ouverture de la cérémonie, le 15 novembre, comme tous les spectateurs présents, je ne connaissais pas le palmarès et j'ai retenu mon souffle tout le long de la soirée.

 

Vincent Perriard, CEO of HYT - GPHG 2012

 

Une victime d'excellence
Je le dis tout de go : le crois que Richard Mille a été victime de son exceptionnelle collection 2012. L'horloger présentait plusieurs montres, dont 5 ont franchi l'étape des présélections. Un résultat encourageant, mais une déception aussi parce qu'il me semble que le design des pièces de cette année était particulièrement inspiré et que leur technologie s'améliore d'année en année. De fait, il aurait sans doute pu organiser son propre Grand Prix 2012 ! Si je dis que la marque a été une victime, c'est parce que la règle du jeu qui consiste à choisir le meilleur des modèles présentés est totalement décourageante - surtout lorsqu'il s'agit de comparer des oranges avec des pommes ! Chacune des cinq montres présélectionnées de Richard Mille aurait pu remporter le premier prix de sa catégorie et je suis sûre qu'elles ont manqué le trophée pour un rien. J'ai été évidemment déçue qu'aucune Richard Mille n'aie été primée et je ne peux qu'espérer que ce revers ne démotive pas l'équipe qui a produit cette année des pièces superbes et exceptionnelles.

 

Des surprises
Le vote a aussi créé quelques surprises que personne dans notre monde de l'industrie horlogère n'aurait pu prédire – et c'est tant mieux.

Tout d'abord, la marque Habring 2 – constituée du talentueux couple autrichien Richard et Maria Kristina Habring – participait pour la première fois au GPHG. Leur travail est peu connu et plusieurs membres du jury découvraient leurs montres pour la première fois. J'ai la chance de faire partie des happy few qui connaissent bien la marque et je dois dire qu'il était amusant de voir les expressions sur le visage de mes confrères du jury lorsqu'ils examinaient ces montres ingénieuses et plus encore, lorsqu'il apprenaient leur prix (parmi les plus raisonnables de tout le monde horloger).  Je n'ai guère été surprise que le modèle « foudroyante » fasse partie des 3 nominées dans la catégorie de la Petite Aiguille et que le chronographe à rattrapante remporte le Prix de la Montre Sport. Présenter des montres au GPHG coûte cher et les Habring ne l'ont pas fait à la légère. Je suis enchantée qu'ils aient réussi et ravie aussi de leur surprise et de leur joie lorsqu'ils sont montés  sur scène pour recevoir leur trophée. J'espère que voilà le début d'une belle histoire d'amour entre le public ces montres exceptionnelles, sobres et accessibles, nées de la passion pour le XIIe art.

Richard and Maria Kristina Habring - GPHG

 

Le premier prix décerné jeudi soir fut celui du public. Les visiteurs des expositions des montres présélectionnées à travers le monde ont pu voter pour leur modèle favori. Le vote était aussi possible en ligne sur Worldtempus. J'ai été extrêmement surprise lorsque MB&F a été appelé sur scène pour la Legacy Machine 1 – un garde-temps très confidentiel produit par une marque de niche peu connue. Aussi exceptionnelle soit-elle (c'était une de mes préférées en 2011), cette pièce demeure méconnue du grand public et se trouvait en compétition avec des marques comme TAG Heuer, Montblanc ou Hublot, des noms fétiches du grand public. Plus surprenant encore, cette montre a aussi remporté le Prix de la Montre Homme, ce qui prouve qu'aussi bien les  experts que le public l'ont appréciée. Quelle belle récompense pour le travail de MB&F! Il va sans dire que Max Büsser, fondateur et CEO de MB&F, était fou de joie. Je l'aurais été aussi !

 

Des gens heureux
Et nous voilà à élire le visage la plus heureux de la soirée: celui de Jean-Christophe Babin. J'ai rarement vu un homme si content, battant même Büsser pour le sourire le plus radieux. Ce qui n'est pas peu dire.

L'attribution de l'Aiguille d'Or (la distinction suprême du GPHG) est une des tâches les plus difficiles à confier à un journaliste horloger. Le jury décida de s'y employer de façon ordonnée : chaque juré choisit une ou deux montres sur les 70 présélectionnées et justifia ses choix à haute voix. Ainsi fut faite une sélection de 7 ou 8 montres. Ensuite, la liste  fut réduite à trois modèles. Pour terminer, un vote secret personnel fut envoyé au notaire. Le résultat fut dévoilé lors de la cérémonie jeudi passé, et on vit Jean-Christophe Babin se précipiter littéralement sur scène pour recevoir son prix !

Le CEO de TAG Heuer me fit une confidence après avoir reçu son prix : l'idée du Mikrogirder lui était venue l'année précédente au GPHG. De Bethune avait alors reçu l'Aiguille d'Or et son CEO Pierre Jacques annonça lors de son discours qu'il espérait bien être la marque qui proposerait sous peu la montre battant à la plus haute fréquence. Jean-Christophe Babin me raconta, qu'assis parmi l'audience du Grand Théâtre, il s'était alors dit à lui-même : « Oh non, c'est pas vous, mais nous, qui la ferons ».  De retour à la Manufacture, il expliqua alors à son génie du développement Guy Sémon ce qui restait à faire ! Et le Mikrogirder était né ! Quel hommage à la marque de niche De Bethune et à son technicien Denis Flageollet, qui, en tant que détenteur de Aiguille d'Or 2011, faisait partie cette année du jury.

 

Alain Berset - GPHG 2012


 

Où était Carole
Une autre délibération identique à l'Aiguille d'Or concerne le Meilleur Horloger-Concepteur de l'année. Notre industrie regorge de tant d'esprits créatifs qu'en choisir un seul relève de l'impossibilité. Lorsque ma collègue Paola Pujia annonça « Carole Forestier-Kasapi », je ne pus m'empêcher d'applaudir. C'était tout simplement parfait, juste et tellement mérité. Et oui, Carole Forestier-Kasapi  est une femme, mais ce n'est pas la raison principale de ma joie.  Carole est un génie. Et humble. Elle a littéralement transformé Cartier – sans parler du travail accompli avant d'entrer dans la célèbre Maison joaillère. Apparemment, mes collègues du jury partagent mon avis.

 

Carole Kasapi-Forestier - GPHG 2012

 

Reste une interrogation: pourquoi Carole n'était-elle pas présente au Grand Théâtre pour recevoir sa récompense? Autant j'avais eu de plaisir à partager la joie des lauréats montés sur scène, autant j'ai été désolée de ne pas pourvoir vivre avec elle ce moment exceptionnel.

 

Le 12e art
Le GPHG s'est donné beaucoup de peine cette année pour rendre la cérémonie attrayante de part le monde. Elle était diffusée en direct chez Tourneau, sur la Madison Avenue de New York, où les clients et les visiteurs étaient invités pour une coupe de champagne, un lunch et une discussion avec le membre du jury Marcel Philippe, également assistant procureur de la ville de New York.

En lisant cet article, vous vous demandez peut-être pourquoi je parle du « 12e art ». Laissez-moi vous expliquer. L'année dernière, Carlo Lamprecht, Président du GPHG, fit référence au « 12e art » pour parler de la mesure du temps. Une description judicieuse, d'autant plus que le GPHG fête en 2012 sa 12e édition. Carlo Lamprecht choisit le 12, nombre fétiche pour l'horlogerie.

Pour souligner l'intérêt artistique de l'horlogerie, le GPHG a fait appel à de célèbres artisans de l'industrie comme Eric Giroud (design), Anita Porchet (émail) et André Martinez (peinture miniature) pour présenter les trophées aux lauréats. Il a aussi collaboré avec l'Université de Genève dont les étudiants en Art et Design ont réalisé les 12 clips vidéos annonçant les catégories de prix et créé les magnifiques vitrines en verre qui ont abrité les 70 montres présélectionnées lors des expositions à travers le monde.

 

Ceremony GPHG 2012


To underscore the artistic relevance, the GPHG not only engaged famous industry artisans such as Eric Giroud (design), Anita Porchet (enameling) and André Martinez (miniature painting) to present various awards, but also collaborated with Geneva's University of Art and Design to realize 12 short films for each of the awards and the incredibly backdrop of the glass cases housing the 70 preselected watches on their world tour.

La liste complète des lauréats du GPHG 2012 se trouve sur le site officiel www.gphg.org, et propose en outre des photos et vidéos. La dernière occasion de voir en vrai les montres présélectionnées et les lauréates, c'est l'exposition de Moscou, du 28 novembre au 1er décembre.