Savez-vous ce que l’on devrait arrêter de dire ? Que l’on n'a pas besoin de montres mécaniques. Je l’entends sans cesse. On commence des présentations par cette affirmation. Les grands discours sur la situation de l’horlogerie incluent inévitablement quelque chose du genre, à savoir que les montres mécaniques de luxe existent en dehors de la sphère de l'utilité. Des campagnes de marketing entières se basent sur l'hypothèse qu'une montre mécanique n'est pas un besoin mais un désir.
Finalement, nous nous habituons à cette idée fausse que nous ne sommes là qu'en raison de l'indulgence des élites riches. On se fait à l'idée que ce que nous faisons est fondamentalement frivole, et laissez-moi vous dire que cela ne favorise pas vraiment des attitudes de travail saines. Qui a envie que son travail existe dans un paradigme qui dévalorise systématiquement ce qu'il fait ?
Alors arrêtons ces conneries d'excuses. Et commençons par essayer de définir ce "besoin" ? Bien, donc une montre mécanique n'est ni comme l'air, ou l'eau, ou n’importe quelle substance sans laquelle nous ne pourrions pas vivre. Mais imaginons une seconde que nous ayons plus de besoins que ceux nécessaires à notre existence physique.
L'une des caractéristiques de la condition humaine est notre besoin d'expression individuelle. Et pas n'importe quel type d'expression individuelle, parce que, soyons francs, certaines formes d'expression individuelle peuvent mener à la suppression de nos libertés individuelles et à l’incarcération dans des prisons d’état. Je parle d'expression individuelle respectant les codes de comportements sociaux approuvés par la loi. On appelle ça le contrat social.
Je vous donne un exemple d'expression individuelle que personne ne remet en question. Nos vêtements. Il y a une nécessité physique pour nous de nous protéger de l'extérieur, et c'est pourquoi nous portons des vêtements. Mais à moins d'être Batman ou quelque chose comme ça, vous appréciez sans doute d’avoir des tenues différentes.
Une montre est un objet parfaitement légitime pour l'expression individuelle. Elle répond également à notre besoin de connaître l'heure - un besoin que certains peuvent aussi choisir d'aborder avec leurs smartphones ou autres trackers de fitness.
Un jour, j'ai confié à l’un de mes amis horlogers ma tristesse de constater que plus personne ne semblait vraiment apprécier les belles montres mécaniques (j’étais déprimée). Pour me remonter le moral il m’a répondu : "Il y a des choses plus importantes dont il faut s'inquiéter."
D'un côté, je peux comprendre - la pauvreté, les conflits internationaux et toutes sortes de Problèmes, avec un P majuscule. D'un autre côté, pour moi, l’expression "des choses plus importantes" est déroutante quand on la considère à un niveau personnel et microcosmique. Plus important que quoi ? Plus important que ce qui nous tient à cœur ?
Tout le monde a besoin d'avoir dans sa vie des petites choses qui lui tiennent à cœur. Que ce soit des montres mécaniques, des planches à roulettes, la botanique, ou tout ce que vous voulez.
Et l’idée semble être que le fait d'avoir besoin de ces choses-là nous rende faibles. Je ne suis pas d'accord avec ça. Je pense que ça me rend humaine, et je dois dire que je suis plutôt contente d'être humaine. Je ne sais pas vraiment pourquoi on choisirait d’être autre chose. Sauf si je pouvais choisir d’être un petit chien - mais alors je ne pourrais plus porter mes montres.
