La manufacture Lange à Glashütte

15 minutes read
Difficile de décrire en quelques mots la manufacture dont les portes affichent fièrement l'enseigne A. Lange & Söhne. Car il faut la vivre pour pouvoir découvrir ses multiples facettes.


Tribune des Arts - Numéro spécial A. Lange & Söhne - Juin 2010 A. Lange & Söhne_328759_0

Et ceux qui souhaiteraient la visiter sont les bienvenus, à condition de s'annoncer préalablement. Cela devrait suffire à convaincre qu'entre ses murs, des travailleurs éminemment qualifiés réalisent des montres-bracelets époustouflantes, d'un niveau de perfection technique et artisanale sans précédent, en y investissant ingéniosité, passion et dextérité. Naturellement, le 21e siècle s'est invité chez A. Lange & Söhne sous la forme d'ordinateurs encore plus rapides et de centres d'usinage équipés de nombreux calculateurs. Mais le soutien des machines sert toujours un noble but, celui de perfectionner encore les opérations horlogères de base et surtout d'accroître leur précision. Il ne faut pas oublier que la tradition familiale engage tout autant que la noblesse. Design, construction, réalisation et entretien tout au long de la vie d'une montre doivent pouvoir répondre aux critères rigoureux d'une clientèle exigeante. Un principe simple établi par Ferdinand A. Lange il y a 165 ans et dont il n'y a aucune raison de se défaire aujourd'hui.


La valeur, rien que la valeur

 

A. Lange & Söhne_328759_1



Il va de soi que les montres-bracelets qui portent la signature A. Lange & Söhne coûtent une petite fortune. Et elles valent incontestablement le moindre centime investi. Mais à quoi tient exactement cette valeur, que l'on ne perçoit pas forcément au premier coup d'œil lorsque l'on observe une montre-bracelet A. Lange & Söhne? Il faudra en fait un deuxième regard ainsi que de nombreuses observations ultérieures pour révéler la quantité de détails qui fondent aujourd'hui la valeur et, surtout, déterminent la création de valeur à Glashütte.

Une montre Lange incarne en premier lieu la valeur d'une grande famille d'horlogers, qui a institué une tradition bien établie. Les connaisseurs savent ainsi toujours à quoi s'attendre avec A. Lange & Söhne. Ainsi, la manufacture utilise uniquement des métaux nobles, l'or et le platine, pour ses boîtiers et bracelets. Les cadrans en argent massif sont ornés d'index en or massif et d'aiguilles en or ou en acier bleui. En 2010, A. Lange & Söhne y ajoute une touche de miel à travers son édition anniversaire de trois montres “165 Ans – Hommage à F.A. Lange”. Les créations rayonnent d'un éclat particulier grâce au matériau totalement novateur, naturellement breveté, de leur boîtier. Fidèle à la philosophie de la marque, qui n'utilise que des produits nobles pour les enveloppes protectrices de ses montres, ce matériau est de l'or – à savoir un alliage d'or qui se distingue par sa teinte exclusive. Cet or à la coloration exclusive nous ramène au miel, puisque c'est précisément de cette couleur que les boîtiers se sont parés. Mais l'éventail de ses qualités va bien au-delà de sa couleur. Il va de soi que A. Lange & Söhne n'utilise que de l'or d'une teneur de 750/1000. La base élégante de l'innovation est constituée par de l'or blanc 18 carats, sans ajout de palladium, de nickel ou d'argent. Le discret chatoiement couleur miel est créé par un léger ajout de cuivre, de zinc et de manganèse. Et ce n'est pas tout: un procédé technique spécial a permis de lui conférer une dureté impressionnante de 320 Vickers, alors que l'or ordinaire ne peut se targuer que de la moitié de cette valeur. Telle est la réalité brute de l'or Lange couleur miel.

 

A. Lange & Söhne_328759_2



Pour les platines, les ponts et les coqs du mouvement, la manufacture n'utilise que de l'argent allemand, un alliage précieux de cuivre, de zinc et de nickel qui, contrairement au laiton, ne nécessite pas de traitement galvanique. Sans oublier, puisque la valeur se mesure également à sa durabilité, le design classique et sobre de tous les garde-temps, la construction exclusive des mouvements de manufacture utilisés et la promesse d'un service complet, même longtemps après leur aquisition.

Venons-en maintenant à la création de valeur, qui est, chez Lange, un sujet primordial. La grande majorité des composants sont fabriqués dans ses propres ateliers. C'est là que sont effectués le double montage systématique de tous les mouvements, le finissage manuel de chacune des pièces, la gravure à la main du coq de balancier, le réglage minutieux dans les cinq positions standard et intermédiaires, ainsi que les derniers contrôles de qualité. Les montres peuvent alors partir vers les revendeurs officiels spécialisés du monde entier, qui les attendent toujours avec impatience. L'ampleur du travail ne permet naturellement pas de produire un grand nombre de pièces. Une rareté qui est source de valeur : quiconque fait sienne une montre-bracelet A. Lange & Söhne intègre une élite exigeante, qui ne se contente que du meilleur, un peu comme Oscar Wilde, qui se pensait trop pauvre pour s'acheter des produits bon marché.


Une grande estime du travail manuel

 

A. Lange & Söhne_328759_3



De nos jours, beaucoup de fabricants de montres parlent de travail manuel. Mais très peu y accordent une part aussi importante qu'A. Lange & Söhne. Dans la manufacture de Glashütte, soins minutieux et dextérité hors pair sont des principes profondément ancrés, déjà appliqués par Ferdinand A. Lange il y a 165 ans. Les nombreux horlogers et horlogères qui assument la production d'une quantité annuelle réduite de montres-bracelets Lange prennent réellement chacune des pièces de la construction dans leur main et ce, à plusieurs reprises. Après l'ébavurage manuel des composants, usinés avec une précision infinie, le premier montage, ou montage à blanc, donne corps à une construction prête à fonctionner. Ce microcosme animé est ensuite démonté afin d'apporter les différentes finitions, entièrement réalisées à la main. Ce n'est que le deuxième assemblage, appelé remontage, qui va produire ce qui pourra ensuite être admiré sous un fond en glace saphir, sans craindre d'être observé à la loupe de l'horloger.


Tout un art: les finitions Lange

 

A. Lange & Söhne_328759_4


Il est la sixième personne à avoir été embauchée et fait donc partie des plus anciens de la maison, ce qui en dit long sur l'univers Lange. Maik Pfeifer est arrivé chez A. Lange & Söhne en 1991, soit la deuxième année de sa nouvelle ère. “A l'époque, reconnaît l'horloger d'un rire moqueur, le finissage était un mot qui n'existait pas à Glashütte. Nous fabriquions de bons produits, fiables, mais tout travail de finition qui ne répondait pas à une nécessité absolue était considéré comme un luxe superflu.” Le premier employé de la nouvelle unité de finissage, un service d'une importance capitale dédié aux montres de luxe, a donc dû partir de zéro. Des techniques jadis maîtrisées à la perfection à Glashütte telles que le meulage, l'anglage et le polissage, avaient disparu dans le sillage de la domination socialiste. Maik Pfeifer a donc tout appris sur le tas. “Ce ne fut pas un long fleuve tranquille, et à l'époque j'aurais préféré n'importe quelle autre mission à celle-là.”

 

A. Lange & Söhne_328759_5


Mais Walter Lange, Günter Blümlein et Hartmut Knothe, premier directeur exécutif et première personne sur place, étaient des perfectionnistes acharnés. L'homme de 44 ans n'eut donc d'autre choix que de prendre le taureau par les cornes. Il devait s'exercer sur des pièces en acier rapportées par Kurt Kerber, brusquement décédé en 1993, de chez IWC, en Suisse. Il ne disposait en tout et pour tout que d'un disque de bois, d'un livre sur le polissage à plat, d'un tour à métaux emprunté, et d'une meuleuse pour têtes de vis également prêtée par un collègue. A compter de là, il n'eut plus aucun répit. Sa ténacité hors pair, sa patience et sa rigueur saxonnes et le plaisir d'expérimenter ont abouti à un finissage qui n'a pas son pareil aujourd'hui et qui, dans la manufacture Lange, emploie au quotidien près de cinquante spécialistes. Parmi eux, Marlies Fraulob, dont on lit sur le visage l'amour de la perfection artisanale. Après une formation intensive prodiguée par Maik Pfeifer, l'horlogère embauchée en 1994 connaît désormais toutes les finesses du métier. Et elle les met en pratique avec une passion toujours croissante: “Il n'y a pas de querelles de clocher chez nous. Chacun doit autant que faire se peut maîtriser l'ensemble des techniques du finissage horloger.” Et elle est tout aussi catégorique sur le fait que chacun des composants doit être soumis à toute une batterie d'opérations: la réalisation des sillons Glashütte sur la platine trois-quarts, les ponts et les coqs, le meulage périphérique des arêtes verticales pour des raisons esthétiques, le poli noir des pièces en acier, le perlage des surfaces supérieures et inférieures de la platine, le polissage des arêtes chanfreinées, le polissage à plat des chatons, le soleillage des grandes roues, le polissage longitudinal des pièces en acier ou circulaire des roues dentées. Les dents de toutes les roues doivent également passer par une opération de finissage.

En définitive, aucune pièce n'est “épargnée” chez Lange. Et comme immobilisme serait synonyme de recul, Maik Pfeifer imagine toujours de nouvelles techniques, telle la somptueuse décoration circulaire qui orne les ponts du mouvement de la collection Hommage lancée cette année. L'homme de la deuxième heure ne se contente pas d'évoluer avec ses missions, il les idolâtre, ainsi qu'on peut le voir en observant son travail à la loupe de l'horloger.


Un travail en profondeur: la gravure Lange

 

A. Lange & Söhne_328759_6


Simone Rauchfuß a un petit air malicieux. C'est que cette horlogère et orfèvre spécialisée de A. Lange & Söhne a une mission on ne peut plus sérieuse. Elle est au service de la manufacture depuis 1997. Sa carrière actuelle a commencé il y a sept ans environ, lorsque Helmut Wagner lui a proposé de rejoindre l'atelier de gravure. Après neuf mois de formation intensive, elle a finalement pu donner à ses premiers coqs de balancier la signature qui en fait des pièces uniques. Naturellement, elle est extrêmement habile de ses mains, rien qu'avec le burin. La jeune femme aux doigts d'or n'a pas besoin de modèle. Elle connaît par cœur les dessins en coupe des coqs des multiples calibres Lange. Pourtant, ils ont tous quelque chose de différent. Et c'est avec un enthousiasme palpable que la responsable du groupe de tai-chi de l'entreprise parle des gravures de boîtiers des plus exigeantes. Elle qui a déjà à son actif la décoration artistique de plus d'un fond de boîtier, applique en ce moment sa signature artistique sur une semi-savonnette. Simone Rauchfuß est fière d'avoir été choisie par son responsable pour cette mission de confiance. Mais justement, pourquoi elle? Par modestie, elle laissera cette question en suspens.


Un objet minuscule pour un effet gigantesque: le spiral Lange

Richard Lange, l'aîné des fils de Ferdinand A. Lange, était sans conteste un esprit créatif, qui savait parfaitement transposer les connaissances scientifiques de son temps dans l'horlogerie. Dès la fin des années 1920, Richard Lange a compris que le fait d'ajouter un peu de béryllium aux alliages de nickel et d'acier augmenterait considérablement la résistance de l'incontournable spiral aux variations de température et aux champs magnétiques et qu'ils gagneraient ainsi en élasticité et en dureté par rapport aux conventionnels spiraux en Elinvar. Ses conclusions, couronnées d'un brevet en 1930, restent très pertinentes de nos jours pour l'industrie horlogère. Malheureusement, l'inventeur ne put jamais récolter lui-même les fruits de son travail, puisqu'il décéda deux ans plus tard.

 

A. Lange & Söhne_328759_7

Dans les montres Lange, son legs continue de vivre à travers la production de minuscules spiraux de l'ordre de 2,5 milligrammes dans des ateliers spécialisés. Sans la force exercée par ces petits rubans de métal flexibles, de un à trois centièmes de millimètre d'épaisseur, aucun tic-tac ne se produirait, et le balancier qui y est relié serait condamné à l'immobilité. Il n'est donc pas surprenant que le spiral de balancier soit considéré comme l'âme du mouvement mécanique. Comme du temps de Richard Lange, on utilise comme matériau de base le Nivarox, dont le nom signifie “non variable, inoxydable”, un alliage de fer, de nickel et de chrome auquel on a ajouté du béryllium et quelques autres composants. Cette combinaison est idéale pour les balanciers monométalliques en Glucydur, un alliage de cuivre et de béryllium.

Depuis environ 15 ans, A. Lange & Söhne s'est à nouveau attaquée à cette thématique difficile. La fabrication est très éloignée de la haute technologie. Les débats sont dominés par des machines transmises de génération en génération et le travail manuel traditionnel, selon des processus ingénieux scrupuleusement contrôlés par Lutz Großmann, 50 ans, et Rainer Kocarek, né en 1945. Après l'étirage en douceur du fil en Nivarox jusqu'à 0,05 millimètre arrive son laminage, jusqu'à obtenir des rubans fins de 0,09 x 0,018 millimètre par exemple.

Viennent ensuite la coupe à la longueur, le bobinage, et enfin le traitement thermique, après quoi les spiraux ainsi fabriqués sont mis de côté. Ils seront ensuite posés sur la virole et nettoyés en profondeur. Tout au long de ces étapes, le spiral est naturellement soumis à différentes procédures de contrôle. Pour finir, on assemble le spiral et le balancier auquel il est destiné. Une fois minutieusement réglé, l'ensemble induit, dans les calibres de manufacture, toutes les oscillations synonymes de précision chez A. Lange & Söhne. Le silicium, un métal innovant qui est sur toutes les lèvres, n'est pas d'actualité chez A. Lange & Söhne, en tout cas en ce qui concerne le spiral : “Nous perpétuons en cette matière la tradition héritée de Ferdinand A. Lange, souligne Lutz Großmann, car, même au 21e siècle, il n'y a rien à y redire.”


Dans la chambre de torture du chronomètre: le laboratoire de tests Lange

 

A. Lange & Söhne_328759_8



Chez A. Lange & Söhne, c'est bien simple, personne ne peut passer à côté de Christoph Schlencker et ses cinq horlogers. Et il ne viendrait à l'idée de personne de lancer une nouvelle montre sans leur accord formel. Cet homme de 42 ans dirige le laboratoire de tests de Glashütte, un lieu qui fait penser à une cuisine d'alchimiste pour la mécanique. Et il est incontestablement investi de l'une des missions les plus importantes dans la vénérable manufacture. L'horloger et ses collaborateurs triés sur le volet décident du sort de chaque nouvelle création, qui doit préalablement se soumettre à des tests rigoureux de qualité, un véritable programme de torture qui se déroule derrière des portes closes. Sans aucune pitié, car la vie sera souvent elle-même impitoyable envers les montres-bracelets A. Lange & Söhne.

Tout est passé au banc d'essai, à commencer par les pièces porteuses du nouveau calibre jusqu'à son âme, le système d'oscillation et d'échappement. Etant donné que les Saxes sont plus sévères avec leurs cobayes que, par exemple, Chrono-fiable, l'institut de certification suisse, Christoph Schlencker doit développer ses propres machines lorsqu'elles n'existent pas encore sur le marché. Citons par exemple l'appareil qui sert à tester le comportement de marche et d'oscillation du balancier et de son spiral dans dix positions au total. A l'issue des tests pratiques, il peut parfaitement arriver qu'il faille tout simplement rejeter un spiral, au motif qu'il ne répond pas à tous les critères définis. Bien entendu, le descendant d'une famille d'horlogers solidement établie ne garde pas pour lui ses connaissances souveraines sur les composants et les calibres. Bien au contraire: le service Construction en fait l'expérience lorsque, par exemple, un mécanisme de chronographe ne résiste pas aux 50 000 départs, arrêts et remises à zéro, ou qu'une Lange Zeitwerk échoue au test du mouton-pendule simulant une force de 5 000 G. “Nous savons et devons apprendre de nos erreurs”, tel est le mot d'ordre de ce passionné qui dépose sans sourciller la minuscule mécanique dans un tambour dans lequel elle recevra quelque 345 000 coups aléatoires.

 

A. Lange & Söhne_328759_9

 

Et le visage de Christoph Schlencker s'illumine lorsqu'il précise que cela équivaut à une descente en vélo tout terrain, c'est-à- dire le traitement le plus violent que puisse subir une montre-bracelet mécanique. “Les coups d'un golfeur ne sont rien à côté”. Au programme des contrôleurs qualité, on trouve également des tests systématiques de vieillissement car chez Lange, tous souhaitent s'assurer que les pièces de la construction pourront fonctionner impeccablement, même après des années, et qu'elles ne risquent pas de décevoir et fâcher des clients. Même pendant son temps libre, ce père de trois enfants bricole des mécanismes. C'est ainsi qu'en disséquant un vieux transistor, il a découvert des roues dentées agissant en sens inverse afin de supprimer tout jeu du mouvement du potentiomètre. Son idée est arrivée jusqu'à Burkhard Geyer, qui s'en est servi pour construire la géniale transmission de seconde au centre de la Richard Lange. Chez A. Lange & Söhne, l'esprit de groupe est extrêmement fort, chacun ne souhaitant, conformément à la tradition, que le meilleur pour leur manufacture.

 

A. Lange & Söhne_328759_10

Marque