Il existe deux manières d'aborder un mouvement squelette. La plus récente, la plus moderne, consiste à imaginer le calibre déjà ajouré, déjà transpercé de vide. Le choix des lignes, des structures s'apparente alors à un dessin, où la marque exprime son message. Typiquement, Roger Dubuis procède ainsi et donne à ses calibres des formes aisément reconnaissables. Ses mouvements tracent des cœurs, ou plus récemment, des étoiles. Ici, la liberté est quasi totale.
La seconde option, la plus ancienne, plus traditionnelle, est autrement plus contraignante. Il s'agit de partir d'un mouvement existant et d'y percer des ouvertures. De retravailler un système déjà installé sans en entamer ni la solidité ni la fonctionnalité. Cette maximisation sous contrainte est un exercice de haute volée, qui met à rude épreuve la plasticité des mouvements et le processus de création de mouvements. Malgré ces difficultés, elle permet à certaines marques de s'exprimer pleinement, par le biais de l'ajourage, bien entendu, mais aussi de finitions qui donnent un esprit particulier à la montre.
Par exemple, le calibre PF707 de Parmigiani est très ajouré par-dessus son micro-rotor, un élément technique qui est en mouvement constant et que la marque a décidé de montrer. De plus, les finitions très mates et les lignes douces du calibre restent dans l'esprit pas du tout radical de la famille Tonda 1950.
Patek Philippe utilise pleinement les possibilités offertes par son calibre 240. Dans un exercice rare, elle l'a transpercé pour en faire la Ref. 240SQU et a créé la très aérienne Calatrava ref. 5180. Fidèle à l'esprit de la marque, l'ajourage est très intense, ne laissant qu'une fine résille en place. Mais chaque poutrelle, tige, bras ou petite surface restante a été assidûment polie, anglée et surtout gravée dès que la forme s'y prête. Patek Philippe considère le squelettage comme un artisanat d'art traditionnel, précieux et rare, et cela se voit.
L'approche de Vacheron Constantin est tout aussi classique et encore plus poussée. Le mouvement de forme de sa Malte Tourbillon, le calibre 2795, est presque méconnaissable après être passé sous la scie et le forêt qui en ôtent la majeure partie du métal. Le motif gravé est une extrapolation du logo de la marque, une Croix de Malte (logique pour ce modèle), et il recouvre tout le mouvement, peu importe la surface concernée.
Mais toutes les démarches de squelettage ne sont pas aussi traditionnelles. Surtout quand elles partent d'un calibre qui est déjà iconoclaste par nature. Ainsi, le calibre GP9400, qui équipe la Girard-Perregaux Néo Tourbillon, surprend toujours par ses trois ponts noirs ajourés, tendus par-dessus le calibre. En créer une version squelettée demande un cheminement inhabituel, puisque les éléments les plus visibles sont déjà évidés. Mais GP a trouvé une solution : retirer le plancher. En effet, ce sont les éléments du soubassement du calibre, essentiellement sa platine, qui ont été grignotés pour donner un supplément de lumière à la Neo Tourbillon Sous Trois Ponts Squelette, illuminée par le dessous.
Encore plus radicale, la transformation opérée par Audemars Piguet sur la nouvelle Royal Oak Offshore Tourbillon Chronographe. Son calibre 2933 montre que la contrainte ne demande qu'à être surmontée. Dans sa version 2018, nommée calibre 2947, ce mouvement à tourbillon, chronographe et sept jours de marche ne s'illustre pas par son niveau de transparence, mais par la modification de ses formes. Les ponts, pleins et noirs auparavant, sont devenus des objets tridimensionnels, qui traversent les plans du mouvement et de la montre. Les points d'ancrage des ponts ont changé. Idem pour la fixation du mouvement dans la boîte, qui se confond avec les incontournables huit vis de lunette de la famille Royal Oak. Tout cela bouleverse entièrement l'agencement du calibre, au point de le rendre totalement méconnaissable. Et de donner naissance à une montre à l'apparence entièrement nouvelle.
