Jaeger-LeCoultre a célébré son 180e anniversaire en 2013. À l’occasion de cet événement mémorable, elle a présenté un ensemble de montres exceptionnelles dont la Master Grande Tradition Gyrotourbillon 3 Jubilee, la première (et la seule) au monde à intégrer un tourbillon sphérique volant. L’année suivante, tout le monde regardait ailleurs, présumant que Jaeger-LeCoultre allait marquer une pause dans la superproduction et se reposer sur des lauriers bien mérités.
Coup de théâtre, elle a préféré lancer la 11e création de sa collection de montres exceptionnelles Hybris Mechanica. À mon avis, cette Master Ultra Thin Minute Repeater Flying Tourbillon figure, techniquement parlant, dans le top 3 des meilleures montres contemporaines réalisées par Jaeger-LeCoultre. Bien que moins compliquée que la Duomètre à Grande Sonnerie (2009), ou moins spectaculaire que la pièce multi-cadran Reverso Calibre 185 Quadriptyque (2021) dotée d’indications astronomiques rares, c’est celle qui représente le mieux les deux atouts majeurs de la maison. L’un d’eux, c’est la maîtrise de l’horlogerie traditionnelle, dans des domaines aussi variés que l’ultra-plat, le tourbillon ou les sonneries. L’autre, c’est l’innovation aux limites du possible. Le dernier n’est pas aussi reconnu que le premier, en partie parce que la maison reste attachée au design classique et que son audace technique échappe aux radars. En outre, les innovations vraiment impressionnantes de Jaeger-LeCoultre ne sont pas faciles à traiter ou à comprendre, même pour les amateurs de montres chevronnés.
La Master Ultra Thin Minute Repeater Flying Tourbillon est encensée, à juste titre, pour son record de finesse, son rotor périphérique très performant et les améliorations apportées à sa sonnerie, mais ce qu’elle a de plus extraordinaire se trouve au cœur de son tourbillon.
Un observateur distrait verra que le régulateur à six heures tourne et notera la présence d’un tourbillon – un tourbillon volant comme l’indique le nom de la montre. Il ne remarquera peut-être pas qu’il s’agit d’un tourbillon volant pas ordinaire. Le composant qui apparaît en premier dans un tourbillon volant conventionnel, c’est la cage, dépourvue de pont supérieur pour la maintenir en place. Dans la Master Ultra Thin Minute Repeater Flying Tourbillon, non seulement il n’y a pas de pont, mais pas de cage non plus. On ne voit que le balancier, sans pont ni cage.
L’interrogation est énorme. Dans tout autre mouvement, il doit y avoir quelque chose au-dessus du balancier, un élément fixe, contrairement à l’organe oscillant, auquel on rattache le piton du spiral. Dans les mouvements sans tourbillon, il s’agit généralement des coqs de balancier et raquettes. Dans un mouvement à tourbillon, on relie le piton à la cage. Sans support fixe, le spiral ne peut pas entretenir les oscillations.
Jaeger-LeCoultre a supprimé la cage de tourbillon, beaucoup de trucs à l’appui. En conséquence, non seulement le tourbillon fonctionne, mais avec un spiral plus concentrique et dans un espace réduit en hauteur. Autrement dit, la manufacture a brisé les principes fondamentaux de la construction d’un tourbillon tout en parvenant à produire un mécanisme plus performant. Comment a-t-elle procédé ?
Avant tout, elle a inversé les points de fixation du spiral. La spire extérieure, qui est généralement reliée à un piton puis fixée à la cage du tourbillon (ou au coq de balancier), est rattachée à un bras du balancier. La spire intérieure, généralement fixée à l’axe du balancier, est rattachée à l’arbre du chariot de tourbillon. Les spécialistes comprendront ce que cela signifie. Jaeger-LeCoultre se passe non seulement de cage de tourbillon mais aussi d’axe de balancier.
Avec un spiral dont l’extrémité intérieure est fixée plus près que jamais de son centre de gravité et d’oscillation, le tourbillon de la Master Ultra Thin Minute Repeater Flying Tourbillon s’aligne – plus que tout autre – sur l’idéal de précision d’un organe régulateur. Sans cage, la hauteur du tourbillon est réduite et la stabilité de ce qui est essentiellement un organe oscillant à grande vitesse en porte-à-faux est améliorée. Grâce à l’espace libéré par l’absence de cage, Jaeger-LeCoultre a pu intégrer un balancier plus grand et minimiser la sensibilité de l’organe régulateur aux chocs et autres perturbations externes.
L’une des idées fausses les plus persistantes sur le tourbillon, c’est qu’il s’agit d’un élément magique qui améliore automatiquement la performance chronométrique d’une montre. En réalité, il s’agit d’un outil dont la capacité à agir pour ou contre dépend en grande partie de son mode d’utilisation. La culture et la maîtrise de Jaeger-LeCoultre sont telles que ses tourbillons figurent parmi les meilleurs de toute l’histoire de l’horlogerie mécanique. Vu la rapidité avec laquelle les records dans l’ultra-plat sont établis puis battus, le fait que la Master Ultra Thin Minute Repeater Flying Tourbillon est toujours la montre à tourbillon minute automatique la plus fine au monde témoigne de l’expertise de Jaeger-LeCoultre.
*Cette année GMT Magazine et de WorldTempus se sont lancés dans le projet ambitieux de résumer les 20 dernières années du tourbillon dans The Millennium Watch Book - Tourbillons, un grand et beau livre magnifiquement illustré. Cet article en est un extrait. The Millennium Watch Book - Tourbillons est disponible sur www.the-watch-book.com, en français et en anglais.
