Interview avec Jean-Christophe Babin, CEO de Bulgari

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Interview with Jean-Christophe Babin, CEO of Bulgari - Bulgari
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« C’est le début d’une nouvelle ère, car les salons ne seront plus jamais comme avant ».

Quel bilan tirez-vous des Geneva Watch Days que vous avez initiés ?

J’y vois plusieurs dimensions. Le facteur humain de cette initiative était primordial, et cela fut un immense plaisir de retrouver toute la communauté horlogère : détaillants, presse et autres marques. Cette organisation multimarque autogérée, et non plus sous la houlette d’une institution tierce, a fait que ce salon appartenait à tous. Son excellent déroulement est une belle récompense car cela prouve que nous avions raison de ne pas renoncer à 2020. Il existe certes d’autres façons de communiquer avec les détaillants, mais en interne ce fut une source de motivation, d’énergie et d’espoir énorme, et en externe nous avons adressé un message extrêmement fort signifiant qu’il existe des marques qui ne renoncent pas et qui veulent le bien de l’industrie. Je suis content de savoir que certaines sont venues en marge des Geneva Watch Days, et que le leader mondial a présenté ses nouveautés dans la foulée, car cela fait du bien à toute l’horlogerie. La priorité consistait à faire redémarrer ce marché. En ce qui concerne Bulgari, nous avons obtenu une couverture média aussi importante que celle que nous avions reçu lors de notre salon LVMH de Dubaï en janvier, qui en valeur était équivalente à celle de Baselworld 2019, en nous concentrant sur les médias les plus influents et les plus significatifs soit en présentiel, soit en interviews digitales. Nous avons, durant quatre jours, couvert absolument toute la planète. D’un point de vue commercial, nous visions les détaillants européens, qui ont généré un chiffre d’affaires moyen très comparable à celui de Dubaï, donc c’est une excellente opération. Comme les frais étaient relativement limités, le retour sur investissement s’avère très satisfaisant. D’autant que nous avons présenté nos nouveautés, au même moment, en vidéo conférence au reste de notre réseau de distribution, qui les a reçues en mains propres la semaine suivante et a commandé dans la foulée.

Interview de Jean-Christophe Babin, CEO de Bulgari Group

Quel format d’expo privilégierez-vous le printemps prochain ?
C’est le début d’une nouvelle ère, car les salons ne seront plus jamais comme avant. Tout le monde sait dorénavant que nous avons accompli un événement très abordable et extrêmement luxueux. La combinaison Ritz-Carlton et chapiteau était idéale. Elle aurait pu servir d’écrin à l’un de nos événements de haute joaillerie, que nos équipes mettent sur pieds depuis 30 ans à travers le monde, avec la même obsession du détail et du luxe. Pour le printemps prochain, la FHH n’a pas accepté la candidature de Bulgari pour intégrer Watches & Wonders, donc nous allons nous en passer et entreprendre un événement aux mêmes dates, très similaire à ce que nous venons de créer. C’est un format de salon bien meilleur que les salons historiques, et qui leur sera de toute façon supérieur quelle que soit leur évolution du fait de leurs difficultés de gouvernance. Nous mettrons en place exactement ce dont nous aurons besoin : une approche digitale, ouverte au public, décentralisée, autogérée, avec un rapport qualité-prix et un retour sur investissement hyper élevés. Nous proposerons cette formule en priorité aux marques de LVMH avec qui nous avons une relation naturelle, celles des Geneva Watch Days, sans doute d’autres belles marques car je pense qu’il est important d’être nombreux.

Interview de Jean-Christophe Babin, CEO de Bulgari Group

Est-ce important aujourd’hui de compléter votre offre avec une collection de montres très accessibles telle qu’Aluminium que vous venez de dévoiler ?
Je pense que c’est la réalisation la plus importante de l’année, et nous aurions dû y penser il y a trois ans, quand le marché horloger s’est essoufflé. On est toujours plus intelligent avec cinq ans de recul que deux, et les autres segments du marché avaient continué à croître, mais les Millennials manquaient dans l’équation. La collection Aluminium leur est destinée et a été conçue comme « ma première montre suisse de luxe », au look sympa et abordable. C’est comme la première voiture, on s’en souvient toujours. Il y a une valeur émotionnelle dans la première montre qui est énorme. Elle va les faire intégrer la tribu Bulgari, or on sait que la plupart des gens qui achètent Bulgari une fois se portent ensuite acquéreurs dans les 18 mois d’un nouveau produit : accessoire, bijou, montre, parfum, sac ou séjour dans un hôtel. J’espère que d’autres marques horlogères vont nous emboîter le pas et s’adresser aux Millennials de manière holistique afin de créer un effet boule de neige.

Interview de Jean-Christophe Babin, CEO de Bulgari Group

Bulgari établit par ailleurs un 6e record du monde avec l’Octo Finissimo Tourbillon Chronographe Squelette Automatique, celui-là est particulier ?
Quand on aime l’horlogerie, se voir proposer ces complications fusionnées par le squelettage est extraordinaire, on est au pinacle de la belle mécanique haut de gamme. De mon point de vue, c’est la plus équilibrée de toutes les Finissimo, avec un rapport diamètre épaisseur parfait. Notre chronographe est exceptionnel, et comme Bulgari est aussi l’un des principaux constructeurs suisses de tourbillons, ce record du monde et cette nouveauté constituent une étape majeure dans la mesure où ce produit extraordinaire va continuer à évoluer. Durant les deux premiers jours des Geneva Watch Days, 10 de cette série limitée de 50 pièces avaient déjà été vendus.

Interview de Jean-Christophe Babin, CEO de Bulgari Group

Comment Bulgari s’est adapté à la situation compliquée que traverse l’économie mondiale ?
Comme les Chinois représentent notre premier marché, nous avons été touchés tout au début de la crise et avons pris très rapidement des mesures drastiques : réduction de la production pour éviter les stocks, arrêt des dépenses non indispensables à l’activité opérationnelle, baisse des budgets marketing en vue de les réinjecter en 2e partie de l’année. Quand la situation a empiré avec la fermeture des magasins et des usines, nous nous sommes focalisés sur la protection des emplois (aucun licenciement à ce jour), tout en réfléchissant sur ce qu’on pouvait faire différemment, partant du principe que le Covid serait un accélérateur de tendance, notamment sur le e-commerce. Ainsi nous avons doublé notre rayonnement géographique e-commerce alors que ce n’était pas prévu avant fin 2021, générant un mois d’août à +250%. Les ouvertures de boutiques ont été décalées à 2021, un gros programme de formation du personnel en boutique a bénéficié à 2’500 de nos 3’000 collaborateurs, afin de renforcer leur confiance face aux clients. Pour essayer de rattraper les ventes perdues, nous avons aussi étudié la pertinence de notre offre, et décidé en un mois de créer la collection Aluminium s’adressant aux Millennials. Comme nous étions en sous-activité, tout est allé très vite, en nous montrant très pragmatiques dans nos choix : conserver l’identité Bulgari, adapter la taille et la qualité Bulgari aux critères 2020, maintenir le mouvement mécanique pour le côté artisanal et l’authenticité, et dessiner tout de suite les mouvements selon leur disponibilité. Enfin, nous avons procédé à une révision de la façon dont nous travaillerons dans le futur, notamment en voyageant 70% de moins en 2021 qu’en 2019. Le digital nous a montré qu’une partie du travail pouvait être substitué en smart working. Cette tragédie nous a permis de grandir et nos efforts de rester tous unis, ce qui représente pour moi une très grande satisfaction.

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