Cette goutte d'encre qui figea le temps

Le 1er septembre 1821 à Paris, Nicolas Rieussec chronomètre une course hippique muni d'un étrange instrument de son invention. Le début d'une nouvelle ère horlogère, actuellement relatée au musée de La Chaux-de-Fonds avec le concours de Montblanc.

Tribune des Arts - Juin 2011
Sylvie Guerreiro

C'est la passion du pari et du gain qui ont donné naissance aux premiers chronographes. Difficile, au début du XIXe siècle, de déterminer la performance des chevaux de course lors de l'entraînement. Pour augmenter ses chances de miser sur le bon numéro, il fallait pouvoir mesurer exactement les temps obtenus lors de ces cessions. Or, à l'époque, en Europe, ce petit jeu-là était l'un des plus prisés de la haute société, en particulier de la cour de France. On comprend pourquoi c'est un certain Nicolas Mathieu Rieussec (1781 – 1866), horloger du roi né à Toulouse, qui, en septembre 1821, chronomètre le premier une course hippique sur le Champs de Mars à Paris, muni d'un instrument de son invention permettant de mesurer des temps courts. À chaque passage d'un concurrent sur la ligne d'arrivée, il suffit d'appuyer sur un poussoir pour qu'une aiguille fixe dépose une goutte d'encre sur un cadran rotatif en émail blanc.

Cette invention approuvée par l'Académie Royale des Sciences, sera brevetée. Tout comme cet autre instrument du genre doté de deux disques sur lesquels se déposent deux gouttes d'encre à deux points différents, et que l'horloger présentera peu de temps après. Ce deuxième chronographe-encreur, habillé d'une boîte en acajou, Montblanc en possède une réplique, l'original ayant été vendu aux enchères à un particulier, il y a environ 35 ans à Paris. Il est actuellement exposé au musée international d'horlogerie de La Chaux-de-Fonds, aux côtés d'une centaine d'autres pièces retraçant plus de 200 ans d'histoire du chronographe. Via un parcours chronologique où ont été développés différents thèmes, elles rendent compte de la naissance, de l'évolution technologique et de la généralisation de son usage. Elles proviennent autant de collections particulières que de musées publics et du patrimoine de grandes marques horlogères. Comme Montblanc qui, au travers de sa Fondation Minerva de Recherche en haute horlogerie dont le but est de “soutenir tous les projets en relation avec la conservation et le développement du savoir-faire de l'horlogerie traditionnelle”, a non seulement parrainé cette rétrospective mais a aussi activement participé à son élaboration. On peut d'ailleurs y admirer son interprétation contemporaine du concept original de Rieussec, avec ses deux disques tournant et ses aiguilles fixes, créée à l'occasion de ses 190 ans: le chronographe mont-blanc Nicolas Rieussec Édition Anniversaire.

 

 
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Chronographe-encreur de Nicolas Mathieu Rieussec de 1821. à chaque passage d'un cavalier sur la ligne d'arrivée, on faisait se déposer une goutte d'encre sur le cadran tournant en émail (collection Musée international d'horlogerie). © Dr




A bas le calcul!


Avant 1821, les horlogers imaginent un système pour bloquer le balancier. En arrêtant ainsi la montre, on peut mesurer la durée d'une observation, mais il faut noter l'heure de début et de fin de course, pour parvenir à calculer cette durée. Ce qui n'est ni pratique, ni précis. Tout comme cette montre à seconde morte indépendante présentée en 1776 par le Genevois Jean Moïse Pouzait et qui permet d'enclencher ou stopper à volonté la trotteuse grâce à un deuxième corps de rouage. Très proche des mouvements à seconde foudroyante divisant la seconde en 4 ou 5 fractions, elle oblige toutefois à noter le début de la mesure et à faire un calcul.

De son côté, le système de Rieussec consistant à “écrire le temps” (traduction littérale du mot chronographe, du grec chronos, le temps, et graphein, écrire) nécessite une préparation: il faut remplir le réservoir d'encre et, après usage, nettoyer le cadran. Très vite, on réanime donc l'aiguille fixe, de manière à ce qu'elle tourne autour du cadran, figeant du même coup ce dernier. C'est finalement l'horloger suisse établi à Londres, Adolphe Nicole, qui, en 1844, obtient le brevet du premier chronographe moderne. Son coup de génie? parvenir à ramener l'aiguille du chronographe à son point de départ. Ainsi apparaissent les trois fonctions de mise en marche, d'arrêt et de retour à zéro qui caractérisent encore aujourd'hui le chronographe.




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                                   Montblanc Nicolas Rieussec Édition Anniversaire en or rose. © Dr



Les compteurs s'affolent

La course à la précision, déjà bien engagée, se met à faire rage, tandis que la montre de poche conquiert les poignets. D'un poussoir, on passe à deux. et voici qu'en 1936 Longines invente la fonction retour en vol (ou flyback). Il est alors possible de remettre à zéro le chronométrage en cours et d'en relancer un instantanément sans arrêter la montre, en pressant et relâchant immédiatement le poussoir voué à cet effet. Suivront, les premiers chronographes automatiques, dont l'Omega Speedmaster qui, en 1969, se retrouvera sur la Lune, portée par Neil Amstrong et Edwin Aldrin. On travaillera aussi à l'accroissement du nombre d'oscillations du balancier, passant de 18 000 alt/h à 360 000, ainsi qu'à l'ajout d'autres moyens de calcul comme le télémètre, le tachymètre, le pulsomètre ou même l'asthmomètre. Alors qu'aux Jeux olympiques, le chronométrage manuel laisse définitivement place aux chronographes à déclenchement magnétique, poussés par l'apparition du photofinish. Puis viendra l'époque de l'électronique et du quartz avec, en 1975, le lancement de l'heuer Chronosplit, doté d'un affichage mixte LCD et diodes. Et enfin, le renouveau.

Avec le retour en force du mécanique, bientôt appuyé par une demande toujours plus pressante en montres compliquées. La mesure des temps courts s'associe au tourbillon, au quantième perpétuel, à la répétition minutes… Aujourd'hui, la fonction chronographe est devenue notre grande favorite et beaucoup de marques de luxe s'en sont fait une spécialité. À l'image de mont-blanc qui, visiblement, n'a pas fini de nous régaler en la matière.

 

 

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Les premiers chronographes destinés à être portés au poignet, au début du XXe siècle, sont des calibres de poche de petites dimensions aux boîtiers transformés à cet effet. © Dr



Chronographe Chronomètre quelle différence?

Un chronographe est un garde-temps doté de deux systèmes horaires indépendants: l'un pour l'heure, l'autre pour la mesure de temps courts. Il se caractérise par la présence d'une aiguille des secondes supplémentaire, la trotteuse, placée au centre du cadran, qui peut être à volonté mise en marche, arrêtée et ramenée à son point de départ. Elle est généralement complétée par des compteurs séparés, de minutes et/ou d'heures. Dans un chronographe à rattrapante, une deuxième aiguille dite de rattrapante, est superposée à la trotteuse afin de permettre la mesure de plusieurs temps courts.

Un chronomètre est une montre de haute précision, capable d'afficher la seconde, dont le mouvement a été testé durant plusieurs jours, dans différentes positions et différentes températures. Si tout va bien, un certificat lui est délivré par le CoSC (Contrôle officiel suisse des chronomètres). Ainsi, un chronographe qui répond aux exigences de précision du CoSC, peut également être un chronomètre.

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