La genèse

Image
A Genesis Story - Geneva Watch Days
7 minutes read
Le seul événement horloger international de 2020 réunit petits et grands autour d’une vision commune ; une source d’inspiration pour Genève en 2021 ?

Tout a commencé avec l’annulation des éditions 2020 de Watches & Wonders et de Baselworld les 27 et 28 février, face aux risques sanitaires liés au coronavirus. La Suisse n’était pas encore véritablement touchée, mais il paraissait évident que les détaillants et médias asiatiques n’allaient pas voyager, et l’Italie commençait aussi à être atteinte sérieusement. S’il n’était pas possible de rassembler des milliers de visiteurs autour des grands salons horlogers, il paraissait alors encore envisageable d’organiser des rencontres calibrées pour une poignée de marques désireuses de présenter leurs nouveautés de manière plus confidentielle à leurs clients et journalistes les plus motivés, aux dates initialement prévues par Watches & Wonders fin avril. C’est la réflexion à laquelle le CEO du Groupe Bulgari, Jean-Christophe Babin, s’est immédiatement livré. Les palaces genevois avaient été de facto désertés par l’annulation du salon, et offraient leurs suites à des conditions très attractives dans ce contexte. Pourquoi dès lors ne pas y effectuer les présentations prévues sans grosse infrastructure et à moindre coût ? Il fallait encore convaincre rapidement quelques marques fortes de se serrer les coudes et de saisir cette opportunité pour constituer un programme de nouveautés suffisamment attractif.

La genèse, partie 1

Décidé en un weekend

Le samedi 1er mars, Jean-Christophe Babin a déjà rallié à sa cause Georges Kern, CEO de Breitling, ainsi que Patrick Pruniaux, CEO de Girard-Perregaux et Ulysse Nardin, qui lui-même a contacté Maximilien Busser (MB&F). C’est la teneur de son appel matinal, me demandant d’une part d’organiser pour l’occasion une soirée GMT (« les soirées les plus sympas de l’horlogerie »), d’autre part de mettre mon carnet d’adresses à contribution pour passer le mot à quelques autres acteurs emblématiques de la haute horlogerie susceptibles de se décider en 24 heures. En effet, l’initiateur des Geneva Watch Days souhaite profiter de l’interview télévisée prévue le lundi soir sur la TSR pour annoncer l’événement. L’idée séduit immédiatement Edouard Meylan (H.Moser & Cie), Félix Baumgartner (Urwerk) et Pierre Jacques (De Bethune), ainsi que quelques autres marques qui ont besoin d’un peu plus de temps pour se prononcer, dont une très grande marque mais dont le groupe auquel elle appartient préférera finalement décliner.

La genèse, partie 1

La vision de Jean-Christophe Babin se basait sur une dizaine de marques fondatrices, unies et motivées par cette opération commune et unique (il n’a jamais été question de se substituer aux organisateurs de salon au-delà de l’édition 2020), et le tour de table fut bouclé avec la participation de Gérald Genta, appartenant au groupe Bvlgari, ainsi qu’une autre grande marque préférant rester discrète. Lundi 3 mars pendant toute la matinée, les responsables de la communication des 8 marques s’activent pour mettre au point une déclaration commune, validée aussi par l’Etat de Genève qui soutient le projet. Les médias du monde entier reçoivent alors le communiqué de presse dévoilant le lancement des Geneva Watch Days. Le nom est celui utilisé les années précédentes pour les présentations des marques horlogères de LVMH en marge des salons genevois de début d’année. L’ensemble obéit naturellement aux décisions du Conseil Fédéral du 28 février 2020 sur les rassemblements publics et aux recommandations futures de l’OMS et du Conseil Fédéral en fonction de l’évolution de l’épidémie de la Covid-19. D’ailleurs, trois semaines plus tard, les marques fondatrices décidèrent de décaler les Geneva Watch Days à fin août pour tenir compte de la situation sanitaire (Cliquez ici pour plus d'informations).

Quand les marques se tendent la main

Qu’ont donc en commun Breitling, Bvlgari, De Bethune, Gérald Genta, Girard-Perregaux, H.Moser & Cie, MB&F, Ulysse Nardin et Urwerk appartenant à des groupes tels que Kering et LVMH pour certaines et à leurs fondateurs pour d’autres?  L’esprit d’entreprise est leur dénominateur commun, avec l’envie pour moteur et l’agilité comme boite de vitesse. Si les dirigeants des quatre marques indépendantes « de niche » forment déjà un cercle relativement soudé et habitué à se retrouver sur les différents salons du monde entier, il n’en est rien pour ceux des grandes marques qui se sont pourtant tendu la main. Car une fois le principe adopté, il a bien fallu s’entendre pour définir les grandes lignes de l’événement, les budgets, le fonctionnement, le format, étudier les candidatures des autres marques ainsi qu’une multitude de détails.

La genèse, partie 1

Invité aux comités de pilotage réunissant chaque marque fondatrice, GMT a pu constater à quel point la transparence et la bienveillance n’ont pas quitté la table de négociation. Le premier meeting s’est tenu début mars chez Bvlgari à Neuchâtel, en présence des CEO. C’est ici que le format et les budgets ont été définis. Ainsi pendant trois jours, chaque marque recevra ses invités dans sa boutique ou sa suite selon son souhait, et les soirées permettront de se retrouver tous ensemble dans un lieu commun à définir (en fonction des contraintes sanitaires): cocktail de bienvenue, diner officiel, soirée festive dite « soirée GMT ». Le microsite www.gva-watch-days.com  est créé pour l’occasion afin de gérer les inscriptions, chacun partageant les coordonnées de ses détaillants et journalistes avec les autres (rarissime !). L’association Geneva Watch Days est fondée pour devenir l’entité légale qui gère le tout, à laquelle siège un représentant de chaque marque fondatrice. Un pot commun doit financer toutes ses activités. Un montant à 5 chiffres est évoqué comme mise de fond de chaque marque. Les « grands » acquiescent rapidement, les « petits » se raclent la gorge. Félix Baumgartner s’en fait le porte-parole et argumente que ce montant n’a pas la même valeur pour une marque comme Urwerk ou pour une marque telle que Breitling ou Bulgari. En visio-conférence, Georges Kern comprend sa position et propose de réduire ce montant pour les « petits », ce qu’approuvent Jean-Christophe Babin et Patrick Pruniaux. Les autres marques en attente d’inscription se limiteront à dix et payeront proportionnellement à leurs avantages. Les indépendants valident alors tous la somme, et le budget est voté. La semaine suivante, le comité de pilotage se tient chez Ulysse Nardin à la Chaux-de-Fonds, cette fois en présence des responsables marketing, pour avancer sur l’opérationnel. Toujours avec le même respect mutuel. Le binôme Bulgari-Kering se profile en force de proposition appuyé par Breitling, les décisions se prennent à la majorité. Confinement oblige, les autres comités se déroulent derrière l’écran à un rythme mensuel.

La genèse, partie 1

Un exemple pour Genève ?

Début juin, la Suisse poursuit son déconfinement et figure au 1er rang des pays les plus sûrs face à l’épidémie du Coronavirus selon le classement du Deep Knowledge Group qui a analysé la situation dans 200 pays. Les fondateurs des Geneva Watch Days ont également accepté la participation de marques aussi diverses qu’Artya, Bovet, Carl F Bucherer, Czapek, Ferdinand Berthoud, Louis Moinet, Maurice Lacroix ou Reuge.

Genève est fière d’accueillir le seul événement horloger international multimarque de 2020, et les hôteliers reconnaissants de recevoir ce ballon d’oxygène. Les détaillants et journalistes en mesure de se déplacer (200 inscrits mi-juin, avec une limite fixée à 300 pour respecter les normes sanitaires) se réjouissent de pouvoir enfin découvrir les nouveaux modèles et de pouvoir en discuter avec les représentants des marques.

Au-delà de l’égo de leurs dirigeants, de leurs tailles ou de leurs groupes, ces marques sont parvenues à se mettre d’accord rapidement pour parler d’une seule voix et continuer à promouvoir la belle horlogerie. A l’heure où le salon 2021 de Genève doit encore communiquer sa date et sa composition, des dizaines de marques craignent d’être laissées pour compte. Pourquoi ne pas leur ouvrir les portes ? Certaines prévoient de se regrouper ici et là au même moment, pas forcément à Genève. Berceau de l’horlogerie depuis la première corporation d’horlogers qui y est née en 1601, Genève a une carte à jouer légitime pour se positionner incontestablement en capitale mondiale de l’horlogerie. Les grandes manufactures qui en font la gloire ont une responsabilité également pour renforcer ce leadership. Les halles de Palexpo s’avèrent suffisamment grandes pour accueillir quelques dizaines de stands supplémentaires, voire d’en dédier une au Swatch Group. Ensemble, ne serait-ce qu’une fois par an, l’horlogerie sera plus forte et ira plus loin. Après avoir vécu la pire année de son histoire en 2020, l’horlogerie a besoin d’un nouveau sauveur pour la fédérer et la relever en 2021. Viendra-t-il de Genève et sera-t-il bicéphale ?