Les horlogers ont-ils fumé la moquette ? (1)

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Les 10 montres les plus invraisemblables, les plus inattendues ou les plus improbables de ce printemps 2008. Première tranche, par ordre alphabétique, en commençant par une pièce absolument hors-concours.

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TOP 10 CREATION 2008 :

Les horlogers ont-ils fumé la moquette ? (première partie)

Les 10 montres les plus invraisemblables, les plus inattendues ou les plus improbables de ce printemps 2008. Première tranche, par ordre alphabétique, en commençant une pièce absolument hors-concours.


HORS-CONCOURS
DeWitt WX-1

Top 10 Créations 2008_320756_1Top 10 Créations 2008_320756_2Top 10 Créations 2008_320756_3Top 10 Créations 2008_320756_4Top 10 Créations 2008_320756_5S'agit-il vraiment d'une « montre » ? Et plus précisément d'une « montre-bracelet » (à porter au poignet) ? Si oui, il faut l'accrocher au milieu de l'avant-bras tellement elle est longue. Si ce n'est pas le cas, de quoi s'agit-il ? Au bénéfice du doute et parce qu'elle est signée DeWitt, jeune manufacture des plus respectables, on va admettre qu'il s'agit d'une… pièce d'horlogerie. Mais quelle pièce ! Un double boîtier : le premier, à gauche, en pyramide tronquée, qui comporte une sorte de « tiroir » auquel est accolé le second boîtier, semi-circulaire. Le mouvement à rouages verticaux (parallèles) est logé dans le « tiroir », qui comporte deux « cheminées » débouchant sur le côté : l'une pour le tourbillon vertical, l'autre pour la couronne de remontage téléscopique. Avec ses alignements de boulons, ses superstructures non fonctionnelles, ses plaquages décoratifs et ses angles « industriels », disons que le syle général est plus proche de la Tour Eiffel ou du Nautilus de Jules Verne que de la tradition Poinçon de Genève. L'affichage de l'heure est bien entendu non conventionnel, avec des disques plutôt que des aiguilles, la couronne de droite servant uniquement à la mise à l'heure.
Le meilleur est tout de même le support quadripode qui permet de poser cet étrange artefact sur une table, non pas pour en faire une pendule de table (il aura fallu incliner le cadran pour le rendre lisible), mais pour en faire un témoin du temps qui passe, voire pour en faire admirer les volumes. En parlant de quadripode, toute ressemblance avec les quadripodes impériaux de Star Wars n'est sans doute pas fortuite : il est impossible que cette coïncidence ne soit pas un clin d'œil de l'équipe des designers à tous les nostalgiques des AT-AT (All Terrain Armored Transport, dans L'Empire contre-attaque, ci-dessus)). Puisqu'on vous dit que les montres contemporaines sont des jouets de garçons…

Mon avis personnel :
On ne laisse pas le volant d'une Lamborghini à un débutant qui vient de décrocher son permis. Et on ne traîne pas un premier communiant au Crazy Horse Saloon. On admettra donc qu'il faut une certaine culture horlogère pour apprécier – aimer ou détester – une pièce comme la WX-1. C'est de l'art conceptuel plutôt que de l'horlogerie traditionnelle. Ce n'est pas le Star Wars addict qui parle : moi, j'aime, même si je n'ai pas 1 % de la somme (confidentielle, mais compter 200 000 à 300 000 euros) à débourser pour emporter la « bête ».
Et c'est dommage, parce que je suis persuadé que c'est une future star de la collection horlogère. Le post-proto « pièce unique » de cette WX-1 s'était vendu 400 000 euros sur la foi d'une simple image de synthèse. Si cette « pièce unique » (on dirait qu'elle a fait des petits, puisque DeWitt annonce une série limitée d'une centaine d'exemplaires) revenait sur le marché, je suis persuadé qu'elle fera plus d'un million d'euros…

AK Genève Warp HMS Automatic

Top 10 Créations 2008_320756_6Top 10 Créations 2008_320756_7Top 10 Créations 2008_320756_8En anglais, warp désigne quelque chose comme la distorsion temporelle, concept cher au cœur des amateurs de science-fiction, qui se retrouveront dans ce vaisseau intergalactique de poignet (livraison prévue en 2009). Pour les fans de Star Trek, ce serait plutôt le module qui commande la téléportation à bord de l'USS Enterprise.
C'est évidemment volumineux, mais étrangement portable puisque le boîtier est disposé sur la longueur du bras, et non dans la largeur du poignet. C'est évidemment très travaillé, avec des basculements imprévus du boîtier en fibre de carbone moulée, des volumes sculptés, des découpes « industrielles », du caoutchouc, des boulons usinés, des matériaux chics (or rose, titane) et des inserts high-tech : on admirera au passage la macro-couronne, mais aussi la forme fuselée, avec l'angle plongeant de la droite vers la gauche (ce qui permet à la chemise de mieux glisser sur la montre). A l'intérieur, un affichage des heures et des minutes par disques rotatifs, sous un jeu subtil de grilles.
Le mouvement est pour l'instant assez basique (base mécanique suisse vintage retravaillée), mais AK Genève (marque créée par un des ex-créateurs de Cvstos) met actuellement au point son propre mouvement, avec un concept d'intégration cylindrique qui fait s'empiler tous les rouages dans une espèce de « tube » qui distribue l'énergie et qui anime les affichages horaires. Tant ce mouvement que les lignes du boîtier ont fait l'objet d'études et de simulations numériques approfondies.

Mon avis personnel :
C'est évidemment fait pour être remarqué au poignet, et ça se fait remarquer : pour avoir porté le prototype pendant quelques jours, on peut dire que ça soulève à peu près autant de questions que si des Martiens débarquaient sur le guéridon du bistrot. On aimera ou on détestera, mais il est ensuite difficile de revenir aux montres basiques du XXe siècle, même celles qui ont résisté à toutes les modes. L'ensemble est plus séduisant que bien des montres « conceptuelles » présentées ce printemps, peut-être parce que le design de la Warp a intégré et digéré les principaux enseignements de la révolution horlogère. D'où son style « apaisé », dénué de toute agressivité, qui donne d'autant plus confiance que la conception globale de la montre s'appuie sur une technicité largement éprouvée en amont. Plusieurs détaillants internationaux spécialisés dans les marques de niche ont déjà passé commande, ce qui devrait donner à l'équipe d'AK Genève les moyens d'accélérer la mise sur le marché. Vivement demain !

Azimut Mecha-1 BMF « Mr Roboto »

Top 10 Créations 2008_320756_9Top 10 Créations 2008_320756_10Déjà, le nom n'est pas très sexy. Le style non plus, mais j'imagine qu'il a ses admirateurs. Pour ceux qui aiment cette « tête de robot », il faut préciser que c'est du Swiss Made, animé par un mouvement automatique ETA (visible dans le micro-hublot du fond de la montre), avec une complication (double fuseau horaire) et des minutes rétrogrades. Mr Roboto ne fait pas dans la discrétion, avec une boîte de 43 mm de large pour 50 mm de haut. Les vis à tête Torx sont évidemment de rigueur pour faire encore plus high-mech.
En guise de « récit marketing », une référence à Mr Roboto, qui fut un des premiers robots en fer-blanc de l'histoire du jouet, dans les années cinquante. Précision pour les initiés : Azimuth est une marque singapourienne, capable du meilleur (la SP 1 Mecanique à mouvement Unitas, ci-dessous) et surtout du pire, dans le goût chinois vaguement inspiré par la tradition allemande et l'avant-garde suisse. Prix public : 3 000 euros (4 800 francs suisses).Top 10 Créations 2008_320756_11Mon avis personnel :
J'avais déjà remarqué (et écrit dans Business Montres) que les montres Azimuth étaient le fruit monstrueux du mariage entre Richard Mille et une machine à laver. Je persiste et je signe, en notant, au passage, l'apparition des initiales BMF, qui veulent peut-être quelque chose en chinois (personne n'a pu me le préciser) mais qui rappellent furieusement celles de MB & F (Max Büsser & Friends). Je trouve ce repompage très agaçant pour les marques, mais en même temps stimulant pour l'industrie : en banalisant très vite les marqueurs identaires des marques de rupture, ces copieurs obligent ces marques à ne pas relâcher leur allure créative et à nous étonner un peu plus chaque année. On pourrait parler ici d'« effet pompage » pour expliquer comment les soutiers de l'horlogerie aident en fait les références d'avant-garde à maintenir leur différence.

Cabestan Winch Tourbillon Vertical

Top 10 Créations 2008_320756_12Top 10 Créations 2008_320756_13Top 10 Créations 2008_320756_14Tout finit par arriver, même la mise au point de cette Arlésienne de la concept watch, dont les premières images de synthèse ont commencé à circuler voici près de trois ans. A force d'être présenté aux grandes marques (Audemars Piguet ou Hublot ont refusé de prendre ce risque), le concept pourrait d'ailleurs avoir inspiré d'autres mouvements à tourbillons « verticaux », par exemple celui de la Quenttin de Jacob & Co. Jean-François Ruchonnet a fini par développer lui-même son idée, pour en faire une marque à part entière. Pilotée en tandem par Andreas Stricker, une équipe s'est lentement constituée en vallée de Joux (L'Orient), en s'enrichissant de talents de premier plan, souvent transfuges des grandes manufactures voisines. C'est que l'aventure est autrement plus excitante dans une structure indépendante : quoi de plus normal que des… corsaires s'associent pour faire en sorte que cette Cabestan fonctionne. La première série est en cours d'assemblage, dans un ambiance d'atelier assez particulière, pour ne pas dire un sympathique bordel qui ne gâche rien côté productivité…
Pour ceux qui auraient manqué le début, la Cabestan est une montre à tourbillon vertical, qui se remonte par un winch logé dans la boucle déployante. Complexité mécanique extrême : près de 1 100 composants, dont 600 pour la seule chaîne. Et originalité esthétique totale. Son entraînement par fusée-chaîne lui donne un délicieux style rétro-futuriste. Au poignet, c'est la talking piece par excellence, le problème étant qu'elle fera aussi beaucoup parler votre banquier s'il tombe sur la facture (200 000 à 300 000 euros selon les taxes locales).

Mon avis personnel :
En visitant l'atelier Cabestan de L'Orient, j'imagine ce que devaient être les premiers établissements des pionniers horlogers de la vallée de Joux. Ayant déjà beaucoup parlé, sur Worldtempus et dans Business Montres, de cette Cabestan, qui est devenue l'icône de la révolution horlogère, je ne l'ai pas placée dans mes coups de cœur des salons 2008, mais je maintiens que c'est une des montres les plus importantes de ces dernières années. Elle synthétise tous les apports de la nouvelle génération dans les domaines du concept marketing, du design, de la technique horlogère et même de l'élégance horlogère contemporaine : comparée à d'autres « patates », qu'elle est portable et discrètement démonstrative, du fait de sa « petite » taille ! Yvan Arpa, un autre expert du marketing horloger ne s'y est pas trompé, en commandant une série limitée de Romain Jerome by Cabestan, avec boîtier « rouillé » et tubulures de machinerie « façon Titanic ». Série limitée (ci-desous) qui prouve la force du concept Cabestan, capable de résister à la confrontation avec le puissant concept Titanic-DNA : d'autres marques sont d'ailleurs tentées de créer, en one shot, des séries limitées qui mixeraient l'expression de leur propre identité aux marqueurs de la Cabestan.Top 10 Créations 2008_320756_15Top 10 Créations 2008_320756_16

  

De Grisogono Meccanico DG

Top 10 Créations 2008_320756_17Top 10 Créations 2008_320756_18Top 10 Créations 2008_320756_19Pour les lecteurs de Worldtempus, cette montre méca-digitale n'est plus une inconnue. Quelques nouvelles de sa mise au point avant d'en vanter les avantages : elle n'est pas encore tout-à-fait au point. C'est la moindre des choses pour un concept de rupture et il semblerait qu'il s'agisse d'une question de distribution énergétique. Le fonctionnement des sous-ensembles est assez satisfaisant pour qu'on envisage une mise en production d'ici à la fin de l'année. Quand ça veut bien fonctionner, c'est stupéfiant et passionnant à observer…
Reste l'idée forte : indiquer simultanément l'heure par des aiguilles (affichage analogique classique) et par des chiffres (affichage digital, encore jamais tenté sur une montre mécanique en complément d'un affichage par aiguilles). Les difficultés micro-mécaniques sont innombrables, du fait des transferts d'énergie et des deux plans sur lesquelles le mouvement doit fonctionner (horizontal pour les rouages, vertical pour les cames). Jamais ces champs de travail n'avaient encore été exploités : il semblerait d'ailleurs que de Grisogono ait fait appel à un constructeur non-horloger pour fiabiliser ces cames et leurs renvois.

Mon avis personnel :
D'une part, le boîtier est magnifique par le travail de ses volumes (une pyramide tronquée aux angles adoucis) et le moelleux de ses finitions : il est vrai que la qualité du design a toujours été un des points forts des montres dessinées par Fawaz Gruosi. L'effet méca-digital est superbe sur le cadran, d'autant que l'amateur pourra choisir la couleur de son affichage. D'autre part, l'exploration de l'affichage numérique est un champ prometteur, tant sur le plan esthétique que sur le plan mécanique. C'est d'ailleurs la mode cette saison (Manufacture contemporaine du temps, Harry Winston pour ne citer que ces marques) et tous les motoristes y travaillent (Christophe Claret, Renaud Papi, BNB, Agenhor, sans compter les indépendants). Si on peut travailler des chiffres sur un cadran, on pourra demain y afficher n'importe quel message ou animer n'importe quelle fonction horlogère. Voici le temps des montres-jouets, dont la Jack Pot présentée l'année dernière par Girard-Perregaux était l'élément précurseur. La bonne nouvelle, c'est que les horlogers de luxe n'ont plus peur des chiffres, restés trop longtemps connotées bas de gamme asiatique…

A suivre : la seconde partie des réponses à la question "Les horlogers ont-ils fumé la moquette ?"

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