Le succès des mouvements vintage

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Une nouvelle race de calibres a vu le jour...
Rassemblant dans une même construction des composants anciens et actuels, ces nouveaux calibres doivent leur existence à la découverte de vieux stocks de pièces. Mais à moins de bénéficier de temps, d'argent et de la manufacture adéquate l'exercice s'avère risqué. 

Ils ne portent pas de nom précis, mais les spécialistes les repèrent au premier coup d'?il. Depuis une poignée d'années, les marques qui peuvent se le permettre lancent des séries limitées d'un genre nouveau. A la place d'un calibre usuel, elles installent un mouvement hybride fait de composants anciens alliés à d'autres tout à fait actuels. Totalement fiabilisés et adaptés aux exigences modernes, ces métis horlogers excitent la curiosité des collectionneurs. A cheval entre le passé et le présent, une nouvelle famille de garde-temps a vu le jour.En horlogerie, pas besoin de suivre le célèbre pirate Jack Rackham pour espérer mettre la main sur un trésor. Un détour dans un vieil atelier abandonné ou dans une cave de manufacture oubliée peut suffire à décrocher la timbale, pourvu que des cartons de composants ou, mieux, de mouvements entiers s'y trouvent. Car ce qui passait pour de la ferraille il y a quelques années encore peut se transformer en or. «En 2003, nous avons décidé de restaurer plusieurs dizaines de mouvements Angelus SF 240, se souvient Angelo Bonati, CEO d'Officine Panerai. Ces calibres équipaient plusieurs collections dès les années 1940, ils avaient donc une forte valeur historique et symbolique pour la marque.» De ce stock, Panerai tire 150 exemplaires baptisés Luminor 8 jours pour ses huit jours de réserve de marche. Dès leur sortie, les pièces s'envolent pour rejoindre les coffres de collectionneurs. Aujourd'hui encore, le CEO reçoit périodiquement des lettres d'amateurs qui insistent pour en acheter une. «Depuis son lancement en 2005, son prix a augmenté de 30%, constate Angelo Bonati. Mais malgré ce bon écho, ces rééditions ne représentent qu'un épiphénomène en marge des collections courantes.» Des exceptions dont Panerai a pourtant l'habitude. En 1997, date de son rachat par le groupe Richemont, elle lançait 60 rééditions de son premier modèle Radiomir de 1938 doté d'un mouvement Rolex d'époque. Une belle façon de ressusciter la légende. Universal Genève connaîtra une aventure similaire. Au tournant de 2004, Vincent Lapaire reprend en main la marque et lance sans tarder une vaste opération d'inventaire. Dans toute la Cité de Calvin, les caves, les stocks et les lieux de production que la marque détenait sont passés au crible pour débusquer les pièces, outils ou archives oubliés au fil des déménagements successifs. Tendance_320380_0L'opération débouche sur une excellente surprise: la découverte d'éléments du calibre Lémania, la structure de base des mouvements maison UG 84.1 et UG 82.1. «Nous sommes tombés sur des cartons entiers de composants sans savoir qu'en faire, explique le CEO. Une expertise a conclu qu'ils étaient utilisables pour reproduire ces mouvements emblématiques de l'histoire de la marque.»

Le pétillant directeur saute alors sur l'occasion et lance deux lignes aux mouvements spécialement décorés, l'Okeanos Compax et l'Okeanos Aero-Compax, une montre connue pour son affichage 24 heures. Si quelques pièces attendent encore dans leurs coffrets, Vincent Lapaire se dit très satisfait du résultat. «Cette action a rendu de la légitimité à la marque.» «Cette façon de mélanger des composants neufs et anciens date d'une dizaine d'années au maximum, constate Jean-Pierre Jaquet, fin connaisseur de ces vieilles mécaniques. Les enseignes de renom gardent bien de petites séries de mouvements anciens et en excellent état pour des séries limitées, mais ce n'est pas comparable.» Nouvelle et décalée, la démarche laisse les constructeurs perplexes, même si on reconnaît que le résultat a de l'intérêt. «Pour être utilisés, ces mouvements doivent répondre aux normes de qualité actuelles, explique Frédéric Wenger, directeur de la société La Joux-Perret. Ce travail de mise à niveau coûte très cher, prend du temps et, pour être correctement réalisé, la marque est presque obligée d'avoir recours à une manufacture». Un propos confirmé par Jean-Pierre Jaquet qui relève au passage que «ces pièces que l'on récupère viennent majoritairement de stocks qui étaient auparavant dédiés au service après-vente. On leur attribuait environ 20% de la production.» Des stocks dans lesquels étaient réservés des mouvements partiellement défectueux et qui donnent, aujourd'hui, beaucoup de fil à retordre aux horlogers. Quant aux composants, la problématique reste la même. Montés sur des châssis actuels, ils doivent eux aussi être modifiés en profondeur, un travail fastidieux à réaliser pièce par pièce. Venus, Peseux, Lemania, Angelus, Chézard, Valjoux ou encore Arnold Schild, ces manufactures, dont certaines sont défuntes, continuent d'émoustiller les collectionneurs. L'aura du passé suffirait-elle à expliquer cette mode des calibres vintage? A cet accent nostalgique pourrait s'ajouter l'intérêt financier lié aux montres anciennes. A la différence qu'ici, l'acheteur se paie une tranche d'histoire sans avoir à en assumer les inconvénients en termes de fiabilité, un avantage de taille. Reste que les constructeurs sont unanimes: réhabiliter ces ancêtres vaut son pesant d'or. Une explication suffisante pour justifier la rareté de cette race de moteurs inédite et prometteuse. Louis Nardin source: Bilan.ch (reprise d'un article paru dans Bilan le 2 avril 08)
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