Qui sont les acheteurs?

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Portrait de deux acteurs qui comptent dans l'industrie.

Liens indispensables entre les horlogers et le client final, les distributeurs ont débarqué en force à Baselworld. Des quatre coins de la planète, de toutes les capitales, ils convergent, comme lors d'une transhumance, vers la cité rhénane afin d'y faire leurs emplettes.

Les produits commandés à cette occasion se retrouveront dans quelques mois dans leurs vitrines et leurs boutiques ou celles des agents.

Il existe de véritables géants de la distribution, en volume ou en importance, comme Wempe (Allemagne), Sincere (Singapour), Ahmed Sediqqi & Sons (Emirats arabes) ou encore Westtime, (Etats-Unis). Le Temps a souhaité leur donner la parole.

Les deux représentants choisis viennent à dessein d'Asie, véritable locomotive de la croissance horlogère. A tel point que le continent pèse désormais plus de 43% des exportations horlogères suisses. Soit deux fois plus que les Amériques.


Michael Tay, patron de The Hour Glass

En Asie, The Hour Glass est une véritable institution.

Son pouvoir - énorme - infléchit parfois même la politique de certains horlogers. La voix du distributeur, basé à Singapour et coté en Bourse (280 millions de chiffre d'affaires en 2005), est largement écoutée dans le landerneau horloger suisse. Pour son neuvième Baselworld, Michael Tay, fils du fondateur de la société créée en 1979, va se laisser surprendre. Il n'a pas d'idée arrêtée. Mais une chose est sûre, il devra emmagasiner les commandes auprès des 60 marques qu'il représente afin d'alimenter les 28 boutiques gérées en propre que le groupe possède partout en Asie. Y compris au Japon.

Selon lui, les marques qui cartonnent en ce moment en Asie sont Rolex, qui possède quelque 25% des parts de marché, Breguet, qui atteint des sommets jamais vus, et Hublot, dont la croissance d'une année sur l'autre a atteint 450%. En ce qui concerne, les marques de niche, Richard Mille fait un tabac. Dire que Michael Tay est un véritable amoureux des montres tient de l'euphémisme le plus réducteur. Il possède une culture horlogère hors pair qui ferait rougir bien des horlogers suisses. Michael Tay travaille au coup de cœur. Dans son portefeuille, figurent bien sûr les géants de l'industrie, comme Rolex ou Patek Philippe. Ce qui ne l'empêche pas de donner sa chance aux petits horlogers indépendants comme Kari Voutilainen ou Vianney Halter.

Expliquer l'incroyable patrimoine de la Suisse

«Il faut soutenir l'innovation et la créativité. Si on est passionné, les affaires viendront plus tard. Nous avons une vision sur le long terme.» Michael Tay voue un tel culte au savoir-faire horloger qu'il organise des séminaires et des cours pratiques pour les habitants de Singapour. «Nous nous devons d'expliquer l'incroyable patrimoine de la Suisse.» The Hour Glass organise aussi son propre salon horloger qui tend à devenir le Baselworld asiatique (Tempus). Les marques aiment y venir et parfois y dévoilent des pièces exclusives. Les maîtres horlogers des différentes manufactures font même le déplacement à Singapour pour montrer leur métier. Mais Michael Tay voit encore plus grand avec un musée entièrement dédié à l'horlogerie suisse. Il a d'ailleurs déjà un nom: Museum of Contemporary Horological Art (Mocha). Comme son nom l'indique et cela reflète les goûts des Singapouriens, le contemporain a la primauté. Pas de rétrospective de quatre siècles de traditions horlogères.

Il est dit dans le petit cénacle horloger que Singapour est devenu la première place mondiale pour les montres de luxe. C'est aussi dans la cité-Etat qu'il existe la plus grande concentration de grands collectionneurs. Avec The Hour Glass, l'horlogerie suisse a trouvé un allié de taille. Ambassadeur de surcroît.


Dirk Paulsen de Melchers

Melchers possède son siège à Singapour.

A l'instar de The Hour Glass, la société Melchers possède aussi son siège, certes asiatique, à Singapour. Et ce n'est pas un hasard. On estime que, dans la cité-Etat, il se vend au mètre carré et par habitant (4,5 millions) plus de montres que n'importe où ailleurs dans le monde. Arrivé jeudi soir à Bâle, Dirk Paulsen, directeur du groupe allemand Melchers, ne devra pas faire de choix douloureux parmi les centaines de marques présentes à Baselworld. Chez Melchers, c'est le haut de gamme avant tout et la sélection s'est arrêtée sur deux marques seulement. A savoir, primus inter pares, Patek Philippe et Breitling. Ce qui lui facilitera grandement la tâche et lui évitera de marcher des kilomètres dans les luxueuses travées du salon horloger, les stands des deux marques étant à quelques mètres l'un de l'autre.

Dirk Paulsen, qui en est à son vingtième Baselworld, ne souhaite pas dévoiler la somme dont il dispose pour ses achats. «Cela donne des indications à la concurrence. Dans ces conditions, nous préférons être discrets», narre-t-il. Il paraît néanmoins évident qu'une bonne partie du budget sera dévolue à Patek Philippe, puisque les deux entreprises entretiennent des relations privilégiées. «Depuis trente ans, Melchers est le distributeur de Patek Philippe dans le Sud-Est asiatique», explique-t-il. Créée en 1806 et basée à Brême, la société s'occupe aussi de Singapour, de l'Indonésie, de la Malaisie et de la Thaïlande pour la manufacture. Melchers possède une boutique en propre à Shanghai.

Patek Philippe et Melchers, qui ont fondé une coentreprise, ont ouvert en 2005 une boutique exclusive à Shanghai ainsi qu'un centre de service après-vente. Le groupe genevois a ainsi pu saisir plus tôt que prévu l'occasion de prendre pied en Chine, l'autre marché de tous les superlatifs.


Baselworld en bref

- Sharon Stone devient la nouvelle ambassadrice des Montres Dior. Sous la direction artistique de John Galliano, et fixée par l'objectif du photographe des stars et de la mode Mario Testino, l'actrice américaine a prêté son image à la montre Dior Christal.

- Nul n'est prophète en son pays. La visite de Roger Federer au stand de son sponsor Rolex n'a pas provoqué de mouvement de foule particulier. Il est vrai que le numéro un mondial du tennis y est venu mercredi, lors de la journée consacrée à la presse. Celle de Paris Hilton annoncée ce samedi à Bâle devrait par contre créer plus de remous. Il n'empêche. Des collaborateurs de Rolex se sont grandement réjouis du dernier timbre lancé par La Poste. Leur égérie arbore avec ostentation une montre de la fameuse marque à la couronne. Une photo prise lors de sa dernière victoire à Wimbledon. Et on ne voit - presque - que le garde-temps. Pur hasard?

- La croissance des ventes de Montres Breguet a dépassé la moyenne horlogère suisse l'an dernier. La marque du Swatch Group, présidé par Nicolas Hayek, a tiré profit des quelque 350 millions investis depuis sa reprise en juillet 1999. «Breguet est devenue l'an dernier le numéro un des montres de luxe, en chiffre d'affaires, en notoriété et en développement de nouveaux produits», a indiqué dans un entretien accordé à l'ats Nicolas G. Hayek. Selon lui, la marque aurait donc dépassé Patek Philippe.

- A force de faire virevolter les chiffres, Jean-Claude Biver, patron d'Hublot, donne le vertige et interloque ses concurrents. Alors que la marque voulait atteindre la barre des 200 millions de francs de chiffre d'affaires en 2012, elle pourrait être franchie en 2009, a-t-il indiqué au Temps. Soit avec trois ans d'avance. Pour cette année, Hublot escompte des ventes de 150 millions de francs, contre 96 l'année précédente. La marque, qui va lancer l'an prochain son propre mouvement, a innové cette année. Au lieu d'attendre les acheteurs à Bâle, Jean-Claude Biver a fait le tour de ses principaux distributeurs avant la manifestation. Du coup, le patron a enregistré 54,5 millions de commandes alors que le salon n'avait pas encore ouvert ses portes. «Une somme qui n'ira pas chez d'autres marques.» Avec cette pratique, si elle se généralise, Baselworld est-elle menacée?

- Bernard Fornas, patron de la marque Cartier - en mains du groupe Richemont -, a été adoubé en France. Il a reçu jeudi soir des mains du ministre délégué au Commerce extérieur, Christine Lagardeles, les insignes de Chevalier dans l'ordre national de la Légion d'honneur.

- Contrairement à ce qu'une dépêche de l'ats laissait entendre, l'entreprise horlogère chaux-de-fonnière Corum ne va pas investir plusieurs millions de francs dans Vaucher Manufacture, à Fleurier (NE). Par contre, la collaboration entre les deux sociétés va être renforcée.

Le Temps / Bastien Buss, Bâle / www.letemps.ch