La Freak Diavolo à l'essai

La manufacture historique des marins de haute mer est aussi dans le peloton de tête de l'innovation horlogère. La Freak, modèle iconique où le mouvement tourne sur lui-même pour indiquer l'heure, incarne cette autre facette de cet esprit pionnier et courageux.


WORLDTEMPUS – 12 avril 2012

Louis Nardin

En 2001, alors que les termes «horlogerie contemporaine» ou «indépendants» n'existent pas encore pour décrire les marques décidées à explorer une mécanique horlogère alternative et avant-gardiste, Ulysse Nardin, manufacture célèbre fondée en 1846, présente son modèle Freak. Il reste aujourd'hui une icône recherchée âprement par les collectionneurs. Réputée pour ses chronomètres de marine et ses montres à complications, la manufacture locloise accouchait là d'une pièce maîtresse. Certainement parce qu'elle mettait en scène le mouvement directement pour indiquer l'heure. Mais aussi parce qu'elle intégrait des composants en silicium, une matière appelée à révolutionner la haute horlogerie, et que testait en toute discrétion Ulysse Nardin.
Lors de la dernière édition de Baselworld, Elizabeth Doerr, Rédactrice en chef de la version anglaise de Worldtempus – lire son compte rendu - et moi-même portions une version «rare» puisqu'en acier de la Freak Diavolo, dernière-née de la collection. Hors cette matière moins noble en remplacement de l'or blanc et un fond de travail à la place de la réserve de marche «Diavolo», rien ne différait de la version originale. Flash-back sur une expérience forte.Ulysse Nardin_332498_0
Concentré d'audace

Plus qu'une montre, la Freak concentre la substance moderne d'Ulysse Nardin. Elle traduit par exemple le courage propre au repreneur de la marque Rolf Schnyder en 1983 alors la marque était sur le point de disparaître – elle ne comptait plus que deux employés. En effet, alors que l'horlogerie libère timidement sa créativité grâce à de nouveaux moyens de conception et de production, Rolf Schnyder se montre plus radical encore et ose une montre sans cadran, ni aiguille, ni couronne et dotée d'un calibre révolutionnaire. A ses côtés le Professeur Ludwig Oechslin partage cet appétit pour le futur et trace les lignes maîtresses du mouvement. Il est d'ailleurs l'artisan à l'origine du redéploiement de la marque en termes d'innovation horlogère.

Mais il n'est pas seul car Rolf Schnyder se constitue dès le départ une équipe forte et qui subsiste aujourd'hui. A commencer par Patrik Hoffmann, actuel CEO et qui avait premièrement reçu la mission d'ouvrir le marché américain. Pierre Gygax, Directeur de la manufacture a quant à lui insisté pour qu'Ulysse Nardin maîtrise parfaitement le silicium puis le revêtement de ces pièces par du diamant artificiel pour protéger la matière – procédé Diamonsil. Autre cheville ouvrière, Susanne Hurni dirige toujours la communication. Ou encore Lucas Humair qui pilote la recherche, le développement et la production. A travers l'histoire de la Freak apparaît donc aussi une seconde naissance pour Ulysse Nardin, basée dans ce cas sur une dream team, de celles qui écrivent des chapitres déterminants dans les sociétés – Jean-Claude Biver, Président de Hublot, n'emporte-t-il pas systématiquement avec lui une poignée de collaborateurs proches lorsqu'il change de maison?Ulysse Nardin_332498_1

"Discussions-piece"

Drapée de noire, avec des touches de couleur rouge vif, la Freak Diavolo a tant le caractère d'une sportive qu'elle sait se faire élégante. En arborer une n'est pas anodin, tant les réactions sont différentes de celles qu'on aurait attendues. En effet, pas ou peu de «waouh effect» de la part de ceux qui l'aperçoivent. Certainement que son look, aujourd'hui, n'est peut-être plus aussi spectaculaire qu'à l'origine en vous envoient un clin d'œil d'un air entendu, comme cela arrive avec les produits rares et appréciés à leur juste valeur par les connaisseurs. Toutefois, la Freak Diavolo joue surtout un rôle de point de départ pour évoquer la place particulière qu'Ulysse Nardin occupe sur l'échiquier horloger. L'extraordinaire renouveau de la marque est souvent commenté, l'équilibre de ses ventes sur les marchés principaux salué – la patte de Rolf Schnyder comme as de la vente reste nettement visible -, l'audace innovatrice dont la marque a fait preuve loué.
A contrario, le design particulier et presque inclassable des collections continue d'intriguer. Comme pour la technique, Ulysse Nardin trace un chemin très personnel pour l'esthétique de ses montres. Mais sur ce point-là, les autres marques n'ont pas suivi. Et c'est, justement, ce qui fait aussi le charme à la fois étrange et fascinant de la marque à l'ancre.

Cornes de réserve

La Freak Diavolo ne déroge pas à cette règle. Massive, épaisse – il faut de la place pour ce calibre -, ses cornes tombent rapidement sur le poignet. Son volume empêche des frottements inconfortables, qui viendront toutefois de la triple boucle déployante, malheureusement trop peu ergonomique. Ceci mis à part, son système de mise à l'heure par la lunette en déverrouillant un loquet de sécurité à 6h a permis d'éliminer la couronne, et de consolider un peu plus ce sentiment excitant d'avoir au poignet une montre littéralement hors catégorie. Sur le fond, une seconde lunette tournante permet de remonter le barillet dont on aperçoit le ressort, unique et mesurant plus de 1,80 mètre grâce au fond saphir et à des ouvertures sur l'immense rochet, à considérer plutôt dans ce cas comme un couvercle vu sa taille. Le nom «Diavolo» vient d'ailleurs de l'indication de la réserve de marche affichant deux «cornes» de couleur. Ceci étant, le modèle mis à disposition possédait un fond de travail dépourvu de cet indicateur.Ulysse Nardin_332498_2

Echappement sonore

D'apparence ultracomplexe, la Freak Diavolo offre les fonctions de base des heures, des minutes et des secondes, ceci grâce à la cage d'un tourbillon volant effectuant une rotation en une minute. Décrit comme un calibre de type carrousel puisqu'il effectue une rotation sur lui-même, il pivote sur deux roulements à billes en céramique, une évolution par rapport à la version originale. Les heures sont indiquées par une flèche en forme de delta marquée directement sur le tambour du barillet, visible donc de face. Ici, comme pour les heures, le système entier vient s'engrener sur une crémaillère périphérique pour contrôler et stabiliser sa marche. Les heures sont indiquées par le calibre-baguette en-lui-même. Si l'ensemble constitue un exercice brillant et inégalé de construction horlogère, la lecture de l'heure n'est pas aisée lorsque les deux «flèches» sont superposée, par exemple au alentour de 2h10.
L'échappement, palpitant à une fréquence de 4 Hz soit 28'000 alternances-heures, intègre les dernières innovations en termes de matériaux high-tech tel un spiral et une roue d'échappement réalisés en silicium – ici bleu miroitant -, ainsi que d'autres composants obtenus par photolithographie. Mais le plus surprenant ici vient du son, très distinct et audible, des cliquetis de l'ancre et de la roue d'ancre. Il est vrai que même posée sur la table de chevet, la Freak Diavolo continuait d'émettre sa mélodie technique, audible pour approximativement 130'000 francs.

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