L’horlogerie décryptée par un coloriste

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Watchmaking decoded by a colourist  - Trends
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L’horlogerie aurait-elle peur de la couleur ? Elle ne s’essaie que rarement à l’audace chromatique, surtout en comparaison de l’univers joaillier. Jean-Gabriel Causse, coloriste designer, en décrypte les principales tendances.

Il en va ainsi en horlogerie comme en mode : la « couleur de l’année » est un sujet récurrent, propice à d’interminables discussions. Certes, il y a des couleurs qui mettent (presque) tout le monde d’accord. Le noir, l’or, supposés des signes d’élégance. Portez un chrono rouge, vous serez sportif. Mais osez une montre rose ou violette, vous ne serez...rien. Car ces couleurs ne renvoient à aucun socio-type agréé. Pour ainsi dire, elles n’existent pas en horlogerie. Pourquoi ? Personne ne le sait. Mais comme tout le monde, ou presque, possède la même « black list », personne n’en discute. Sauf Jean-Gabriel Causse.

 

Jean-Gabriel Causse

 

Assaut chromatique

Pourtant, les choses sont en train de changer. Deux facteurs favorisent une évolution des mentalités. Le premier, c’est l’assaut des montres d’entrée de gamme. Libérées, flashy, ces Swatch, Ice Watch et autres Festina ne peuvent par définition s’affirmer que par leur look. Elles en jouent sans complexe. « Ce sont des marques qui assument la couleur. On pourra s’en lasser plus rapidement, mais aussi en changer plus simplement, donc la recette fonctionne », analyse Jean-Gabriel Causse. Leur succès est au rendez-vous, il s’en vend par millions. Suffisamment pour que l’horlogerie traditionnelle se laisse tenter.

Peu à peu, les marques tentent donc la couleur. Au début, l’horlogerie n’a même pas osé toucher la montre elle-même. Les manufactures se sont timidement attaquées au bracelet, interchangeable suivant les saisons. On se souvient des Linea de Baume & Mercier. Prise de confiance, elle est ensuite partie à l’assaut de la boîte. Là, la porte d’entrée la plus évidente – et donc la moins risquée – fut le noir. PVD et DLC ont largement popularisé son usage, encore aujourd’hui très tendance. « Le noir est une couleur discrète, qui permet d’être portée en toute occasion et qui ne se démode pas », poursuit Jean-Gabriel Causse.

Surprise : le public suit ! Ni une ni deux, les horlogers avancent d’un pas de plus : c’est la lunette qui se pare de rouge, de blanc. On se souvient, il y a 10 ans, de la blanche J12 de Chanel, ou encore de la rouge Big Bang Ferrari d’Hublot, « une couleur d’alarme ». Osera-t-on attaquer le dernier bastion imprenable de la couleur, le cadran ?

Couleurs, Acte II

Décomplexée, l’horlogerie trempe alors ses cadrans dans un modeste nuancier de couleurs. Certes, point trop d’audace : l’usage de certains tons n’est que la conséquence du retour en force du vintage. La Monaco de TAG Heuer ou la Sixties de Glashütte Original ne doivent leur bleu électrique qu’à leurs aînées des années 60. Idem, dix ans plus tard, pour la Nautical Heritage Seventies de Vulcain, revenue en force en 2013 et déclinée en tons verts, bleus ou orangés. « Il est intéressant de constater que les marques prennent soin d’actualiser leurs diamètres, mais pas leurs couleurs », note Jean-Gabriel Causse. « Pourtant, une couleur aussi, cela s’actualise ».

 

Nautical Heritage Seventies

 

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L’horlogerie n’aurait-elle donc plus composé de gammes chromatiques inédites depuis 50 ans ? Peu. Trop peu. Car les récentes introductions des nouveaux tons ont pourtant emporté l’adhésion du public. Chez Dior, par exemple, la dernière Chiffre Rouge se pare d’un somptueux cadran gris ardoise, une tendance déjà engagée avec la Midnight Monochrome Automatic d’Harry Winston. « Ce gris ardoise renvoie à la matière brute, c’est très tendance », souligne Jean-Gabriel Causse. « On retrouve la même approche en architecture avec le gris du béton, que l’on n’hésite plus à laisser apparent ».

Davidoff a pour sa part appliqué un traitement rare à ses cadrans : un bleu intense ciselé de côtes de Genève – « une couleur qui détend, idéale pour les gens stressés ! » Jaquet Droz en a décoré de la même manière ses Grandes Secondes SW. Ce procédé permet de donner deux variations simultanées d’une même couleur, selon la lumière. H. Moser & Cie a d’ailleurs suivi la même voie. La manufacture est la seule, à ce jour, à produire ses fameux cadrans fumés, devenus sa marque de fabrique. En ce cas bien précis, un traitement chromatique est même devenu la signature esthétique de la marque. « Voilà une approche unique, très intéressante. Le choix du dégradé de jaune illumine le cadran de l’intérieur, comme un soleil », analyse Jean-Gabriel Causse. On retrouve une approche similaire chez Corum, qui a fait des reflets de plume la signature de sa Feather. Le pouvoir des couleurs est donc loin d’avoir été épuisé !

 

Velocity Classic de Davidoff

 

Le crédo joaillier

Cette approche très progressive de la couleur, presque timide, n’a pas cours en joaillerie. De Grisogono, marque déjà emblématique du diamant noir, a fait de la couleur son crédo. Ses Tondo By Night en sont l’éclatante illustration. « Cette pièce est très audacieuse, le mariage du rouge et du violet est peu courant », poursuit Jean-Gabriel Causse. « Il faut savoir que ce sont les deux couleurs les plus stimulantes d’un point de vue sensuel et sexuel. Cette montre est clairement un objet de séduction ! ». Chez Bédat, on ose également marier le fuchsia et le vert au profit d’une pièce éclatante – « une approche très tendance, très moderne ». La Crystalball Stellaire de Badollet ose un vert énergique. La Rondo Hippocampe de DeLaneau conjugue un bleu turquoise sous-marin à un ambitieux bracelet marron.

Pourtant, ces audaces chromatiques de la joaillerie ont dû mal à franchir le seuil de l’horlogerie. Ce qui semble naturel en joaillerie est encore improbable en horlogerie. Celle-ci semble éprouver le besoin de s’abriter derrière une mode (le vintage), un procédé (le DLC, le PVD), une matière (la céramique) pour entrer dans l’univers des couleurs. Espérons qu’un jour elle puisse se passer de ces encombrants chevaux de Troie. Et que sa créativité technique et mécanique devienne enfin chromatique.

 

La Tondo by Night de De Grisogono