Gros ou petit ?

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Does size matter? - Big watches - small watches
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Contrairement à ce que nous entendons de ci de là, lors de conversations intimes et sur un ton rassurant, la taille, ça compte ! Et en horlogerie plus qu'ailleurs.

Le sujet des dimensions est bien plus qu'une simple question de chiffres. Il s'agit à la fois de tendances, de technique, de style et de pertinence. Il suffit de se rappeler de Flavor Flav, membre de Public Enemy qui a passé toute sa carrière une horloge géante autour du cou. Bouffon pour les uns, maître provocateur pour les autres, cet accessoire a suffi à l’imprimer dans la pop culture des années 1990.

Jusque dans les années 1960,  une grande montre pour homme mesurait un maximum de 36 mm. Tout ce qui se situait au-delà était une exception, motivée par des considérations fonctionnelles. Or les montres militaires ou de plongée étaient des raretés dans le civil. Puis les années psychédéliques ont momentanément libéré les diamètres, qui ont atteint les 40 mm, voire plus avant de retomber comme des soufflés. Il aura fallu attendre 1993 et un modèle emblématique, la Royal Oak Offshore d'Audemars Piguet de 42 mm, pour que la mode de l'oversize, de l’ostentation par le diamètre ne démarre lentement. Elle a connu son pic historique vers 2008, époque où des montres de 48 mm (et 16 d'épaisseur) n'étaient plus des exceptions fantasques mais une demande du marché.

Le curseur et la folie sont retombés depuis. Les diamètres se tassent pour atteindre aujourd'hui un point médian autour de 40-41 mm. Mais la tendance actuelle ne se résume pas à cela et la diversité des styles horlogers se cumule à la diversité des marchés. Entre les grands gabarits du nord de la Chine, des États-Unis et de la Russie d'un coté, le sens de l'ostentation de l’Asie du Sud-Est et de l’Amérique Latine, les goûts conservateurs de la Vielle Europe et les petits poignets japonais, les stéréotypes morphologico-sociétaux tournent à plein. Seule constatation possible: il en faut pour tous les goûts et toutes les tailles.

Longines - Conquest Heritage 35 mm

L'éventail des propositions s'étale désormais entre 34 mm et 50 mm, pour les hommes. Pour les dames, il est encore plus large puisque ces dames n'ont jamais cessé de piquer leur montre à leurs conjoints, voire de les imiter, tout en n'ayant plus peur de redescendre dans des diamètres où l'on a du mal à lire l'heure sans une loupe. Vers 20 mm de diamètre, il faut en effet de bons yeux. Mais à l'inverse, pour porter une montre de pilote de 50 mm, il faut soit mesurer 2m10 pour 120 kilos ou n'avoir absolument aucun complexe.

IWC - Grande Montre d’Aviateur « Heritage 55 »

En effet, le diamètre est une quantité relative. Le confort de porter exige une corrélation entre la taille de la boîte et celle du poignet. Sans quoi, la montre bouge, tourne, glisse, cogne et déchire les poignets de chemise. Seule parade, l'ergonomie. Un fond de boite courbe et des cornes plongeantes permettent d'arrimer un boiter de 48 mm sur un poignet de jeune fille, fut-il celui d'un homme. Mais rares sont les marques qui ont opté pour cette démarche. En particulier parce que cela augmente la complexité de fabrication et de design, comme l'a très bien compris Richard Mille.

Richard Mille

La taille des boîtiers est corrélée à ce qu'ils contiennent. Et un mouvement est bien plus cher et long à développer qu'une boîte. Les premières années de l'oversize ont donc été alimentées par des calibres trop petits pour les montres qu'ils équipaient. Petite seconde collée au centre, compteurs de chronographe qui louchent, indicateurs de réserve de marche perdus dans des cadrans trop vastes, les montres des années 2000 ont porté des vestes trop grandes, des pantalons trop longs. Or en horlogerie, le fond et la forme ne peuvent être séparés car le raccourci, la solution de facilité sautent aux yeux.

Gros ou petit ?

Un autre facteur a poussé à cette surenchère de diamètre. La multiplication des complications et le besoin de les lire facilement a élargi les ouvertures, les indications et les mouvements ont enfin suivi. Les presbytes s'en sont réjoui...jusqu'à ce que le soufflé ne retombe à nouveau.

Le sujet de la taille est encore plus profond que cela. Il existe un débat d'école technologique entre ceux qui pensent qu'il faut faire plus grand ou plus petit. Par exemple, Blancpain utilise de petits balanciers légers, qui repartent au quart de tour après une perturbation. D'autres prennent la voie inverse et veulent de grands balanciers, lourds et donc à forte inertie, ce qui les protège des chocs et préserve leur amplitude. Face à un test de chronométrie, il n'y a pas de vainqueur évident.

Dans une montre à répétition minutes, faut-il un petit mouvement qui colle au boîtier pour que le son de l'un passe plus efficacement vers l'autre ? Ou alors faut-il laisser un grand vide dans un grand boîtier pour créer une caisse de résonance ? Le débat n'est pas tranché après quinze années de progrès incessant sur le sujet.

Autre exemple, la réserve de marche. Pour atteindre de grandes autonomies, Chopard utilise deux blocs de deux petits barillets en série, son système Quattro, qui autorise 9 jours de marche. A l'autre opposé, Oris n'emploie qu'un seul barillet, de bien plus grande taille, pour tenir 10 jours. La taille compte, certes, mais ce qui compte est comment on s'en sert.