Le sujet n’est pas facile. Si l'on se réfère à sa définition, le style est la part de l’expression qui est laissée à la liberté de chacun et n’est pas directement imposée par les normes, les règles de l’usage ou de la langue. Il est donc intimement lié à la personne et parle d’émotion, d’image, de projection ou d’intention.
Avoir du style – ou pas – est encore plus difficile à évaluer parce qu’il y a le style vu par celui qui en est à l’origine et le style vu par les autres. Mais qu’est-ce qui « fait » le style d’une montre ? La réponse est forcément multiple. Le style est l’intégration de divers composants (boîtier, cadran, bracelet, boucle) faits d’une manière innovante, inhabituelle ou différente. Parfois le style est lié à la fonctionnalité (le boîtier réversible de la Reverso), parfois il est purement esthétique (Chopard Happy Sport).
Mais alors, qu’est-ce que le goût ? Si on regarde le Larousse, le goût est « la capacité à discerner ce qui est beau ou laid, selon les critères qui caractérisent un groupe, une époque ou une manière esthétique ».
Même si style et goût sont intimement liés, ils sont pourtant différents. L’un vient de celui qui le projette en sortant d’une norme, alors que l’autre l’évalue en fonction d’une norme. Le style est lié à la personne; le goût est, quant à lui, associé à un environnement, une époque ou une référence sociale.
Bien sûr, l’idéal est d’être considéré comme ayant du style (son image de marque) et du goût (la capacité à bien intégrer son style dans les normes choisies).
En matière horlogère, le style et le goût sont des dimensions importantes. La montre est née comme un objet utilitaire, mais est très vite devenue un marqueur social. Cette tendance ne s’est pas calmée et, aujourd’hui encore, le style et le goût influencent grandement l’industrie horlogère.
Sans compter que le choix d’une montre passe immanquablement par cette dimension : on la choisit parce qu’on l’apprécie. La montre doit s’intégrer à un style et doit véhiculer une image. Les caractéristiques esthétiques ont donc pris peu à peu le pas sur les capacités techniques. La digitalisation, qui a rendu caduque l’objet « technique » horloger, a de la même façon renforcé sa dimension stylistique.
Une montre est donc un élément fondamental du style personnel. Il y en a pour tout le monde ! Que votre style soit classique, sportif, bohème, vintage, sérieux ou décalé, peu importe. Il y aura toujours une montre qui s’accordera à votre envie du jour. Et pour les plus anciens ici, je suis sûr que vous avez gardé à l’esprit cette fameuse pub horlogère des années 1970 : « vous vous changez, changez de Kelton ! ».
Mais au-delà d’être partie du style, chaque montre a aussi le sien. Cependant, certaines en ont plus que d’autres. C’est notamment ce qui vaut à certaines pièces d’être qualifiées du – trop galvaudé – terme d’icône.
Ce qui crée le style d’une montre, c’est un alignement de planètes entre un design, une fonctionnalité, une histoire, des « composants » et une perception, immédiate ou future. C’est une vision magique qui intègre de manière innovante, inhabituelle ou différente divers composants (boîtier, cadran, bracelet, boucle), pour créer un assemblage cohérent, unique et « qui fonctionne ».
Ces fameuses pièces « iconiques » ont la particularité de naître, de disparaître parfois, de renaître, et de se repenser. Le style est donc difficile à déclarer, à priori parce qu’il est aussi le résultat d’un accueil public et de son intégration dans une époque et une norme esthétique.
Quand on pense style, on pense par exemple à la Reverso, la Royal Oak, la Laureato, la Nautilus ou la J12. La force de ces montres est d’avoir marqué leur époque. Chacune de ces pièces s’est élevée au-dessus de la marque qui l’a créée, au point – parfois - d’en devenir handicapante. En effet, trop de style empêche parfois d’innover. Et, comme pour un artiste cantonné à certains rôles, il est difficile de changer l’image des montres au design très marqué.
Le succès de nombreuses marques horlogères s’est assis sur une ou plusieurs montres qui ont marqué leur époque par leur style. Mais pourtant, une marque tient une place à part dans cette histoire de forme: Cartier.
Pourquoi Cartier ?
La première question que l’on peut se poser est de savoir si Cartier est vraiment une marque horlogère ?
Si l'on considère qu’un « horloger » ne doit faire que des montres, alors non, Cartier n’entre pas dans cette catégorie. Pourtant, née bijouterie en 1847, Cartier a vite rajouté l’horlogerie à son offre.
Par contre, si le facteur d’évaluation est l’ancienneté et l’impact de la marque sur l’industrie horlogère et son histoire, alors oui, Cartier mérite grandement sa place parmi les grands de l’horlogerie.
Mais, alors que d’autres marques sont entrées dans le pinacle horloger en développant des outils de mesure du temps, Cartier a pris un autre chemin. Celui du style.
Les créations de la marque française sont toutes très marquées. De ce point de vue, Cartier est plutôt unique, car la marque dispose d’un catalogue remplit de montres iconiques. Ceci est un exploit.
Pourquoi ? Parce que, comme évoqué plus tôt, une montre « iconique » tend à effacer les autres, à se mettre sur le devant de la scène pour ne plus jamais quitter les lumières. A ce titre, elle pénalise les marques qui se croient obligées de la servir, et de ne pas la déranger … Chez Cartier, rien de tel.
La liste de ses divas est impressionnante : la Tank, la Pasha, la Panthère, la Tortue ou la Ballon Bleu.
Chacune de ces pièces est fort différente et pourtant elles contiennent des marqueurs communs chers à la Maison. C’est une autre réussite exceptionnelle de Cartier : faire évoluer les styles, ou en créer de nouveaux, tout en liant les diverses créations grâce à des éléments reconnaissables entre tous. Il y a les fameux chiffres romains, le cabochon sur la couronne, les aiguilles en forme de glaive ou le chemin de fer présent sur le cadran.
En 1978. Cartier rajoute un bracelet acier à la Santos. Le design de ce dernier est tellement particulier qu’il deviendra indissociable de la montre. Quelques années plus tard, Cartier inventera un système de bracelet amovible pour sa Roadster, permettant ainsi de faire évoluer le style de la montre en fonction de son humeur.
Cartier sait donc créer du style depuis longtemps. Ses créations ont toutes une histoire particulière. Mais parmi ses stars, il y en a une qui mérite une attention spéciale. Pour les amateurs d’horlogerie, il s’agit de la première. Son nom est Santos.
La Cartier Santos : une première qui dure
Il faut toujours une première fois.
Parfois c’est un échec, quelque fois un beau souvenir. Quelque fois, cette première lance une belle histoire qui ne s’arrête plus. Avant Santos, il y avait bien des montres gousset que certains originaux attachaient à leur poignet, mais cet « effet de style » n’allait pas durer... parce que Louis Cartier rencontra Alberto Santos-Dumont.
Le célèbre aviateur brésilien était un pionnier. Il a commencé par les ballons pour s’orienter ensuite vers les avions légers, et même les hélicoptères. Nous étions alors à l’aube du XXe siècle.
Cependant, l’aventurier était frustré de ne pas pouvoir lire le temps sur sa montre de poche, alors qu’il pilotait. C’est ainsi qu’est née une grande idée : créer une montre qui devait être portée au poignet, être lisible, pratique et simple.
Non seulement Louis Cartier venait d’inventer la première « montre-bracelet », mais il venait aussi de donner naissance à la première montre d’aviateur. Deux premières en une ! Nous étions en 1904.
Il faudra cependant attendre 1911 pour que la montre entre en production et soit commercialisée. Lorsque l’on pense montre d’aviateur, on pense ronde, cadran noir, grosse taille, grosse couronne et bracelet en cuir gras.
La Santos est exactement … l’inverse.
Cette Santos était petite, carrée, en or, avec un bracelet en cuir beige clair. Son cadran était blanc, ses chiffres romains et ses aiguilles de style Breguet. La Santos d'Alberto Santos-Dumont n’avait pas encore son verre entouré d’un cadre percé de vis. Il faudra attendre les versions commerciales (1911) pour voir apparaître ce trait de design qui n’allait plus quitter la Santos.
La Santos allait connaître plusieurs évolutions durant sa carrière. Comme évoqué plus tôt, une des plus célèbres sera l’addition d’un bracelet acier en 1978. Ce bracelet aux fins maillons décorés de vis allait devenir un autre élément d’identification de la Santos.
On peut dire que la Santos « moderne » était née.
En 2018, 40 ans après, Cartier a décidé de remettre sa Santos au goût du jour et nous offre une Santos exceptionnelle à plus d’un titre.
En matière de style, on retrouve tout ce qui a fait sa célébrité. Il y a la forme carrée, galbée, la lunette maintenue par huit vis, la couronne octogonale, le cabochon, le cadran blanc et les chiffres romains !
La montre est proposée en deux tailles, 35.1 mm sur 41.9 mm ou 39.8 sur 47.5, soit en acier, or et acier ou tout or.
Cartier a aussi choisi d’offrir sa Santos sur le fameux bracelet « à vis » de 1978. Mais celui-ci a été repensé. Et de quelle façon !
D’abord les maillons peuvent se changer très facilement, sans avoir recours à un horloger. Il suffit de presser sur un poussoir présent sur chaque maillon pour libérer le dispositif d’accrochage ! Simple, pratique et presque révolutionnaire (eh oui, Apple y a pensé avant …). En plus de cette fonctionnalité, la Santos est équipée d’un système de changement rapide de bracelet, inspiré de la Cartier Roadster.
D’ailleurs, si vous attendez encore de bonnes nouvelles, en voici une : chaque Santos est offerte avec deux bracelets, un en acier et un en cuir avec boucle déployante. La qualité du bracelet cuir est irréprochable et j’apprécie beaucoup le mélange entre des coutures classiques et vintage.
Côté mouvement, la Santos est animée par un calibre maison Cartier, le 1847 MC. La grande Santos a une date, la petite, non.
La montre est étanche a 100M, son fond est plein et vissé. Tout ceci fait de la Santos une montre qui peut s’adapter à beaucoup de styles, tout en conservant le sien. Elle peut être sportive, habillée, fun ou sérieuse. Sa polyvalence est impressionnante !
Avec cette montre, Cartier remet donc la Santos sur le chemin de la Gloire.
Il est temps qu’elle prenne son envol.
Qu’en pense l’avocat du diable ?
Difficile de prendre la Santos en défaut.
On peut lui reprocher des index non lumineux, mais pour regarder l’heure la nuit, il y a l’iPhone…
Mon principal reproche porte sur la boucle déployante qui accompagne le bracelet cuir. Elle est classique, mais peu pratique lorsqu’il s’agit d’ajuster le bracelet. Aussi, la façon d’attacher le bracelet à la boucle peut s’avérer fastidieux et peut également endommager le cuir.
Comment porter la Cartier Santos avec style ?
La polyvalence de la Santos lui permet de s’adapter à tous les styles.
Ma combinaison préférée reste la version de 40 mm sur bracelet cuir gold. A l’usage, celui-ci se patine et renforce le look sportif de la Santos. Le système d’attache empêche de choisir des bracelets non Cartier, mais la marque propose diverses couleurs, toutes plus sympathiques les unes que les autres. Il y a du rouge, de l’orange, du bleu pétrole et même du vert.
Si vous choisissez une Santos en or, prenez alors la taille inférieure et tout en or. Il vous suffira alors de regarder à nouveau Wall Street et de choisir un style à la Gordon Gecko. Costumes à rayures tennis, chemise à col blanc, bretelles et regard agressif !
Si, par contre, vous préférez la version acier, combinez son côté « passe-partout » avec un costume de la même veine. J’opterai alors pour un Zegna en Techmerino « Wash & Go » gris, une paire de John Lobb Holme en veau velours bleu foncé, l’indispensable chemise blanche et pourquoi pas un gilet hoodie « navy blue » en cachemire léger (Kujten.com). Une autre option est de porter un polo en cachemire marine d’Éric Bompard.
Il restera alors à choisir la couleur du bracelet, entre sérieux (gold) ou plus original (orange ou rouge).
Vous voici parés pour un petit tour en avion. En survolant les nuages, pensez alors à ces premiers fous volants, héros, aventuriers, mais aussi figures de style !
