Karl et Gérald : Audemars Piguet Royal Oak – Jumbo ou 15500 ?

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Karl and Gérald: Audemars Piguet Royal Oak – Jumbo or 15500?  - Why not...?
Alors que notre collectionneur local présente habituellement une montre en particulier, cette fois-ci, son coeur balance... A vous de choisir !

Voilà, il est parti. Il a été l’image de la mode pendant des décennies. Il a été capable à la fois de se créer et de créer. Presque tout le monde le connaît, parfois même au-delà de ses créations. Génie inventif, mais aussi personnage public, il s’est forgé une image, au point de se transformer lui-même en « produit ». Un look, un accent, des saillies toujours bien placées. Qu’on l’aime ou pas, Karl Lagerfeld était un monument.

Ce qui est intéressant avec la mode, c’est justement le pouvoir de l’image. Les créateurs de mode réussissent souvent à dominer leurs créations, en devenant une part intégrale des inventions qui sortent de leur esprit. Leur nom est leur marque ou, faudrait-il plutôt dire, leur marque est leur nom. Même s’ils veulent rester discret, ils ne le peuvent pas. Leur nom est partout. Sur des robes, des tee-shirts, des étiquettes, voire même sur des sacs en papier ou des petits relevés de cartes bancaires que vous recevez lorsque vous achetez une de leurs créations.

Le designer est partout.

En matière d’horlogerie, c’est bien différent.

Car l’histoire des montres ne vient pas du paraître, mais de l’utilité technique. Pendant longtemps, la montre a été un objet techniquement utile. Son image s’est créée par la fonctionnalité. Une montre était avant tout un assemblage de composants, tels que des poussoirs, des couronnes, des boîtiers ou des bracelets. Et, bien sûr, un mouvement. Une fois réunis, nous avions un objet fonctionnel.

Cependant, peu à peu, le design a commencé à s’imposer. Non pas par volonté de le faire, mais comme une conséquence de la fonctionnalité. Prenons certaines montres devenues « iconiques ». La Rolex Submariner est une pièce que tout le monde reconnaît. Une lunette noire, un cadran simple, une typographie particulière, des aiguilles bizarres et un bracelet fonctionnel. Rien de bien exceptionnel pourtant. Mais quand vous mettez ces éléments ensemble, vous obtenez une montre que tout le monde connaît et désire. Plongeur ou pas, cela n’a plus d’importance. Cette montre a dépassé sa raison d’être ; son image et son design ont commencé à la détacher de sa vocation initiale.

Alors se pose une question : qui a dessiné la Submariner ? Je ne suis pas assez expert de la marque à la couronne pour vous apporter cette réponse. D’ailleurs, je ne sais même pas s’il y en a une.

La « Sub » a-t-elle été « dessinée » par un designer ou est-elle juste le résultat d’un travail d’équipe d’horlogers et de techniciens ? Le mystère va demeurer. Mais une chose est sûre. Personne à ce jour n’a revendiqué être le « dessinateur » de cette plongeuse mythique.

Les exemples de ces montres qui ont « dépassé » leur vocation initiale sont cependant peu nombreux. On les reconnaît parfois à leur capacité à mettre leur nom au-dessus de celui de la marque qui les a créés. Dans ce cercle restreint, il y a aussi la Speedmaster ou la Reverso. Mais ce club reste fermé.

Il n’y a rien de plus simple – voire banal – qu’une Speedmaster. Un chrono, un cadran noir, une échelle tachymétrique. Et pourtant « ça marche ». Pas que techniquement, mais stylistiquement. Il y a des milliers de chronographes. Il n’y a qu’une Speedy.

La Reverso est encore plus spéciale. Destinée à des sportifs pratiquant un sport confidentiel, elle s’est imposée bien au-delà de sa cible initiale et vit maintenant sa propre vie, grâce à son look.

Certaines marques ont cependant essayé de rapprocher design et fonctionnalité, et de mettre le premier au service du second. Cartier en est le plus bel exemple. Au point de parfois se demander si les créations de la marque française sont de l’horlogerie ou de la mode.

Pourtant, dans toutes ces histoires, il y a un point commun… Où sont passés les designers ?

Une chose est sûre, peu ont accédé à la célébrité. Est-ce à cause de la discrétion légendaire des horlogers helvètes ? Ou est-ce tout simplement la conséquence de la vocation technique de ces objets ? Probablement un peu des deux. Mais la conclusion reste toujours la même. Le designer horloger reste un contributeur discret, caché, voire oublié.

Au point d’ailleurs d’utiliser le terme « montre de designer » pour qualifier une catégorie de montres pas vraiment respectée, celle des pièces de mode « cheap » et techniquement inintéressantes.

Bref, designer et montre ne font pas forcément bon ménage.

Pourtant, il faut toujours un contre-exemple.

Et dans notre petite histoire horlogère, il s’appelle Gérald Genta. L’histoire de ce designer horloger est unique. Il est probablement un des rares créatifs qui soit aussi connu que les montres qu’il a créées. L’exploit est d’autant plus intéressant que son imagination s’est mise au service de marques « classiques », voire relativement conservatrices. La liste est longue et rassemble des noms aussi célèbres qu’Universal, Omega, Patek Philippe et bien sûr Audemars Piguet, dont nous reparlerons un peu plus tard.

C’est justement pour cela que l’histoire de Gérald Genta est intéressante parce que rien ne laissait présager qu’un designer allait autant influencer ces marques, au point que ses créations allaient devenir parfois même encombrantes. Pourquoi ?

Parce qu’avec Gérald Genta, le design allait prendre le pouvoir sur la fonctionnalité. En bousculant les codes, en brisant les a priori, Gérald Genta allait créer un style qui allait s’imposer aux marques. « Ses » montres se ressemblent et pourtant elles sont toutes uniques. Elles ont des éléments qui les connectent, mais vivent aussi par elles-mêmes. Si elles sont liées par le même esprit, elles portent tout de même l’ADN des marques. Une Constellation est une Omega. Une Nautilus est une Patek Philippe. Les deux sont des Genta.

Mais revenons au titre de cet article : Karl et Gérald.

Nous voici donc en présence de deux génies qui ont chacun influencé leur industrie.

Je ne sais pas s’ils ont eu l’occasion de se rencontrer. Mais une chose est sûre, la montre du premier avait été dessinée par le second : c’était une Royal Oak. J’aime à penser que ce ne peut pas être qu’un hasard. La Royal Oak de l’icône de Chanel venait d’Italie. Comme le père de Gérald Genta. L’Audemars Piguet de Karl Lagerfeld avait été « traitée » en noir, sa couleur favorite. Et cette montre était une des premières Royal Oak produite, montrant que Lagerfeld avait reconnu très tôt le talent de Genta.

Pour rendre hommage à ces deux artistes, il n’y a donc pas de meilleur exemple que l’Audemars Piguet Royal Oak, une montre « de designer » que l’un des meilleurs designers de l’histoire a portée pendant de nombreuses années, de la même façon qu’Agnelli, sur le poignet de ses chemises.

Pourquoi Audemars Piguet ?

Il y a peu de marques horlogères qui peuvent se targuer d’une telle histoire et qui ont en même temps traversé les années en restant indépendantes.

Audemars Piguet fut fondée en 1875 par deux amis d’enfance devenus horlogers, Jules Louis Audemars et Edward Auguste Piguet, dans un petit village suisse appelé Le Brassus. Dès son origine, la marque s’est concentrée sur les montres à complications, inventant par exemple le premier mouvement à répétition minutes. Il y eut ensuite la première montre à heures sautantes, la première montre « squelette » ou un des premiers calibres ultra-fins.

Audemars Piguet est donc une marque qui s’est bâtie sur - et par - le mouvement. Son expertise et sa reconnaissance sont venues de la capacité à créer des calibres compliqués, esthétiquement magnifiques et techniquement révolutionnaires. Son aura et sa réputation se sont donc construites sur l’établi des horlogers et pas dans les cahiers de dessin d’un artiste…

C’est pourtant en 1972 que la marque du Brassus prendra tout le monde par surprise en allant à l’encontre de son ADN. La Royal Oak venait de naître. Une pièce sportive, en acier, au mouvement simple. Un style unique, honni au début, mais devenu depuis incontournable.

Une montre dessinée par le génial Gérald Genta.

Elle allait influencer à jamais le futur d’Audemars Piguet par sa puissance stylistique. Désormais, la création de Gérald Genta et la marque du Brassus n’allaient plus se quitter. Aujourd’hui, la Royal Oak est pratiquement devenue aussi puissante qu’Audemars Piguet. La création de la Maison a pris le pouvoir et toutes les tentatives pour en diminuer l’influence sont pratiquement vouées à l’échec.

Le chemin pris en 1972 par Audemars Piguet a aussi chamboulé l’industrie horlogère en inventant la montre de luxe sportive. Au-delà d’être une pièce horlogère, la Royal Oak est le signe d’une époque et d’une tendance que toutes les marques allaient désormais suivre. Et en premier lieu, le rival historique d’Audemars Piguet, Patek Philippe. Même histoire et conséquences presque similaires. Quatre années après la Royal Oak, c’est la Nautilus qui voit le jour.

Encore une fois dessinée par le même Gérald Genta… Mais c’est une autre histoire et un autre nom dont nous parlerons bientôt…

« Les » Audemars Piguet Royal Oak : le choix cornélien

Il est difficile de parler de cette montre, car tout a été écrit sur elle.

La Royal Oak est probablement une des plus belles montres actuelles. Lorsque l’on aime autant le style que la simplicité, il est difficile de faire mieux que cette sportive subtile qui règne sur l’offre d’Audemars Piguet.

Au fil des années, elle s’est déclinée en une myriade de versions. Elle est devenue chronographe. Elle s’est habillée d’or, de titane, voire de céramique. Elle est devenue encore plus sportive en donnant naissance à l’Offshore. Elle s’est rabibochée avec la haute horlogerie en abritant des calibres grandes complications, mais aussi un mouvement à quartz. Enfin, elle a grandi. Elle a rapetissé aussi.

Pour moi, la Royal Oak doit rester en acier et conserver son mouvement aux fonctionnalités simples. Cependant, au moment d’écrire cet article, je me suis trouvé face à un dilemme : Jumbo extra fine de 39 mm ou la nouvelle 15500 présentée cette année au SIHH ?

Karl et Gérald : Audemars Piguet Royal Oak – Jumbo ou 15500 ?

Avant de choisir, revenons à Karl Lagerfeld quelques instants.

Sa couleur préférée était le noir. D’ailleurs, la Royal Oak Jumbo du Directeur artistique de Chanel était complètement noire. Selon les experts, il s’agirait d’une des premières Royal Oak jamais produites (en 1973) qui aurait été « noircie » en appliquant un revêtement PVD.

Cette montre n’a donc jamais été produite telle quelle par Audemars Piguet. Il s’agit d’une modification – probablement réalisée en Italie.

Voici donc mon dilemme.

La Royal Oak de Karl Lagerfeld est une Jumbo. Ses index sont fins et son cadran est noir. Elle est reconnaissable à la « double marque » souvent associée à ce modèle : le cadran arbore à la fois le nom Audemars Piguet et le logo AP. Avec sa taille réduite de 39 mm, c’est justement ce qui m’attire plus du côté de la Jumbo.

Cependant, dans l’offre actuelle, elle n’existe pas avec un cadran noir. Et le grand Karl aimait le noir.

Je peux alors me retourner vers la nouvelle 15500, disponible dans cette couleur de cadran. Elle est plus imposante (41 mm), plus épaisse, ses index sont plus larges et l’impression générale est plus massive. On dira qu’elle est plus contemporaine.

Alors, Jumbo de 39 mm contre classique de 41 mm ? Cadran au motif Petite Tapisserie contre Grande Tapisserie ?

Karl et Gérald : Audemars Piguet Royal Oak – Jumbo ou 15500 ?

Toutes les deux partagent bien sûr ce qui a fait la Royal Oak : la fameuse lunette, le bracelet intégré et le cadran tapisserie. Leurs mouvements sont différents, le 2121 pour la Jumbo, le nouveau 4302 pour la 15500. Mais, finalement, elles offrent les mêmes fonctionnalités.

Le choix est difficile, cornélien… Mon cœur m’amène plus vers la Jumbo parce qu’elle est plus originale et correspond mieux à la montre portée par Karl Lagerfeld. Mais la nouvelle 15500 a aussi beaucoup de pouvoir de séduction. Idéalement, il faudrait donc posséder les deux ! Et se dire que l’une rend hommage à Karl, l’autre à Gérald !

Car c’est bien là la vocation de la mode et de ces fantastiques designers : ne jamais cesser de créer pour garder l’intérêt toujours intact et continuer à séduire malgré les années. A ce jeu, la Royal Oak est une experte.

Qu’en pense l’avocat du diable ?

Il adorait les petites phrases assassines de Karl Lagerfeld. Un brin de méchanceté n’a jamais fait de mal à notre avocat du diable.

S’il lui fallait parler de cette Audemars Piguet Royal Oak, il ne pourrait pas lui reprocher grand-chose.

Seule son étanchéité limitée reste un souci. À une époque où toutes les montres résistent aisément à une profondeur de 100m, la Royal Oak est limitée à 50 m. Est-ce un caprice de créateur ou une forme d’humour ? La Royal Oak était la première montre « lifestyle » à vocation universelle, mais elle reste une terrienne plus qu’une marine.

Le problème principal de l’Audemars Piguet Royal Oak en acier reste sa disponibilité.

Elle joue à cache-cache et semble se dérober à qui veuille la saisir. Encore une fois, un petit caprice de star. Mais on lui pardonnera cette timidité commerciale, tant on aime son look et son histoire !

Comment porter une Audemars Piguet Royal Oak avec style ?

Là encore, l’exercice est difficile. Comment parler de style lorsque l’on rend hommage à des artistes comme ces deux génies créatifs ?

Pour porter notre Royal Oak comme Karl Lagerfeld, je pourrais vous conseiller de copier son look. Mais cela serait une très mauvaise idée. Car seul Karl peut s’habiller comme Lagerfeld. Construisons cependant notre look du jour autour des tons blanc et noir qu’il aimait porter.

Pas de chemise aujourd’hui, mais un tee-shirt blanc de la collection Karl Lagerfeld. Mon choix s’oriente vers un simple modèle K/Néon au discret logo coloré.

Ensuite, passons un denim Yves Saint Laurent noir si vous souhaitez rester « all black ». Pour les souliers, pas de noir. Mais une paire de sneakers blancs Outline de Berluti, qui ressort ce modèle désormais décoré de motifs Scritto ton sur ton.

Le plus compliqué sera de choisir une veste mélangeant classicisme et décontraction. Je ne saurais que conseiller une Boglioli en tissu stretch noir légèrement patiné. Son confort est exceptionnel et la façon dont est traité le tissu permet de nombreuses combinaisons.

Pour terminer notre look black & white, osons une étole noire de Chanel et une paire de lunettes de soleil Maui Jim Longitude – juste parce que j’aime Hawaï ! Vous pouvez compléter ce look par un sac à dos Volume de Berluti – de préférence dans la version blanche à liserés noirs.

Il faudra alors revenir vers la montre et finalement choisir entre l’Audemars Piguet Jumbo au cadran bleu et la cassique au cadran noir. C’est probablement cette dernière qui se mariera le mieux avec nos accessoires du jour.

Ainsi vêtu, il sera temps de partir visiter un musée de design et de rendre hommage à ces trop nombreux créateurs ignorés qui embellissent pourtant notre quotidien.

Merci à eux !

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