Il faut essayer les montres !

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Watches need to be tried on! - Editorial
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JD, Alibaba, Amazon, Net-a-Porter, lesitedelamarquehorlogere.com, tous ces canaux de vente digitaux ne peuvent vendre de montres si le public ne les a pas portées, senties et ressenties au poignet.

Enfonçons gaiement une porte ouverte. Il faut essayer les montres avant de les acheter. Quoi ? Non ! Pas possible ! Se faire une idée de ce qu'une montre procure comme ressenti, ses volumes, son confort, le toucher de sa matière, son poids, son encombrement sur le bras, son intégration dans la ligne du poignet ? Pas du tout, ces concepts sont caducs, vieillots, pré-digitaux et donc archéo-physiques ! Aujourd'hui, nous dit-on, le public achète en ligne, à distance, depuis son salon. C'est tellement pratique. C'est ouvert 24/7. C'est propre. C'est beau. C'est l'avenir !

Alors enfonçons gaiement une seconde porte ouverte : ce n'est pas vrai. Les ventes de montres sur internet sont quasi-inexistantes pour les montres neuves. Pour les montres d'occasion, oui, le concept fonctionne parce que les clients sont à la recherche du meilleur prix. On peut légitimement supposer qu'ils ont déjà essayé la montre qu'ils achètent puisqu'elles existent depuis assez longtemps. Mais les montres neuves ? Et puis quoi encore ?!

Il n'existe quasiment pas de données chiffrées, fiables ou non, pour estimer le poids de la vente de montres neuves sur internet. Aucune ? Si, une petite et elle vient de faire une brève apparition avant de sombrer dans l'oubli des présentations de résultats financiers. Dans son rapport semestriel S1 2018, le groupe Richemont vient d'inventer une catégorie : Online Retail. Elle est faite pour rendre compte de l’activité de ventes en ligne de toutes ses enseignes, en premier lieu Yoox Net-a-Porter, mais aussi Watchfinder et tous les sites marchands de ses marques. Comme ces documents exigent des bases de comparaison, Richemont donne le chiffre pour S1 2018, après l'intégration de Yoox, mais aussi le semestre précédent.

Entre avril et septembre 2017, les 17 marques de Richemont ont effectué 64 millions d'euros, soit 1 % de leurs ventes par leurs magasins en ligne. Cela inclut Montblanc et sa maroquinerie, Chloé et ses sacs et tuniques, les bijoux de Cartier et Van Cleef & Arpels et aussi des montres. Donc les montres vendues en ligne par ces marques représentent bien moins que 1 % du chiffre d'affaires du groupe... Tout ça pour ça.

Or, ces sites sont des canaux privilégiés. Ils sont construits autour de l'expérience utilisateur. Vous savez, ce concept magique et vide de sens qui est censé résoudre le manque de confiance que l'internet inspire au moment d'acheter un objet coûteux. Qui anime l'inanimé du web. Qui donne de la chair à un écran de smartphone. Cet univers onirique, enchanté, brandé, qui sent la fraise et le miel, et qui est seul à même, nous dit-on, de pousser à l'achat en ligne. Or, force est de constater que cela ne marche pas. Les montres neuves se vendent peut-être mieux sur d'autres sites généralistes, mais ils n'en disent rien. Tout au plus entend-on que ces canaux « sur-performent » ou « dépassent les attentes ». Autant ne rien dire tellement cela ne veut rien dire. Pour le détaillant américain Tourneau, leader sur un marché où la vente en ligne est puissante et bien installée, le magasin en ligne (qui arrose 325 millions d'habitants) fait un chiffre d'affaires équivalent à un de ses 24 magasins physiques.

On peut acheter en ligne un objet de prix moyen si on ne le connaît pas. On peut en acheter un de prix plus élevé si on le connaît, si on sait comment il taille, si on sait qu'on peut le renvoyer et se faire rembourser sans avoir fait un trou dans son compte en banque de la taille d'un cratère. Quoique bon, attention, le rapport annuel de Yoox Net-a-Porter avant l'intégration à Richemont montrait que le panier moyen sur ses sites était de l'ordre de 120 €. On est loin de l'entrée du luxe horloger, au-delà de 1000 €. Sans parler du cœur de ce métier, trois à quatre fois plus haut. Les implications, le sentiment de danger, la projection dans l'achat sont tous différents.

Revenons à l'origine du sujet. Il faut essayer les montres. Peu d'objets sont aussi complexes. Peu sont autant faits de détails et de volumes. Peu sont aussi intimes, portés toute la journée, plusieurs journées d'affilée. Peu sont aussi durables, contrairement à un objet de mode, un vêtement, un accessoire. Peu sont aussi impliquants. La montre est un vecteur sémiologique puissant. Il parle de style, de goût, de culture, d'affect, de couleurs, de matières.

Alors au lieu de scruter vos écrans, allez en boutique. Instagram et les sites horlogers (oui oui, même WorldTempus) sont des pistes, des démarrages. Faites-vous une idée vraie, non virtuelle de la montre. Essayez-en plein. Faites-vous plaisir. Les boutiques sont là pour vous les montrer. Les vendeurs pour vous servir. Profitez-en. Quitte à partir les mains vides, bien sûr. Mais même à l'heure d'une consommation digitale globalisée, la montre reste un objet qui se vit et qui donc, se teste, en chair et en os. Après, achetez-le là où vous voulez, là où il est disponible, mais en toute connaissance de cause.