Fenêtre sur touffe

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A hairy encounter - Editorial
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La photographie horlogère a découvert un nouveau supermodèle, le poil. Tel Kate Moss, il est fin, long et omniprésent... sauf que lui n'est vraiment, vraiment pas beau. Que faire alors ?

Si vous consultez l'actualité horlogère en ligne, vous aurez constaté qu'un nouveau composant a intégré la fabrication horlogère. Le poil du bras est devenu une présence consubstantielle à la montre, au même titre que la couronne ou le bracelet. Le wristshot, variante de poignet du selfie, a envahi les blogs, les comptes Instagram et jusqu'aux images officielles des marques en mal de mises en scène lifestyle. Et il embarque avec lui un vilain passager clandestin fait de kératine.

Car contrairement à la bien nommée nature morte, la montre portée est vivante. Elle prouve sa pertinence en se montrant sur son espace naturel, le poignet, plutôt que dans les espaces stérilisés des magasins et magazines. Mais à force d'exhibitions, la photographie horlogère est devenue plus proche d'une fenêtre sur touffe que d'une fenêtre sur le monde. Les gros plans, les mises en scène répétitives, et surtout l'abondance de poils sont tellement récurrents et écœurants qu'ils en ont perdu tout leur sens, et leur décence. Loin de dénoncer, je m'inclus dans cette logique, puisque je succombe moi-même à la tentation d'exhiber mon cubitus, mon radius et les proto-cheveux bien noirs et désordonnés qui les recouvrent.

Mais je veux me désintoxiquer. J'envisage donc sérieusement de vous épargner la vision de mon poignet. Non qu'il soit particulièrement hirsute. Il en est d'autres qui sont si drus et denses qu'on n'y distingue plus la montre, perdue dans une jungle tropicale. J'ai même un confrère si velu qu'il se rase le poignet. Je ne lui jette pas la pierre, il essaie comme moi des centaines de montres par an et cela peut se justifier, surtout vu la longueur de ses machins. Mais le reste du temps, pour dissimuler ce grand trou beige au bout de son bras essentiellement noir, il est obligé de porter un bracelet de force, qu'il ne retire que pour travailler. Vous parlez d'un sacrifice...

Mais il faut admettre qu'il est difficile de garder ses poils du bras bien coiffés pour la photo. La manche de chemise, l’électricité statique, l'absence navrante de coiffeuse pour les rendre à peu près présentables, tout cela conspire à faire rebiquer un ou deux poils qui viennent toujours se rabattre sur la boite, sur le cadran, bien noirs, bien voyants, bien moches. Discipliner ses poils du bras est une tache si insurmontable que Gad Elmaleh en a fait un des traits de son « Blond », ce type insupportable, parfait en tout et que l'humoriste francophone décrit essentiellement par le fait que quand il mange un sandwich, la mayonnaise ne dégouline jamais et « qu'il a des avant-bras avec des poils brushingués». 

Alors que faire ? Se raser, perdre son estime de soi et devenir ridicule dans la vie de tous les jours ? Mettre du gel ou un petit trait de laque toutes les 15 minutes pendant toute la durée de Baselworld ? Renoncer à la photo en live, celle qui vous prouve qu'on a bien essayé, touché, apprécié la montre dont on parle ? Cruel dilemme. La vie de journaliste horloger est vraiment trop dure.