Je pince, donc je suis

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Double trouble - Split-seconds chronographs
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Complication délicate, la rattrapante est un art. Mais elle est concurrencée sur son terrain le plus intime, celui du double chronométrage, par des complications nouvelles et rupturistes.

Une pince, deux roues à colonne, deux trotteuses et trois poussoirs. Voilà comment on pourrait décrire un chronographe à rattrapante. Cette spécialité horlogère très prestigieuse se définit par sa capacité à chronométrer deux événements qui démarrent simultanément, mais ne se finissent pas ensemble. Quand le premier événement est terminé, on arrête une aiguille de chronographe sur les deux que compte la montre. La seconde aiguille continue à courir tant que le second événement dure. A tout moment, en pressant sur le troisième poussoir de la montre, la première aiguille peut rattraper la seconde, d’où le nom de la complication. Les deux aiguilles sont alors superposées à nouveau et continuent à tourner. En regardant le dos de ces montres, leur mouvement les trahit instantanément. Il suffit de compter les roues à colonnes, ou de repérer la grande pièce en forme de pince, qu'on appelle pince de rattrapante. Elle sert à bloquer une des deux trotteuses le temps voulu, et à la relâcher.

Cependant, tout classique et prestigieuse qu'elle soit, la rattrapante reste marquée par une limitation. Elle ne sait mesurer que des écarts inférieurs à une minute. En effet, seule la trotteuse de chronographe est dédoublée. Dès que l'écart dépasse les 60 secondes, la rattrapante perd de son sens. Elle ne sert donc, dans les faits, que pour des événements très rapprochés. Pour remédier à cela, il existe trois modèles alternatifs, et c'est tout.

Le premier est une rattrapante au sens propre du terme, une double rattrapante même. Double Split, c'est le nom que A. Lange & Söhne a donné à son modèle capable de mesurer un double chronométrage exact sur 30 minutes. C'est la seule à pouvoir le faire grâce à sa double aiguille des minutes de chronographe, située dans le sous-compteur à 4 heures. Le jeu en vaut la chandelle, car ce modèle est produit sans discontinuer depuis 2004, sans changement, ce qui en fait le plus ancien modèle en gamme chez Lange.

A. Lange & Söhne Double Split

Pour les autres solutions, il faut sortir du cadre strict de la rattrapante. Pour mesurer deux temps, deux performances, deux exploits à la fois, Louis Vuitton utilise une montre avec quatre mouvements et deux roues à colonnes. La Twin Chrono est munie de trois sous-compteurs. Il s'agit d'un  bi-chronographe à différentiel, qui mesure deux temps de parcours distincts, mais aussi la différence entre les deux, le tout de manière explicite, chacun avec un compteur dédié, et gradué sur 60 minutes.

Dernière partie de cette maigre alternative, la Royal Oak Concept Laptimer d'Audemars Piguet. Ce chronographe enregistre les temps au tour, plusieurs tours de suite, en continuant à afficher le temps du tour précédent. La Laptimer fonctionne comme deux chronographes distincts réunis dans une seule montre. Le pilote finit son premier tour et l'une des deux trotteuses centrales s’arrête, donnant la performance pour ce premier tour. Le pilote a enchaîné son second tour de piste, la seconde aiguille continue de le suivre. Fin du second tour, la seconde aiguille est arrêtée et donne un deuxième temps. Au même moment, l'aiguille du premier tour a été automatiquement remise à zéro et a entamé le chronométrage du troisième tour, et ainsi de suite. Les aiguilles prennent le relais l'une de l'autre avec retour en vol.

La rattrapante reste prisée et délicate à faire fonctionner. Elle constitue le très haut de gamme de Richard Mille, Vacheron Constantin, Patek Philippe, qui y voient un sommet de l'art horloger et la traitent comme telle. Mais ses limitations d'une part, et un vent de créativité de l'autre, ont entamé son monopole sur le chronométrage multiple. On ne peut que s'en réjouir tant les solutions inventées sont ingénieuses.

 

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