L'invitation était énigmatique. Il s'agissait de plonger, en bouteilles, dans Paris, sous un monument extrêmement connu. Rien d'autre. Aucune information supplémentaire ne m'a été communiquée. Si, une petite précision : une fois que le lieu aura été révélé, il faudra le tenir secret, même après les faits.
Le taxi arrive avec 20 minutes d'avance. Décidément, ce sera une journée pas ordinaire. Il connaît l'adresse, alors que moi je suis toujours dans le noir. Il me la révèle et je dois dire que je ne sais pas à quoi elle correspond. Après un coup d’œil sur mon GPS, j'écarquille les yeux. Je vais plonger en-dessous de... de cet endroit ? Mais c'est en plein milieu de Paris ! À 1 kilomètre de la Seine. Le mystère s'épaissit.
Une fois dans le bâtiment, on me guide de couloir en coursive, vers une série d’escaliers de moins en moins jolis, pour arriver enfin au cinquième niveau sous terre. La salle est remplie d'immenses tuyaux rouges, de vannes dont les volants font près d'un mètre de diamètre. Le sol est jonché d'appareils de plongée. Bouteilles, respirateurs, recycleurs, palmes, cordons lumineux, gilets et un peu plus loin, un grand sac rouge à mon nom. Juste à côté, le comité d'accueil. Carlos Rosillo et Bruno Bellamich, co-fondateurs et respectivement CEO et directeur artistique de Bell & Ross, sourient, pas peu fiers de la surprise. A côté d'eux, un instructeur de plongée des Sapeurs Pompiers de Paris, habitué des immersions dans la Seine et autres environnements improbables.
Il nous briefe. Le lieu est donc à tenir secret pour des questions de sécurité. Il reçoit des demandes sans cesse pour y avoir accès, car cette plongée est connue dans le petit monde des cracheurs de bulles d'air. Pourtant, pas plus de 20 personnes n'y plongent par an.
Et la plongée dans tout ça ? Où est l'eau ? Nous sommes au-dessus. Il s'agit d'une citerne destinée à assurer l'intégrité structurelle du bâtiment, également réservoir d'eau en cas d'incendie. Accessoirement, elle fait partie des nombreux mystères qui hantent ce mythique lieu parisien. Elle fait 25 mètres de côté, 50 de long et près de 3 de profondeur. Au dessus, 15 niveaux, des milliers de tonnes de pierres, de marbre, et des centaines de visiteurs.
Je m'équipe. Dans le grand sac rouge, une combinaison de plongeur commando en néoprène noir. Des palmes d'un mètre de long (en tout cas, c'est l’impression qu'elles me donnent quand je fais l'erreur d'essayer de marcher avec). Un masque tout neuf. Puis, on me pose sur le dos les 15 à 20 kilos d'un recycleur. Cet appareil, réservé aux plongeurs commando, n'émet pas de bulles et permet de respirer de l'oxygène pur, recyclé en circuit fermé. Sans bulles, le voyage sera plus calme. Enfin, je mets par dessus ma combinaison une BR 03-92 Diver en céramique noire.
Je me glisse doucement le long de l’échelle et pénètre dans l’eau fraîche. A la surface, il fait déjà 30 degrés, la canicule accable la France et moi, je pousse un petit cri quand l'eau s’infiltre dans mes bottillons. Je m'immerge. Il fait vraiment, vraiment noir. Les seules sources de lumière sont les deux points d'accès, distants de 25 mètres. Sous l'eau, je me stabilise, équilibre la pression, adapte ma respiration aux spécificités du recycleur. Je suis le fil jaune phosphorescent, et la main de fer de mon instructeur, ancien nageur de combat, sympathique comme tout mais dont on sent qu'il n'a pas cassé que du bois dans sa vie.
Au bout de 10 mètres de nage, nous pénétrons dans la citerne proprement dite. Elle est constituée de piliers en briquette, qui forment des arches. J'ai l'impression de traverser sous un aqueduc romain, en version immergée. L'eau est très claire, à peine troublée par les particules que nous soulevons avec nos palmes. La sensation est irréelle. Je n'ai pas de repères, il fait noir, tout est surréaliste. Je suis sous l'eau et sous la pierre et sous la ville.
Et avec tout ça, je n'ai même pas regardé ma montre une seule fois sous l'eau. Trop occupé à respirer, me repérer (et à ne pas paniquer non plus, pas la peine de mentir), je n'y ai même pas pensé. Je ne sais pas combien de temps je suis resté sous l'eau, quelques minutes qui en durent bien plus en tout cas.
Alors au fait, quel est ce monument ? Inutile de demander, je n'ai pas le droit de vous le dire. Paris est en alerte attentat permanente. Si la citerne est plastiquée, elle noie le quartier et l’équilibre structurel du très grand, très important bâtiment au-dessus est compromis. Souriez, il n'y avait pas de raisons que je sois le seul à ne pas savoir où je mettais les pieds ce matin-là.
