Nouveau terrain d’essai pour les mouvements de montres mécaniques

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The new testing ground for mechanical watch movements  - Zero Gravity testing
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Deux horlogers situés aux extrémités opposées de la gamme de prix, chacun avec une société sœur produisant des spiraux et des échappements, s’envoient en l’air pour tester leurs mouvements sur des vols paraboliques qui créent de courtes périodes d’apesanteur. Marketing astucieux ou véritable recherche ? Nous allons le découvrir.

Le mardi 22 septembre une poignée de chanceux ont eu le privilège de vivre quelques instants en apesanteur sur le premier vol parabolique parti de Suisse. Ceux qui se trouvaient à bord de l’Airbus A310 spécialement conçu de la compagnie française Novespace ont pu ressentir plusieurs cabrés jusqu’à une assiette de 50 degrés – beaucoup, beaucoup plus abrupt que les angles de décollage auxquels un voyageur chevronné est habitué – suivis de descentes ultra-rapides à une assiette de 30 degrés, ce qui est également bien supérieur à la normale. L’accélération initiale double la force de la gravité, mais juste avant que l’avion n’atteigne le point culminant de ces montagnes russes, il y a une période d’environ 20 secondes de micro gravité (0,01g) qui est suffisamment proche de l’apesanteur pour permettre aux scientifiques se trouvant à bord de se précipiter pour mener à bien leurs expériences et pour certains des bienheureux passagers d’expérimenter une apesanteur momentanée.

Il est intéressant que deux marques horlogères, chacune associée à une société sœur produisant des spiraux et des échappements, aient décidé d’utiliser ces vols pour inventer un nouveau type de test sur les mouvements de montres. H. Moser & Cie et sa partenaire Precision Engineering ont été les premières à embarquer sur le premier vol parabolique à décoller de Suisse le 22 septembre, tandis qu’Hamilton et ETA viennent juste après, puisqu’ils ont prévu de s’envoler de Merignac, en France, le 5 octobre.

Comparer la théorie à la pratique
Les images de directeurs généraux et de mouvements flottant dans une cabine d’avion sont certes une excellente publicité, mais il y a aussi dans ces tests une authentique recherche. On trouve au cœur de ces deux programmes deux machines Witschi M10 pouvant contrôler les normes de l’industrie, chacune capable de vérifier 10 montres à la fois. Le choix de la configuration est identique, et pourtant Witschi a travaillé en étroite collaboration avec H. Moser & Cie, tandis qu’Hamilton et ETA ont organisé leurs tests de façon indépendante. Comme Martin Schürch, Directeur marketing de Witschi Electronic AG, l’a expliqué à WorldTempus, le grand défi consistait à sécuriser les équipements de contrôle dans l’avion : « Tout a dû être solidement arrimé et protégé avec de la mousse pour respecter les directives de sécurité. De plus les mouvements sont scellés à l’intérieur d’un caisson isolé pour les protéger du bruit de l’appareil. »

Il y a quelques différences subtiles entre les deux tests et leurs objectifs. Pour H. Moser & Cie et Precision Engineering, le but était de tester une gamme entière de composants de spiraux et d’échappements, y compris un nouveau prototype de spiral paramagnétique, ainsi qu’une série de mouvements entièrement nouveaux qui équiperont une ligne de produits à venir. Le but était d’étudier les changements entre l’environnement en apesanteur et les forces de gravitation normales en mesurant l’amplitude et par observation optique avec une caméra. Dominique Lauper de Precision Engineering nous l’explique : « Il est difficile d’apprendre des choses en utilisant les mêmes protocoles de tests que tout le monde. » Par précaution, les tests de Precision Engineering organisés avec Witschi comprenaient un canal d’enregistrement supplémentaire sur chaque machine pour enregistrer uniquement le son, en cas de problème avec l’équipement de contrôle, qui repose sur des mesures audio prises sur les montres par des micros de haute précision.

Hamilton et ETA vont tester les mouvements H-10, H-21 et H-20, ainsi que l’ETA2671, qui est l’un des rares mouvements mécaniques à remontage automatique sur le marché suffisamment petit pour les montres féminines. Ces expériences viseront à tester les mouvements dans un environnement en apesanteur mais aussi durant les phases d’accélération et de décélération dans le cadre d’une expérience plus large de test des montres entre 0g et 10g. « Le vol parabolique, qui couvre l’écart de 0g à 2g, est la première phase de l’expérience, explique le CEO de Hamilton Sylvain Dolla. Il sera suivi par des tests dans une centrifugeuse de 2g à 10g. » Les tests de Hamilton en apesanteur dans l’A-310 intégreront également des accéléromètres permettant de mesurer les variations de force gravitationnelle durant le vol.

Pour la division ETA du Swatch Group, l’un des producteurs de mouvements les plus importants du monde, les tests seront également une occasion d’expérimenter en conditions réelles les modèles théoriques fabriqués à l’interne. Comme l’explique Sylvain Dolla, CEO de Hamilton « lorsque la montre est en position verticale, les effets de la gravité sur le spiral sont bien connus à cause du déséquilibre du spiral ou du balancier. Lorsque la montre est en position horizontale, cependant, les effets de la gravité sont beaucoup moins clairs. A notre connaissance il n’y a pas de modèle théorique qui décrive les effets de la gravité dans une position horizontale. ETA a développé un modèle décrivant ces effets et utilise différentes méthodes pour le corroborer. Les vols paraboliques sont un des moyens de vérifier la théorie grâce à la pratique. »

La « septième position »
Les montres mécaniques sont habituellement testées dans six positions (couronne à droite, couronne à gauche, couronne en haut, couronne en bas, cadran en haut, cadran en bas). Chacune de ces positions, même les deux horizontales, subit les effets de la gravité. Les vols en apesanteur ajoutent efficacement une « septième position » dénuée de gravité et la marche du mouvement peut être mesurée indépendamment de ses effets.

Chaque période de micro gravité ne dure pourtant que 22 secondes, pour un total de seulement quelques minutes de micro gravité par vol : cela est-il suffisant pour établir une mesure fiable ? Sylvain Dolla le pense : « Cela suffit pour avoir une mesure fiable de la marche du mouvement. Le seul risque est que l’amplitude ne se stabilise pas complètement, mais la marche et l’amplitude sont mesurées toutes les deux secondes, il y aura assez de données pour le permettre. »

Les conclusions des tests de Hamilton/ETA seront appliquées au développement et à l’optimisation de la performance des montres mécaniques pour deux catégories différentes d’utilisateurs : les utilisateurs au sol avec peu de variations gravitationnelles et les sportifs/ives de l’extrême à la recherche de sensations fortes. Precision Engineering utilisera ses découvertes pour améliorer ces composants primordiaux qui se trouvent au cœur même de toute montre mécanique : le spiral et l’échappement.

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