135 ans d’expérience face aux défis du XXIe siècle

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135 years of experience in meeting the challenges of the 21st century - Poinçon de Genève
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Institution respectée mais chahutée par la modernité

Le Poinçon de Genève, garant d’une excellence horlogère de très haut niveau, est bousculé par des marques et usages en vogue. Son règlement actuel lui permet de s’adapter, de réagir, mais sans lui donner la capacité de se projeter et de devenir non plus un symbole du passé, mais de l’avenir.

135 ans d’expérience face aux défis du XXIe siècle

Discret, mais bien présent : il aura été le seul membre de l’industrie horlogère à ne pas saisir l’occasion d’un jubilé ! Créé en 1886, l’organisme fête cette année ses 135 ans, dans la discrétion la plus absolue. Pourquoi ?

Six marques partenaires historiques

Les raisons culturelles, techniques et commerciales se superposent. Par nature, déjà, le Poinçon de Genève ne prospecte pas. Avec six clients historiques que sont Cartier, Chopard, Louis Vuitton, Roger Dubuis, Vacheron Constantin, et les Ateliers de Monaco, l’institution a un socle permanent de marques qui assurent son fonctionnement. Le Poinçon de Genève est administré par une fondation, Timelab, qui n’a pas vocation commerciale.

135 ans d’expérience face aux défis du XXIe siècle

Il n’empêche, ces six marques historiques, bien que dans des volumes extrêmement différents, pourraient tout à fait être rejointes par d’autres. Régulièrement, de petits ateliers viennent frapper à sa porte. Czapek, par exemple, a pour objectif depuis sa création en 2015 de certifier ses pièces du célèbre sceau. « Ce serait tout à fait faisable mais nous avons besoin d’atteindre une taille critique, de recruter encore un peu, d’agrandir nos locaux », explique Xavier de Roquemaurel, CEO. « Patience ! ».

Un Poinçon payé au prix fort

L’équation pour rejoindre le Poinçon de Genève n’est donc pas qu’esthétique. Il ne s’agit pas simplement d’atteindre un certain degré de finition et de précision, mais bel et bien des coûts générés par un tel objectif : entre 20% et 40% supplémentaires par pièce, selon le degré d’avancement d’une maison déjà sise en terres genevoises. Un surcoût conséquent que les plus petits, dont les marges sont surveillées de près, ont du mal à absorber.

Un niveau d’exigence élevé

Techniquement, atteindre la qualité requise par le Poinçon de Genève freine aussi quelques velléités. « Bienfacture » et « Fiabilité » sont les maîtres mots de l’organisation et les minimas requis sont élevés. Platine, ponts, rouages, rubis, système réglant, pièces de forme telles que les vis et goupilles : rien n’est laissé au hasard.

135 ans d’expérience face aux défis du XXIe siècle

Pour souscrire au Poinçon de Genève, il faut déposer les plans de chaque pièce concernée, ainsi que plusieurs échantillons. S’ils sont validés, ce qui peut déjà prendre plusieurs mois, le Poinçon de Genève fera également quelques prélèvements aléatoires ponctuels au sein-même de la marque, afin de s’assurer de la constance de la qualité requise. Là encore, une contrainte additionnelle pour les marques, engagées à adopter des processus non seulement rigoureux mais aussi suivis et stables.

Nouveaux matériaux : le Poinçon s’adapte

Garant d’une tradition séculaire, le Poinçon de Genève a souffert d’une image passéiste. Rien ne saurait être plus faux. Constitué d’une commission d’experts et de représentants de marques, l’organe accueille régulièrement toute demande d’examen de nouveaux matériaux, de nouvelles finitions. L’objectif n’est pas de protéger becs et ongles un trésor immuable, bien au contraire : il s’agit d’accueillir certains de progrès de l’horlogerie compatibles avec les exigences du Poinçon.

La cas « RD »

A cet exercice, Roger Dubuis fut un moteur particulièrement puissant. Par exemple, avec son calibre RD509. Sa particularité ? Il est réalisé en carbone, un matériau qui sort du champ classique de ceux visés par le Poinçon (or, acier, maillechort). Présenté en 2016 par la manufacture aux instances du Poinçon, il a fait l’objet de 18 mois de diverses itérations afin d’être finalement certifié, en 2018.

135 ans d’expérience face aux défis du XXIe siècle

C’est de la même manière que la commission du Poinçon examine de temps à autres de demandes relatives au titane, au saphir, mais aussi à des revêtements type NAC ou DLC. Elles restent toutefois rares car, hormis Roger Dubuis, les six marques clientes historiques du Poinçon ont un profil très traditionnel. Il n’est pas certain que l’on voie prochainement, chez Vacheron Constantin, un tourbillon squelette en carbone...

Cercle fermé

Telle est la limite de l’exercice : pour préserver la tradition, le Poinçon de Genève certifie des marques...qui préservent la tradition. Le cercle est fermé, les acteurs tournent rond, mais en rond. C’est une perte de potentiel. Le Poinçon de Genève est garant d’un savoir-faire unique, héritier de 135 ans de tradition mais qui peine à charmer au-delà de ses frontières techniques et géographiques.

Ce serait d’ailleurs la mue que l’on en attendrait : comme le Grand Prix de l’Horlogerie de Genève, le Poinçon pourrait lui aussi accueillir des marques non sises sur place, mais qui en respecteraient les attributs. Les niveaux d’excellence atteints par Kari Voutilainen ou Credor n’ont déjà rien à envier à ceux de Chopard ou Cartier.

Et demain ?

Concernant cette épineuse question des nouveaux matériaux, on pourrait envisager que le Poinçon de Genève sorte définitivement de sa dichotomie entre « matériaux traditionnels » et « autre matériaux », inscrite dans son règlement. La tradition de demain se forge dès aujourd’hui. Devoir engager une saisine de la commission du Poinçon pour faire certifier un pont en saphir, devenu fréquent, refroidit quelques ardeurs, alors que le règlement actuel pourrait proactivement en donner un cahier des charges précis afin qu’il puisse être certifié au même titre qu’un pont en acier ou en or. Agir, et ne plus réagir : tel reste le principal défi du Poinçon de Genève.