La guerre des blancs

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The war of whites - Lacquer, enamel & porcelain
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Email, porcelaine, laque : les trois sont utilisés pour des mêmes cadrans blancs. Leurs différences sont pourtant notables et irréconciliables. Derrière se trio se niche donc de véritables partis pris stratégiques des marques.

Il y a blanc et il y a...blanc. Quelle différence ? De couleur, aucune. De matière, bien des différences, de celles qui divisent les puristes qui, eux-mêmes, aiment à créer un fossé entre horlogerie et haute horlogerie.

Il y a blanc...et blanc. Et ils n’ont rien à voir !

Pourtant, dans les faits, le schisme blanc a bien eu lieu : d’un côté, l’émail grand feu, de l’autre la laque. Entre les deux, la porcelaine. On s’en doute, s’il existe trois procédés différents pour un rendu chromatique assez proche, c’est qu’il subsiste bel et bien des différences de résultat. La seule question qui vaille à ce stade est invariablement la même : le client final la perçoit-il ?

« La perception, c’est précisément tout l’enjeu du luxe ! », réagit Christian Lattmann, Vice-président Jaquet Droz, passé maître dans l’art de l’émail grand feu. « L’émail est un pur métier d’art, un artisanat né de la main de l’homme et qui est donc par définition unique en plus de présenter d’infimes irrégularités qui font justement son caractère. On ne les voit qu’à la loupe, mais on les perçoit instinctivement. C’est la même chose entre un guilloché main tel que pratiqué chez Breguet et un guilloché industriel. Le premier est un art, le second, une technique. Ce n’est pas comparable ».

Et c’est précisément parce qu’émail et laque ne sont pas comparables que certains appuient leurs différences. La laque offre bien des valeurs ajoutées sur lesquelles l’émail ne peut rivaliser : une surface parfaite, un blanc homogène, une insensibilité aux chocs. Et, pour les plus gourmands, la possibilité d’infinies variations chromatiques.

Louis Moinet en a par exemple fait le choix. Sur son Tempograph 20 Secondes, c’est le blanc éclatant qui prime. Sur la dernière livrée de son chronographe-montre, Memoris, c’est un bleu nuit qui resplendit. La laque, parfaite, brillante, profonde, est ici un élément clé de l’harmonie visuelle de la pièce.

Une simple question de coûts ?

Les plus amers souligneront également la différence de coût. Elle n’est pas contestable. « Le mouvement est un poste devenu incompressible, de même que les matières premières qui ont, de surcroît, passablement augmenté ces derniers temps. Au final, quelle variable reste-t-il pour rester compétitif ? L’habillage, la décoration, dont la laque », argumente un dirigeant de marque. La laque produit l’effet désiré de l’émail, le coût en moins. Ce delta de prix de revient ne sera jamais compensé : l’émail souffre encore d’un taux de rebut important qui rend le coût unitaire de chaque pièce élevé. Il ne sera donc jamais démocratisé ni ne pourra suppléer aux volumes satisfaits par la laque. Email et laque sont deux antagonismes irréconciliables mais qui, dans les faits, occupent des territoires bien distincts : volume et valeur.

Le compromis idéal ?

Et la porcelaine, dans ce match ? C’est une piste encore peu explorée. Elle constitue pourtant un moyen terme intéressant : elle conjugue l’histoire, le savoir-faire, le rendu artisanal, sans atteindre un coût prohibitif. Côté inconvénients, elle reste très sensible aux chocs, peut se fêler, se briser, ne sera jamais réparable ni teinte dans la masse.

Par le passé, la porcelaine était nettement plus utilisée, notamment chez Omega, Heuer, Auricoste Longines ou encore d’innombrables pendules, notamment chez Breguet. Plus près de nous, on trouve de Grisogono avec une Instrumento Uno acier et quartz. Et puis il y a...Frédérique Constant, avec une Classics « Art of Porcelain » en édition limitée à 188 exemplaires qui vient à peine de sortir.

« Nous en avions déjà réalisé une série en or rose plaqué qui s’est intégralement vendue avant même la fin de Baselworld », explique Pim Koeslag, qui dirige les développements horlogers du groupe. « Cette seconde édition est née de la même histoire, celle d’une rencontre entre notre CEO Peter Stas et la manufacture Zsolnay en Hongrie, à laquelle je me suis rendu pour cadrer le projet ».

Sur place, Pim Koeslag souligne avoir rencontré le même type de problème qu’avec un émail mal maitrisé : une matière non plane, des perçages aux arêtes imprécises, etc. L’homme a donc dû reprendre certains aspects de la production locale pour la rendre compatible avec les exigences horlogères.

Pourtant, malgré ses variables techniques, « la porcelaine reste beaucoup moins cher que l’émail, permettant à ces Classics d’être proposées 2400 USD», poursuit Pim Koeslag de retour de TimeCrafters à New York. Cet art né il y a vingt siècles en Chine représente-t-il l’avenir des cadrans blancs artisanaux, alliant un rendu proche de l’émail au prix de la laque ?

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