Economies d’énergie : la quête du Graal

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Saving energy: the ultimate quest in movement design - Energy
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L’énergie issue du barillet n’arrive pas intégralement au balancier. L’on en perd des quantités importantes au long de la chaîne cinématique. Comment limiter la casse ?

Il en va de l’écologie comme de l’horlogerie : l’énergie est une ressource rare, il faut la préserver. Dans un garde-temps, d’innombrables progrès ont été faits sur l’échappement, les matériaux. Pourtant, c’est presque une fatalité que l’on doit affronter : entre son point de départ au barillet et son point d’arrivée au balancier, l’on en perdra toujours. Un peu, beaucoup. A la folie ?

Ne pas manquer d’air

Les proportions de pertes que l’on avance sont en effet assez affolantes : près des deux tiers de l’énergie produite au barillet partent en fumée. Ce taux faramineux résulte de deux facteurs principaux: la friction des composants entre eux, et avec l’air. C’est d’ailleurs en ce sens que Cartier avait œuvré en 2012, avec l’ID Two. Cette concept watch voyait son mouvement emboîté sous vide. Sans air, Cartier se débarrassait d’au moins l’un de ces deux facteurs de friction.

 

Cartier - ID Two

 

Sans aller jusqu’à cet extrême, l’air présent dans la boîte reste un ennemi méconnu. Sa principale victime : le balancier. Il est important que cet organe ait, tout au long de sa course, les mêmes volumes d’air à sa circonférence. Si l’un des côtés du balancier se trouvait trop près, par exemple, d’un pont, cette soudaine zone de promiscuité le contraindrait à un coefficient de friction air / balancier trop important. Il faut laisser respirer le balancier !

A l’assaut du barillet

Lorsque l’on étudie la chaîne cinématique dans son ensemble, on voit que l’un des postes de perte d’énergie est...le barillet lui-même ! « De l’ordre de 15 à 20% », quantifie Samir Merdanovic, Vice-Président d’Eterna. C’est ce qui a conduit la manufacture à se pencher sur cet organe moteur. Entre 2007 et 2009, Eterna a été la première à créer un barillet monté sur roulement à billes : le système Spherodrive était né. Avantage direct : avec une économie d’énergie gagnée dès la sortie de barillet, un mouvement comme le 3510, qui équipe notamment la Madison, offre huit jours de réserve de marche.

 

Eterna - Madison

 

Avoir la dent dure

Etape suivante de la chaîne cinématique : le train de rouages. Là aussi, une grande part d’énergie se perd. Où ? Sur les roues elles-mêmes, à cause de leur forme ou de leur matériau.

Concernant leur forme, le profil des dents ne permettra de gagner que quelques points d’efficacité énergétique, mais dans cette course folle au rendement, rien n’est à négliger. La priorité sera donc de tailler des profils de dents offrant le minimum de surface de contact entre elles.

Les matériaux, eux, peuvent réduire la friction, donc la perte d’énergie. Actuellement, le silicium a le vent en poupe mais ne dépasse pas le cadre de l’organe réglant. On ne fait pas encore, aujourd’hui, de train de rouages en silicium. Il n’y a de nos jours que deux matières à bon rendement énergétique : le laiton et le CuBé, acronyme de Cuivre-Bérylium.

L’exception s’appelle Cartier. « Nous avons déjà réalisé des rouages en silicium, c’est possible », indique Carole Forestier-Kasapi, Responsable du développement des mouvements haute horlogerie. « Cela reste toutefois un exercice délicat. Pour favoriser leur dureté, nous savons aussi déposer une couche de diamants sur nos composants. Ce sont autant de ponts vers l’avenir de l’horlogerie ».

« C’est une approche intéressante mais encore difficile à industrialiser », répond Salvador Arbona, qui réalise les mouvements Richard Mille. « Cela dit, nous avons une approche similaire de l’importance des traitements de surface : pour Richard Mille, toutes nos roues sont taillées après rhodiage, pour éviter la dispersion ultérieure de matière ».

 

Richard Mille - RM056

 

Christophe Claret, lui, revient aux fondamentaux et met en garde : « Dans un train de rouages, l’essentiel, c’est la précision. Le roulage est capital, le calcul des jeux également. Les tolérances sont très serrées. En haute horlogerie, l’approximation n’a pas sa place. Ni sur l’instant, ni pour l’avenir. Car toute imprécision aujourd’hui génère son lot de problèmes demain, qui ne feront que s’aggraver au fil du temps ».

Le balancier, gouffre énergétique

Enfin, au bout de la chaîne se trouve le balancier à ancre suisse. Le constat est accablant : on y perd presque 35% d’énergie. Pour beaucoup, améliorer les rouages, le barillet, les huiles, serait même du domaine cosmétique. Cela reviendrait simplement à mieux remplir un seau percé.

Ainsi, la vraie transition serait d’imaginer un nouveau type de balancier, plus efficace. Carole Forestier-Kasapi y travaille, sans pour autant négliger les pistes d’optimisation de l’ancre suisse : « Il faut travailler sur les frottements : des pivots, des matières en contact, et avec l’air. On perd toujours 30 à 35% d’énergie au balancier, mais il y a encore de l’optimisation possible ». Christophe Claret précise : « Au-delà des problématiques de matière, le réglage de l’échappement est primordial. Un échappement bien réglé est précis et limite la perte inutile d’énergie. C’est une opération qui prend du temps et des compétences, mais pour nous, la question ne se pose pas ».

 

Christophe Claret - Maestoso