Régulation à très haute fréquence

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High Frequency Oscillation - De Bethune
La résonique, concept technique élaboré chez De Bethune, élimine ancre, roue d'ancre, balancier, spiral. A la place, un rotor et un oscillateur contrôlent la détente du ressort du barillet.

(Traduction : Louis Nardin)

Il y a de fortes probabilités pour que, sous peu, les montres mécaniques les plus précises n'émettent plus de légendaire «tic-tac», mais un léger vrombissement, si encore! Avec son nouvel échappement basé sur le principe physique de la résonance, De Bethune révolutionne en effet l'idée même de régulation mécanique telle qu'on la conçoit en particulier depuis les travaux de Christian Huygens – 1629 - 1695. Certes, la résonance n'est pas nouvelle en horlogerie. La Bulova Accutron Spaceview lancée en 1968 par exemple, utilisait ce principe avec son calibre à diapason créant un champ magnétique marquant la marche. Mais elle fonctionnait grâce avec une pile. De Bethune a réussi à transférer le principe dans un pur calibre mécanique. Explications.

 

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Avec un échappement «résonique», les pièces s'entrechoquant de manière contrôlée comme dans un régulateur mécanique traditionnel ont disparu. Ici, l'ensemble est remplacé par deux éléments: une petite roue de forme reliée au barillet – le rotor magnétique – et un oscillateur ayant la forme d'un châssis annulaire fixe entourant le rotor. La régulation tient à la résistance magnétique opposée par l'oscillateur à la rotation du rotor. La manière de contrôler le flux d'énergie n'a ainsi rien à voir avec les échappements traditionnels, à ancre en tout premier lieu. En effet, l'aller-retour de la roue d'ancre disparaît pour être remplacé par cette force de contrôle invisible. Chocs, arrêts et redémarrages - qui sont autant de sources de perdition d'énergie et d'usure - sont ainsi éliminés. 
Mais la résonique permet surtout d'atteindre des fréquences d'oscillation sans commune mesure avec les solutions actuelles, donc une précision chronométrique toujours plus fine. Pour l'exemple, le dernier échappement à résonique testé avec succès affichait une fréquence de 925 Hz, soit 6,66 millions d'alternances-heure!

Pales magnétiques

La résonance est un principe physique voulant qu'un corps se mette à vibrer avec régularité – entre en vibration - sous l'effet d'un deuxième élément - dans ce cas le rotor. La particularité de la résonique, terme inventé par De Bethune pour nommer cette application de la résonance dans l'horlogerie, tient au fait qu'il n'existe aucun contact physique entre le rotor et l'oscillateur, et qu'il conjugue Mécanique et Résonance, deux sciences sœurs. Ainsi, la mise en vibration puis la régulation tiennent à l'effet de retenue qu'exercent les aimants de l'oscillateur sur les «pales magnétiques» du rotor.

Ce système diffère de celui du Pendulum, un échappement expérimental présenté par TAG Heuer en 2010. Dans ce cas, le spiral est remplacé par un jeu d'aimants fonctionnant comme un pendule magnétique. En effet, son architecture est celle d'un échappement à ancre suisse alors que l'échappement De Bethune travaille de façon linéaire. «C'est comme si l'énergie était un sprinter devant parcourir un 400 mètres, métaphorise Denis Flageollet, l'horloger-concept et co-fondateur de la marque. Dans le cas de l'échappement à ancre suisse, il faut l'imaginer comme dans une salle fermée qu'il doit traverser à chaque fois jusqu'à avoir parcouru toute la distance. Avec notre échappement, sa course est en ligne droite car il n'y a aucune interruption.»

 

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Changer de paradigme

Cette nouvelle conception permet d'élever significativement la fréquence d'un calibre. «En 2006, nous avions présenté à Baselworld un échappement expérimental atteignant 72'000 alternances-heures, soit 10 hertz, rappelle l'horloger. Si l'exercice avait réussi, nous avions également la certitude que pour aller plus vite encore, il fallait trouver un système radicalement différent.» Selon Denis Flageollet, ces vitesses-là engendrent en effet des problèmes trop importants quant à la stabilité du mécanisme, à l'entretien, et à la consommation d'énergie.

Un échappement fonctionnant selon le principe de résonnance peut ainsi, et uniquement en théorie pour l'instant, atteindre une fréquence allant jusqu'à 10'000 hertz, soit le 10'000e de seconde, et cela durant plusieurs heures. Pour y parvenir, Denis Flageollet et son équipe ont mis beaucoup d'efforts dans la question, cruciale, de l'énergie. En effet, la mise en vibration de l'oscillateur en consomme énormément et les recherches de Siddartha Berns, le physicien de De Bethune qui a participé à l'élaboration de la résonique, portent d'ailleurs essentiellement sur ces questions de force. Mais une fois l'état vibratoire atteint, la consommation diminue fortement et se stabilise à un faible niveau grâce à une faible amplitude des mouvements de l'oscillateur.
«Pour maîtriser la consommation d'énergie, il fallait veiller à réduire au maximum l'amplitude de l'oscillateur, la plus grande source de pertes, poursuit Denis Flageollet. L'usage d'aimants montés sur un cadre fixe mais aussi flexible a permis d'atteindre ces hautes fréquences avec une amplitude minimale.»

Outre cette consommation réduite, l'architecture même du mécanisme assure une diffusion régulière de l'énergie. En effet, dès que la force baisse, on sort de l'état vibratoire et l'énergie résiduelle contenue dans le ressort de barillet se vide complètement. 
«Par ailleurs, le champ magnétique est concentré dans une zone si petite qu'il est difficilement influençable, complète Denis Flageollet. Et si nécessaire, on peut isoler l'ensemble via une chambre de protection en Mu-metal, un alliage de fer, de nickel et de molybdène connu pour dévier les champs magnétiques.»

 

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Paliers de synchronisation

Dès lors, toute la recherche se concentre désormais sur la découverte de «paliers de synchronisation». Ces paliers correspondent à une adéquation parfaite entre les différents éléments pour assurer une fréquence vibratoire. Pour poursuivre sur la voie de l'augmentation de la fréquence, De Bethune a d'ailleurs choisi de rendre sa découverte totalement publique, de ne pas la protéger d'un brevet, et d'inviter tous les chercheurs qui le souhaitent à y participer à travers un blog bientôt en ligne – wwww.debethune-resonique.com. 
Denis Flageollet espère également que la plate-forme l'aidera à imaginer des solutions pour la mise à l'heure, une étape encore à franchir pour le moment.

Régulateur de sonneries

L'échappement «résonique» ouvre des perspectives totalement nouvelles et pas uniquement dans le domaine de la précision chronométrique. En effet, la morphologie de système s'illustre déjà par sa petitesse et son extrême finesse en comparaison avec les échappements usuels. Mais sa miniaturisation est tout à fait possible également. «En dehors de la régulation, cet échappement pourrait également remplacer les variateurs propres aux calibres à répétition, précise par exemple Denis Flageollet». 
Par ailleurs, la forme des composants – rotor et oscillateur – tout comme leur position l'un vis-à-vis de l'autre – rotor dans l'oscillateur dans ce cas – peuvent varier. Le potentiel existe aussi avec les matériaux. «Pour réduire encore la taille des éléments, il est tout à fait envisageable par exemple de fabriquer l'oscillateur autrement que dans un alliage de nickel comme dans nos derniers essais. Il est par exemple réaliste d'essayer de le réaliser en silicium ou en diamant artificiel recouvert d'un traitement magnétique».

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