Le juste prix ?

Image
Competitive pricing - Chronometers
Longtemps prestigieux, luxueux même, le chronomètre suisse connaît une puissante et complexe vague de démocratisation. Elle n'est pas sans paradoxes. Décryptage d'un univers en changement.

Dans l'imaginaire commun, un chronomètre suisse représente une forme d'aboutissement. Montre précise et certifiée comme telle par un organisme indépendant, un chronomètre incarne une certaine idée de la montre de qualité. Dans les faits, cette appellation a longtemps été l'apanage de marques haut et très haut de gamme. Des prix élevés valident ainsi l'idée de la montre bien faite, précise (et autres attributs indirects tels que la fiabilité). Mais la réalité est devenue tout l'inverse. Un chronomètre est aujourd'hui une montre qui n'est pas énormément précise, et surtout pas énormément coûteuse.

Le Contrôle Officiel Suisse des Chronomètres, plus connu par son acronyme COSC, dispose d'un quasi monopole de fait sur la certification chronomètre. Ses rares concurrents, suisses, allemands ou français, traitent des volumes négligeables en comparaison. Cette institution paritaire, à but non lucratif et dirigée par un collège de représentants de marques, fabricants de mouvements et autorités locales, a traité 1,7 millions de mouvements en 2016, exclusivement de provenance helvétique. En 2010, ce volume était de 1,28 millions. La certification chronomètre est donc de plus en plus populaire. Cela valide l'idée que ce label a un sens bien réel pour les marques horlogères qui le convoitent, et qu'il trouve un écho auprès de leur public.

Pourtant, les critères qui régissent l'attribution de ce brevet de précision n'ont pas changé depuis 1974. Une erreur de marche maximum de trois minutes par mois est le maximum toléré. C'est assez pour manquer son train. Mais en proportion, c'est un taux d'erreur de 0,007%. Autant dire rien quand on considère qu'il s'agit ici des critères pour les montres mécaniques. Pour les mouvements à quartz, la certification existe également et ses exigences sont 85 fois plus restrictifs !

Toujours en 2010, trois marques (Rolex, Omega et Breitling) représentaient 84% des certifications. En 2015, cette proportion était stable. C'est ce qui se passe en dehors du podium qui est fascinant. Un mouvement de fond provient du Swatch Group et de trois de ses marques : Tissot, Mido et Longines. Avec 26 800 mouvements certifiés en 2010, dont 95% pour Mido, cette triade était quasi insignifiante. En 2015, ils ont atteint 119 500 certificats. Depuis, Longines a lancé une nouvelle gamme, baptisée Record, dont tous les exemplaires passeront les épreuves du COSC. Ce qui devrait concerner des quantités à cinq chiffres. Premier prix, acier sur cuir : 1 860 €. Tissot propose un prix de départ de 490 € et l'immense majorité sous la barre des 1000 €. En comparaison, le premier prix d'un chronomètre est à plus de 3000 € chez Breitling, autour de 4 500 € chez Rolex comme Omega.


Le juste prix ?

Une petite précision en passant. A compter de son rapport annuel 2016, publié au début de ce mois de juin 2017, le COSC ne fournira plus de détails sur le nombre de mouvements certifiés par marque. Ce baromètre était la seule source qui permettait de quantifier la production de certaines marques, en particulier celles du trio de tête cité précédemment. Ceci explique que les données utilisées dans cet article datent de 2015.

Voila l'esprit du temps : le prix moyen d'un chronomètre baisse et surtout le premier prix s'est effondré. Ce qui était autrefois un gage de qualité payé à un prix de plus en plus fort est aujourd’hui une caractéristique accessoire de montres par ailleurs tarifées de manière très agressive. L'explication est simple : à force de faire progresser leur outil de production, les producteurs de mouvements arrivent à faire passer des quantités croissantes de calibres entre les fourches caudines du COSC. Et pour le Swatch Group, cet effort se concentre sur des mouvements mécaniques de base, à la précision sublimée par des processus industriels d'une efficacité redoutable.

Il faut savoir que la participation aux épreuves du COSC coûte environ 70 frs par mouvement. Ce à quoi il faut ajouter le temps d'immobilisation des pièces, leurs déplacements aller et retour entre ateliers et bureaux de contrôle, des assurances, de la main d'oeuvre et les éventuels échecs (un taux de l'ordre de 4-5%). L'ordre d'idée est le suivant : dans certains cas, la certification chronomètre coûte plus cher que la fabrication des mouvements qui la recherchent. Ce label devient donc d’autant plus coûteux (en proportion) qu'il se démocratise, d'autant plus important qu'il se banalise. Quels paradoxes !

Marque