Tradition chronographe indépendant

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Tradition independent chronograph - Breguet
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Un regard détaillé sur une complication rare.

L’air est raréfié sur les sommets de la haute horlogerie. Pour y conquérir une place, une maison horlogère doit maîtriser, dans ses ateliers, l'éventail complet des grands défis posés par la mesure mécanique du temps : les calendriers perpétuels, les tourbillons, les répétitions et, naturellement, les chronographes. Les collections de Breguet ne comprennent pas uniquement l’ensemble de ces complications, mais en présentent de multiples versions. À cet égard, les mouvements proposés par Breguet sont étonnamment divers.Ils comprennent notamment le calibre 2320, selon sa désignation interne, ou 533.3, tel qu’il est connu par le public, considéré pendant des décennies comme le mouvement de chronographe le plus prestigieux du monde (cf. notre numéro 2 pour l’histoire de ce calibre et son adoption sans précédent par de nombreux fabricants horlogers renommés).

Aussi, nul ne se serait étonné que Breguet se repose sur ses accomplissements antérieurs et conserve sans la modifier sa gamme de chronographes. Pourtant, une nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre dans les halles de Baselworld 2015 : Breguet dévoilait son sixième calibre de chronographe sous le nom de Tradition Chronographe Indépendant. Ce mécanisme représente cependant bien davantage qu’un enrichissement ou un élargissement de l’assortiment des chronographes de la marque, car sa construction intégrée est entièrement inédite et ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire de cette complication.

Un bref rappel des principes fondamentaux auxquels obéissent les chronographes permettra de tracer le contexte de ce mouvement. À quelques exceptions près, tous les chronographes possèdent un mécanisme d’engagement. Quand le propriétaire démarre le chronographe, de manière universelle en pressant un poussoir, ce mécanisme relie les composants du chronographe au rouage horaire de la montre. Le processus s’inverse au moment où le chronographe est arrêté à la fin d’un événement temporel et l’actionnement du poussoir d’arrêt provoque le désengagement du chronographe du rouage de la montre. Au cours des deux siècles d’histoire du chronographe, les horlogers ont développé une multitude de systèmes d’embrayage et de débrayage pour mener ces opérations à bien. Prenons par exemple le calibre 2320/533.3. Il recourt à une roue à colonnes perfectionnée et à un embrayage horizontal pour connecter le mécanisme du chronographe au mouvement de la montre en faisant pivoter simultanément deux roues finement dentées.

Le Chronographe Indépendant est dépourvu d’un tel mécanisme d’engagement et de désengagement. L’enclenchement et le déclenchement du chronographe interviennent de manière totalement indépendante sans qu’aucun type de connexion ou de déconnexion avec le rouage de la montre ne soit nécessaire. À elles seules, ces deux phrases illustrent à quel point ce mouvement est novateur et révolutionnaire. Il est né d’un processus de création qui correspond parfaitement à la définition d’un projet qui ne se réfère à aucune réalisation antérieure et débute à partir d’une page blanche.

Tradition chronographe indépendant

Ainsi, en l’absence de mécanisme pour relier le chronographe au rouage de la montre, comment ce chronographe peut-il fonctionner ? Le nom de ce garde-temps, et plus particulièrement la mention « indépendant », apporte la réponse à cette question. Le chronographe possède son propre mouvement, distinct et séparé du mouvement principal de la montre. Les connaisseurs horlogers décèleront d’emblée la présence de deux éléments de la mesure du temps puisque le Chronographe Indépendant est doté de deux balanciers (l’un pour le chronographe, l’autre pour le rouage horaire), disposés de manière symétrique et adjacente l’un par rapport à l’autre, et visibles sur la face du garde-temps. Comme dans tous les modèles de la collection Tradition qui ne possèdent pas de tourbillon, les deux balanciers sont équipés du système pare-chute de protection contre les chocs. Ils présentent également le même diamètre afin de conférer une cohérence visuelle à la montre.

Même s’il apparaît déjà révolutionnaire de disposer un chronographe indépendant avec un balancier aux dimensions identiques à côté du mouvement principal de la montre, il serait erroné de supposer que la conception du mécanisme de chronographe respecte les conventions établies, car Breguet l’a conçu de manière entièrement originale. Afin de démontrer l’inventivité du nouveau calibre, il suffit assurément de préciser que Breguet a consacré cinq années à son développement et déposé plusieurs brevets relatifs à sa construction.

À l’évidence, le cœur du mouvement de chronographe est constitué d’un balancier à inertie variable associé à un échappement à ancre suisse. Le spiral du balancier intègre une importante invention historique, la spire extérieure Breguet, placée au-dessus du corps du ressort, qui contribue à garantir que le spiral se contracte et se détende de manière plus uniforme afin d’optimiser la précision de marche. L’industrie horlogère dans son ensemble a rendu hommage à cette innovation en lui donnant le nom de « courbe Breguet ». De nos jours encore, elle représente un aspect essentiel de la conception d’un nouveau mouvement. Elle se complète des résultats de la recherche moderne de Breguet qui ont conduit à la mise au point d’un balancier en titane avec son spiral en silicium à courbe Breguet qui oscille à une fréquence de 5 Hz, idéale pour un chronographe, car elle divise nettement chaque seconde en dixièmes. Les autres éléments de ce mécanisme de chronographe ouvrent d’autres perspectives totalement inédites.

Devenu habituel au point que les horlogers l’envisagent comme une solution universelle depuis le XVIe siècle, le barillet avec son ressort en forme de spirale représente le composant qui délivre la force requise par les instruments mécaniques de la mesure du temps. Il n’est donc guère surprenant que la partie consacrée aux fonctions horaires du Chronographe Indépendant soit équipée de cet ensemble de barillet/ressort. En revanche, la partie dédiée au chronographe ne possède ni barillet ni ressort en spirale. Elle est également dépourvue d’une couronne destinée à remonter le mécanisme, qui est ici alimenté en énergie par l’entremise d’une lame ressort. Lorsque le poussoir est actionné pour le retour à zéro, cette opération arme la lame ressort avec une force suffisante pour assurer le fonctionnement du chronographe. L’un des principaux avantages de cette disposition réside dans un approvisionnement instantané en énergie pour le chronographe à l’aide d’une simple pression sur un poussoir. Ainsi, il n’est plus nécessaire de se demander si le barillet est suffisamment armé : le chronographe est toujours prêt à fonctionner, dès que le poussoir de démarrage est activé.

Tradition chronographe indépendant

Toutefois, Breguet ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. En effet, tout ressort qui délivre de l’énergie à un ensemble composé d’un balancier et d’un échappement possède un inconvénient. La force transmise varie au fur et à mesure que le ressort transmet son énergie et elle est plus importante lorsque le ressort est complètement remonté qu’au moment où il a presque épuisé ses réserves. Cette observation s’applique de semblable manière au ressort en spirale d’un barillet traditionnel comme à une lame ressort. Afin de pallier ce désagrément, Breguet a doté le Chronographe Indépendant d’un système de force constante de conception inédite, intégré au mécanisme qui fournit l’énergie au balancier spiral. Ce dispositif innovant fait l’objet d’un brevet.

Le Chronographe Indépendant est doté de poussoirs, même si leur disposition et leur fonctionnement s’écartent des solutions conventionnelles : le démarrage est assuré par le poussoir à 4 heures alors que l’arrêt est provoqué par un poussoir à 8 heures. Une nouvelle pression à 4 heures redémarre le chronographe. Après l’arrêt, un second actionnement du poussoir à 8 heures commande la remise à zéro des indications (souvenons-nous que c’est ce mouvement qui arme la lame ressort). Cette nouvelle configuration des poussoirs s’accompagne d’un réagencement des mécanismes associés. Au centre de ces dispositifs novateurs figure une idée inspirée par l’histoire de Breguet, qui sied parfaitement à un membre de la collection Tradition dont ce garde-temps est un digne représentant. Évoquant la montre Breguet no 4009, vendue à Monsieur Whaley en 1825 (une montre de poche à double seconde), le nouveau modèle est doté d’une commande de chronographe en forme d’ancre. Lorsque le poussoir de démarrage est actionné, la commande pivote afin de soulever le marteau qui immobilise l’aiguille des secondes du chronographe et, simultanément, libère le balancier du chronographe. Rappelons-nous que la lame ressort a été armée lors de la précédente remise à zéro. Lorsque le chronographe est arrêté, son balancier est bloqué par un bras maintenu contre son axe. Une fois la pression du bras relâchée, le balancier de chronographe se met immédiatement en mouvement. De manière générale, toute montre mécanique nécessite un niveau d’armage suffisant afin de permettre au balancier spiral de commencer à osciller. Pour garantir un démarrage instantané du balancier de chronographe, Breguet a conçu l’arrêt de sorte qu’il demeure en tension sur le spiral du balancier. Ainsi, lorsque le bras se relève, un démarrage instantané est assuré.

Une seconde fonction de l’ancre entre en jeu lorsque le chronographe est arrêté. L’ancre est utilisée pour réaliser le retour à zéro de l’aiguille des secondes du chronographe. Un doigt attaché à l’ancre fait pivoter un marteau afin de le mettre en contact avec une came classique en forme de cœur, fixée à l’axe des indications du chronographe. Les passionnés savent que ces cames sont universellement employées pour la remise à zéro des aiguilles. Comme elles possèdent un profil logarithmique, lorsque le marteau est pressé à n’importe quel endroit sur le pourtour de la came, cette pression imprime un mouvement de rotation. La came revient ainsi vers une position préalablement définie qui correspond naturellement à l’emplacement du zéro.

Tradition chronographe indépendant

L’aiguille des secondes du chronographe parcourt une échelle graduée à des intervalles de 0,2 seconde sur le cadran externe. Comme le balancier du chronographe oscille à une fréquence de 5 Hz, chaque seconde est parfaitement divisée en dixièmes que la progression continue de l'aiguille permet de lire distinctement sur le rehaut. Rappelant la symétrie des deux balanciers, l’échelle du compteur des 20 minutes est disposée sur un arc de cercle face à l’indicateur de la réserve de marche du mouvement horaire

L’exactitude des chronographes est un sujet rarement abordé. Sur la plupart des chronographes, la connexion du mécanisme de chronographe au rouage horaire de la montre utilise une partie de l’énergie normalement dédiée à l’oscillateur et altère ainsi la précision de marche de la montre et du mécanisme du chronographe ainsi que, par voie de conséquence, des affichages de l’heure et du chronographe. Cette observation ne s’applique pas au Chronographe Indépendant dont le rouage horaire et le chronographe fonctionnent séparément. Son exactitude est stupéfiante : +/− 0,08 seconde sur vingt minutes.

Du côté horaire, ainsi que nous l’avons spécifié précédemment, le balancier est identique par sa taille à celui du chronographe. Il est cependant confectionné dans un alliage métallique plus dense appelé Glucydur et oscille à la fréquence de 3 Hz. Comme le chronographe, il est équipé d’un spiral Breguet en silicium.

Les heures et les minutes sont affichées sur un cadran en or massif guilloché à la main. Il adopte une position excentrée, une des caractéristiques de la collection Tradition. Le mouvement à remontage manuel possède une réserve de marche de 55 heures.

Le modèle Tradition Chronographe Indépendant est disponible dans un boîtier au diamètre de 44 millimètres, en or rose ou en or blanc.

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