La décoration du mouvement

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Movement decoration - Breguet
Un sujet de fond sur les nombreux types de décoration des mouvements de Breguet.

Tout au long de son exceptionnelle carrière, Abraham-Louis Breguet a considéré la décoration de ses mouvements sous l’angle de la fonctionnalité. Si leur beauté force sans conteste l’admiration, le choix des motifs répondait à d’évidentes considérations pratiques. Dans la plupart des cas, le principal critère retenu par le maître consistait à éviter les atteintes provoquées par l’oxydation et la corrosion.

Ainsi, la technique du « grenaillage » trouvait un emploi généralisé sur les platines en laiton de ses créations. Caractérisée par sa pureté et sa sobriété, cette ornementation ne comblait pas uniquement les attentes de Breguet relatives à la protection du métal, mais correspondait en tous points à sa constante aversion des décorations artificielles. Pour des motifs analogues, il dotait les marteaux en acier de ses répétitions d’une finition de type « poli miroir ». Le bleuissage des vis, qui pourrait sembler à première vue une décoration aux finalités purement esthétiques (une observation hélas pertinente pour certains constructeurs horlogers modernes qui n’hésitent pas à recouvrir les vis de peinture pour parvenir à l’objectif visuel poursuivi), dénotait le traitement thermique auquel l’acier avait été soumis afin d’en accroître la dureté. Les finitions esthétiques qui abondent dans les garde-temps contemporains et attestent de leur distinction n’entraient pas dans le champ des conceptions de Breguet.

Au cours des presque deux cents ans qui ont suivi la disparition de cet homme de génie, une évolution s’est produite dans la pensée des horlogers. L’adhésion à une éthique qui excluait toute finition exempte de qualités fonctionnelles a peu à peu cédé la place à l’acceptation généralisée d’un principe selon lequel la beauté du mouvement représente une part essentielle de la valeur d’une montre de belle facture. Dans un processus analogue, le grenaillage tel qu’il était pratiqué il y a deux siècles dans les ateliers de Breguet a été progressivement remplacé par une vaste palette de finitions à l’incontestable séduction esthétique qui attestent du talent et de l’art consommé de l’artisan en mesure de les réaliser. Aussi, ces évolutions philosophiques s’expliquent-elles autant par des stratégies commerciales que par des motifs techniques. Pendant le XIXe siècle et au cours des premières décennies du XXe siècle, les montres ne voyaient pas nécessairement le jour dans les ateliers de la marque dont elles porteraient le nom. Considérée par beaucoup comme le berceau de l’horlogerie suisse, la Vallée de Joux était le royaume des constructeurs de mouvements. Les ébauches qu’ils fabriquaient prenaient généralement la forme de mécanismes non décorés qui comprenaient la platine, les roues, les ponts ainsi que d’éventuelles complications additionnelles, à l’exclusion toutefois du balancier et de l’échappement. Elles étaient vendues aux célèbres marques genevoises qui incorporaient l’échappement et revêtaient les pièces de décorations spécifiques pour permettre de distinguer les garde-temps dont le cadran arborait leur emblème. À cette époque cependant, le grenaillage tant prisé de Breguet était tombé en disgrâce, car ce procédé reposait sur l’utilisation de mercure. Pour obtenir cet effet décoratif, Breguet brossait la surface d’une pièce avec de l’alumine. Cette substance entrait en réaction avec le laiton et conférait à la surface antérieurement lisse une texture finement grenée à l’aspect mat. L’étape suivante consistait à mélanger une dose de mercure avec de l’or pour transformer le métal précieux en une pâte qui pouvait servir à recouvrir le composant. Enfin, la pièce était chauffée à une température élevée afin de provoquer l’évaporation du mercure tout en laissant un revêtement d’or sur la surface. Même si le résultat était d’une exceptionnelle robustesse – les montres qui subissaient ce traitement étaient en mesure de résister à l’oxydation pendant plus d’une centaine d’années – l’usage de mercure était une incitation plus que suffisante pour que les horlogers se tournent vers d’autres techniques décoratives.

Chaque mouvement de Breuget présente une association de différentes décorations

La transition vers de nouvelles finitions ne s’est pas produite de manière abrupte. Pendant un certain temps, les marques offraient différents degrés de décoration à leurs clients. Un modèle donné était, ainsi, proposé dans une finition dite normale, qui répondait à toutes les nécessités fonctionnelles ou, à un prix plus élevé – vous l’aviez déjà anticipé – dans une finition dite soignée qui comprenait toute une série d’ornementations destinées à accroître la séduction visuelle du mouvement. Un troisième degré de raffinement, qualifié d’extra-soigné, était même proposé dans certains cas. Alors que cette stratégie commerciale qui laissait à l’amateur le choix entre les termes « Voulez-vous un billet de classe économique ? » ou « Préférez-vous voyager en première classe ? » possédait une évidente pertinence à une époque où les montres étaient pour une large part confectionnées sur mesure, cette attitude heurterait aujourd’hui la sensibilité des collectionneurs et exercerait des conséquences dévastatrices sur la renommée d’une grande marque. Quel connaisseur, de nos jours, serait enclin à acquérir une création de Haute Horlogerie dont le mouvement ne s’ornerait pas de finitions esthétiques pour des considérations uniquement liées au coût de revient ?

La gamme complète des décorations apportées sur le mouvement, qu’elles soient exécutées pour des raisons fonctionnelles ou simplement afin d’agrémenter la beauté du mécanisme horloger, est de nos jours intimement liée à la qualité et à la valeur d’un garde-temps. À ce titre, les ornementations sont devenues un élément indissociable de la tradition horlogère. Chacune de ces techniques est soumise à des règles aux racines historiques qui déterminent le composant particulier auquel elles conviennent particulièrement, les méthodes et les instruments utilisés pour son application ainsi que l’apparence finale sous laquelle elle est habilitée, ou non, à se présenter. Après ce préambule, penchons- nous désormais sur quelques-uns des nombreux motifs qui constituent la palette des finitions de Breguet.

GRENAILLAGE

Il s’agit d’une technique ornementale historique qui relie la manufacture Breguet d’aujourd’hui à l’œuvre d’Abraham-Louis Breguet. Ce traitement de surface à l’apparence finement grenée est pratiqué sur les platines et les ponts des modèles de la collection Tradition. Il est analogue à celui utilisé il y a deux cents ans, même si, à l’évidence, Breguet a mis au point des méthodes pour exécuter le grenaillage qui ne reposent pas sur l’évaporation du mercure.

Grenaillage sur un mouvement de Breguet

CÔTES DE GENÈVE

Cette technique est connue sous plusieurs désignations additionnelles, à l’instar de vagues de Genève ou de côtes droites. Elle se compose de lignes ou de bandes disposées sur une surface plane et séparées par des zones délicatement brossées. D’une remarquable beauté, les côtes de Genève incarnent une finition ornementale généralement réservée aux ponts. Elle est rarement appliquée à des pièces qui servent de support à d’autres éléments car ce traitement de surface peut se révéler légèrement inégal, au risque de compromettre la précision dans le positionnement de tout composant supplémentaire. En outre, comme cet embellissement est destiné à être vu, pourquoi l’horloger chercherait-il à le dissimuler au regard ?

Dans la manufacture Breguet, les côtes de Genève sont réalisées par le frottement à maintes reprises d’une cheville en bois sur la face supérieure d’un pont. Chaque passage de l’outil donne naissance à une ligne ou côte. La forme de la côte, la largeur, l’angle, la profondeur et la finesse de la surface brossée sont déterminés par le bois utilisé ou le matériau abrasif déposé sur la cheville et, à l’évidence, l’adresse de l’artisan qui effectue cette décoration manuelle.

GUILLOCHAGE

Les cadrans guillochés de Breguet ont également contribué à forger sa renommée. En effet, Abraham- Louis Breguet fut le premier horloger à introduire cette technique sur le cadran d’une montre. Aujourd’hui, Breguet confectionne toujours ses cadrans selon cet exemple historique en maintenant la pièce en or massif sur un tour à guillocher. Cette ornementation est aussi utilisée pour décorer de divers motifs les mouvements de Breguet. Ainsi, la plupart des rotors de remontage en or sur les calibres automatiques sont patiemment guillochés à la main.

Masse oscillante guilloché sur un mouvement Breguet

PERLAGE

La technique du perlage consiste à orner les surfaces planes des platines et des ponts d’ornementations qui reproduisent de petites boucles ou cercles. Si ces motifs possèdent naturellement des vertus esthétiques car la répartition des boucles répond à une indéniable recherche artistique, ils présentent aussi un caractère fonctionnel en contribuant à prévenir l’oxydation. En effet, Breguet n’utilise pas uniquement le perlage à des endroits qui sont ouverts à la vue à travers un fond de boîtier transparent, mais également sur des superficies que le regard du propriétaire ne peut atteindre, à l’exemple du côté cadran de la platine où les creux pratiqués dans le métal servent de logement à d’autres éléments comme le barillet.

Perlage sur un mouvement Breguet

Une délicatesse hors pair et un talent certain sont requis pour réaliser un perlage de belle apparence. La position de chaque boucle doit être précisément déterminée afin d’accorder le motif à la surface. Une petite cheville pivotante chargée d’un abrasif fin est placée au-dessus de l’emplacement de chaque cercle. Une dextérité exceptionnelle et un œil exercé sont indispensables pour assurer l’élégante disposition des boucles et l’harmonisation du motif à la surface. L’examen minutieux d’un délicat perlage permet de constater que les fondements de cette technique résident dans la taille et la position des cercles. Certains composants nécessitent des ornementations extrêmement ténues alors que d’autres sont davantage mis en valeur par des cercles d’un diamètre plus important.

CISELAGE ET GRAVAGE

Le ciselage et la gravure sont des arts décoratifs à part entière qui consistent à sculpter des dessins ou à graver des inscriptions dans les dimensions extrêmement réduites d’une montre. Le graveur accomplit son travail minutieux et exigeant en utilisant différentes formes de ciseaux ou de burins, tout en observant le composant à travers un microscope. La gravure de motifs ne connaît, naturellement, pour seules limites que l’imagination du graveur. Toutefois, contrairement au peintre qui peut recouvrir un détail pour le remplacer par un autre ou modifier la portée symbolique de son œuvre par un repentir, le graveur et le ciseleur n’ont pas droit à l’erreur. Chaque geste qui se traduit par une empreinte dans le métal doit être d’emblée parfait car la moindre maladresse entraînerait le rejet de la pièce en cours. Aussi n’est-il nullement excessif d’affirmer que les ciseleurs et les graveurs de Breguet sont des artistes qui déploient leurs talents sur un support en métal précieux.

Gravage sur un mouvement de Breguet

Le ciselage est réservé aux garde-temps les plus rares de Breguet. Cette ornementation apparaît sur le verso de la platine de nombreux tourbillons, sur les ponts et rotors de remontage de certaines montres compliquées ainsi que sur la répétition minutes, le calendrier perpétuel et quelques autres créations horlogères. La gravure est en outre une technique utilisée sur de nombreux mouvements afin d’inscrire manuellement le nom de Breguet sur la platine.

POLI MIROIR

Pratiqué sur des composants en acier, ce traitement de surface est appliqué, selon la tradition horlogère, aux garde-temps haut de gamme les plus rares et les plus raffinés. Cette technique ornementale est connue sous les diverses désignations de « poli miroir », « poli noir » ou « poli bloc ». Il est intéressant de remarquer que deux de ces noms se réfèrent à l’apparence de cette décoration alors que le troisième évoque le procédé employé pour sa réalisation. Le terme de « poli miroir » décrit l’aspect de la surface lorsque la lumière est réfléchie sous un certain angle car, en ce cas, la brillance de la pièce la fait ressembler à un miroir. La dénomination de « poli noir » trouve son origine dans la vision perpendiculaire de la pièce où l’absence de réflexion de la lumière confère à la surface une ressemblance avec un onyx noir intensément poli. Enfin, le nom de « poli bloc » dépeint la méthode traditionnelle pour procéder à cette ornementation par un minutieux polissage manuel effectué sur une plaque de zinc, recouverte d’une fine poudre abrasive.

Poli miroir sur les marteaux d'une montre à répétition minutes de Breguet

Dans la tradition de Breguet, le « poli miroir » est la finition emblématique des marteaux de sonnerie pour les répétitions minute ou le Réveil du Tsar ainsi que les ponts des tourbillons. Afin d’atteindre les effets optiques que nous venons de décrire, cette technique, qui offre à l’amateur la vision d’un miroir ou d’un onyx selon son angle de vue, doit être appliquée sur une surface parfaitement plane à l’éclat vif, entièrement libre de toute trace de décoloration ou de rayure.

BROSSAGE

Le brossage est une finition que Breguet applique aux surfaces planes en acier des bras, des leviers et des cames. Comme son nom l’indique, le brossage est exécuté à l’aide d’une brosse rotative. Il confère un fini extrêmement net et raffiné à une surface. La direction des lignes dépend de la forme du composant qui présentera, à l’évidence, des bords anglés.

COLIMAÇONNAGE

Ce motif est généralement reproduit sur le couvercle du barillet. Le dessin adopte la forme d’une spirale qui se développe depuis le centre de la pièce. Il est réalisé à l’aide d’une brosse circulaire d’avivage qui trace délicatement le contour de la spirale sur la surface plane.

Brossage et colimaconnage sur un mouvement de Breguet

SOLEILLAGE

Semblable sous certains de ses aspects au colimaçonnage car il est exécuté sur une surface plane à l’aide d’une brosse circulaire, le soleillage ne produit cependant pas un dessin en spirale, mais compose un motif aux lignes radiales droites qui s’élancent depuis le centre. Une finition en soleillage orne la planche de quantième de l’équation du temps ainsi que certains ponts.

Soleillage sur un mouvement de Breguet

ANGLAGE

Il s’agit de l’une des finitions les plus précises et les plus complexes à réaliser, même si sa définition semble d’une simplicité déconcertante puisque l’anglage consiste à arrondir et à polir les bords d’un pont de mouvement ou d’un autre composant. L’anglage est pratiqué pour de nombreuses raisons. Premièrement et essentiellement, cette technique sert à l’élimination des bavures et des traces consécutives à l’usinage d’une pièce. Non seulement ces résidus de la fabrication d’un composant se trahissent par leur apparence disgracieuse, mais ils seraient les premiers endroits à subir les assauts de l’oxydation.

Les défis rencontrés par l’artisan désireux d’accomplir un anglage irréprochable, même sous sa forme la plus élémentaire, sont innombrables et ils se multiplient de manière exponentielle pour des pièces à la conception complexe. Songez à ce propos à la panoplie de formes dont disposent les horlogers pour réaliser les ponts, les planches, les cames et les leviers des différents mécanismes. Bords droits, angles externes aigus, bords courbes ou arrondis, angles internes étroits, leur éventail est presque infini et il n’est limité que par l’imagination des constructeurs de mouvements. Cette variété inépuisable appelle un large répertoire de savoir-faire et de talents pour le spécialiste qui pratique l’art de l’anglage. Prenez par exemple un angle interne, appelé dans le métier « angle rentrant ». Fréquente aux points d’intersection, cette forme se retrouve sur de nombreux ponts. Il est virtuellement impossible de doter une pièce usinée à la machine d’un angle interne à la structure parfaite. Un minutieux travail manuel avec une armada de limes métalliques (certaines grossières, d’autres fines, d’autres encore larges, etc.) suivi d’un polissage d’une extrême finesse exécuté à l’aide d’une cheville en buis et de poudre de diamant sont nécessaires pour achever un contour impeccable, aux angles arrondis et brillants.

Anglage sur un mouvement de Breguet

Un anglage fin est soumis à des exigences strictes. Malgré la diversité des angles internes sur chaque élément, leur arrondissement doit offrir une apparence uniforme. Tout défaut, toute irrégularité ou déformation serait inacceptable. Dans leur majorité, les bords doivent présenter un poli brillant, exécuté de manière à magnifier leur éclat.

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