Le dilemme du Swiss Made

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Une marque de mode doit-elle absolument mettre du Swiss made dans ses montres. Le cas de Azzaro
Une marque de mode doit-elle absolument mettre du Swiss made dans ses montres pour réussir à les vendre? Ethiquement, oui, affirme le Neuchâtelois David Morard, qui a lancé cette année les montres Azzaro. Pas du tout, rétorque Xavier Gauderlot, qui a relancé les montres Hugo Boss, mais en les faisant fabriquer en Asie. Regards croisés quelques jours après la fermeture de Baselworld.

Les licences, il connaît bien, David Morard: avec la société Tempus Concept, basée à Neuchâtel, il détenait jusqu'en 2004 la licence des montres Hugo Boss, aujourd'hui reprise par MGI Luxury Group (Ebel et Movado). Une expérience qui s'est mal terminée: perte de licence et faillite. «Et licencier vingt personnes, c'est quelque chose que je ne voudrais plus devoir faire, pour rien au monde», insiste ce Neuchâtelois, qui vient de lancer un nouveau défi: fabriquer en Suisse la première collection horlogère d'Azzaro, autre marque de mode, et réussir à en produire 40 000 par an. Le contrat de licence porte sur huit ans.

Et ceci dans une gamme de prix pas évidente pour du Swiss made: entre 300 et 700 francs. Difficile? «A ce jour, plus de la moitié de la collection remplit déjà les critères du projet de renforcement du Swiss made», répond David Morard, qui a basé à Neuchâtel sa société, Timewalk SA. D'ailleurs, la ligne a été baptisée Azzaro Swiss Watches, et non Azzaro Paris. «Nous avons choisi l'axe de l'horlogerie à un prix accessible: il fallait un positionnement cohérent avec l'ensemble du groupe Azzaro.»

Positionnement qui, auparavant, n'était pas logique: «Nous avons un peu forcé les managers à se poser la question: voulaient-ils viser une clientèle parfums ou une clientèle haute couture? Au final, c'est nous qui avons imposé ce positionnement.»

Pour David Morard, le projet de renforcement de l'ordonnance sur le Swiss made va faire mal et forcer beaucoup de marques à revoir leur stratégie. «Avec 50% de la collection qui supporte ce renforcement, j'ai pris dix ans d'avance! Mais pour moi, qui suis attaché à la région neuchâteloise, une montre digne de ce nom doit être suisse, c'est une évidence.»

Timewalk emploie aujourd'hui sept personnes. Pour la production, David Morard travaille avec la société Xantia, à Bienne, qui est spécialisée dans le private label. «Les mouvements sont en général ETA, mais parfois aussi des Ronda.» Le design a été confié à un Neuchâtelois, même si la création est un processus qui doit s'inspirer de la marque parisienne.

Cette année, la société entend vendre environ 9000 pièces. Avec huit collections, elle peut partir immédiatement à l'assaut des marchés mondiaux. Au Moyen-Orient, en Inde, en Amérique du Sud, les montres Azzaro ont déjà des distributeurs. Le marché nord-américain attendra un peu: «Nous sommes peut-être un peu chers pour les Américains, il va falloir les éduquer un peu. Pour eux, l'horlogerie, c'est Rolex ou Armani, il n'y a pas de milieu...» Un comble!

 

Swiss made ou pas?

- Elles le sont. Sont Swiss made, entre autres, les marques de mode suivantes dans le milieu de gamme: Nina Ricci (Time Avenue, à Vaumarcus), Fendi (Taramax, à Marin), Gucci (Cortaillod), Versace (groupe Timex, mais licence confiée à la société Vertime, à Lugano).

- Elles le sont aussi, mais plus chères. Les griffes mode/luxe à caractère plus horloger: Hermès (Bienne), Dior Montres (La Chaux-de-Fonds), Chanel, Vuitton, Montblanc (La Chaux-de-Fonds), et bien d'autres...

- Elles ne le sont pas. Ne sont pas fabriquées en Suisse: les montres Hugo Boss (MGI Group, à La Chaux-de-Fonds), Guess (Timex, à l'exception de la collection GC, fabriquée sous licence par la société Sequel AG, à Zoug), Armani, Fossil (Timex aussi) et la liste n'est pas complète.


 

«Ce n'est pas une référence»

«Depuis que nous avons relancé les montres Hugo Boss, en abandonnant le Swiss made, nous avons diminué les prix par deux, mais largement accru nos ventes, tant en volume qu'en valeur.» Directeur général d'Hugo Boss Watches, Xavier Gauderlot est catégorique: «Sur tout ce qui est marque de mode, le Swiss made n'est pas une référence. L'important, c'est de proposer un bon positionnement prix-produit.»

Aujourd'hui, Hugo Boss montres vend plus de 150 000 montres par an. La licence a été reprise en 2005, pour une durée de huit ans, par l'Américain MGI Luxury Group (Movado et Ebel, comme vraies marques horlogères, ainsi que Coach et Lacoste en licence), avec pour objectif de relancer la marque Boss en horlogerie. Aujourd'hui, les produits sont dessinés aux Etats-Unis, produits en Asie et positionnés entre 200 et 600 francs. «La montre doit être considérée comme une porte d'entrée dans le monde de la marque», ajoute Xavier Gauderlot, un ancien cadre d'Ebel, qui a tout de même réussi à installer le siège d'Hugo Boss Watches à La Chaux-de-Fonds

 

L'Impartial / Françoise Kuenzi / www.limpartial.ch