Travailler en famille

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Ils sont frères ou cousins et ont estimé que le plus simple pour diriger une marque était de rester en famille. Cyrus, Bremont, MacGonigle, Grönefeld et d'autres encore ont fait ce choix. Un modèle à suivre?




WORLDTEMPUS - 23 août 2011

Olivier Müller



«Ce qui nous fait avancer, c'est une histoire commune et une volonté partagée de faire quelque chose de nos vies (après le décès accidentel de leur père en avion, ndlr)». Giles English, co-fondateur avec son frère Nick de Bremont Watches, résume clairement ce qui motive la plupart de ces duos familiaux à se former.

Toutefois, au-delà de l'aspiration émotionnelle, la question des compétences finit tôt ou tard par se poser. Or le point commun à la plupart de ces tandems est d'avoir un homme de l'ombre, tiers associé, qui éclaire de son expérience ces esprits ambitieux, mais parfois jeunes.


Tandem à trois


«Entre cousins, nous avons la certitude que nous irons toujours au fond des choses et que nous ne nous lâcherons jamais», souligne avec ardeur Laurent Lecamp, 33 ans, co-fondateur avec son cousin Julien Lecamp de Cyrus Watches.

 

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Le premier était déjà dans la distribution horlogère (Corum, Graham, Arnold, etc.), mais le second officiait en tant qu'architecte indépendant. Associés dès 2010, ils présentent rapidement leur premier prototype. Côté coulisses, ils engagent un tiers investisseur pour les épauler. Homme de l'ombre préférant garder l'anonymat, il conseille les cousins Lecamp sur les premiers pas du projet familial.


Même configuration chez les frères English: en plus d'une vingtaine de salariés, ils s'adjoignent les conseils d'un Chairman s'assurant de la bonne conduite des affaires Bremont. A nouveau, l'homme préfère ne pas s'exposer mais n'en demeure pas moins un acteur majeur de l'affaire familiale.


A l'inverse, Bart Grönefeld, créateur avec son frère Tim de la marque éponyme, n'a pas suivi cette voie. «Au début de l'aventure, nous n'avions tout simplement pas les moyens de payer un autre salaire que les nôtres. Mais quand cette question ne s'est plus posée, est apparue alors celle des compétences: en Suisse, nous n'aurions aucune difficulté à trouver un bon CEO horloger; mais ici, aux Pays-Bas, il y a moins de candidats».

 

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Profil de poste à la carte


Qui fait quoi? Qui décide des grandes orientations de la marque? Qui l'emporte en cas de litige? L'essentiel de la relation reposant sur la confiance mutuelle, les paramètres qui sont habituellement gérés par un contrat de travail doivent ici être définis par d'autres biais. Néanmoins, ce sont là autant de questions qui, paradoxalement, n'ont même pas été évoquées aux premiers jours.


Les frères English illustrent le cas idéal: «Nous avons exactement les mêmes compétences, financières, marketing, commerciales, etc. Nous essayons de tout faire à deux, l'un peut prendre au pied levé la place de l'autre dans la plupart des cas», indique Giles English.


A l'inverse, chez Cyrus, Laurent Lecamp dissocie nettement les rôles avec son cousin: «Il est architecte, donc principal acteur de la conception, du design et de la réalisation de nos pièces. La partie investissements et commerciale est plutôt de mon domaine». Lorsque l'on sait que c'est avec un important emprunt personnel que Laurent Lecamp finance l'essentiel de Cyrus, on comprend mieux son regard attentif sur ce sujet.


Les revers de la médaille


Serait-ce donc le retour en grâce du management horloger familial? Les avantages sont indéniables: confiance mutuelle totale, engagement sans faille, ou encore garantie d'un travail toujours porté à son meilleur niveau d'exécution.

 

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Néanmoins, il y a quelques inconvénients. Le recoupement des sphères professionnelle et personnelle lie les protagonistes à leur marque plus fortement, parfois trop. «Il est effectivement parfois difficile de décrocher de son travail. On y pense jour et nuit, sept jours sur sept», admet Giles English. Bart Grönefeld renchérit: «De toute façon, je pourrais difficilement m'échapper de mon travail, j'habite au-dessus de notre atelier!»


Lorsque survient un conflit, l'arbitrage est également moins évident. Laurent Lecamp souligne d'ailleurs qu'en cas de litige, «les désaccords sont parfois exprimés avec plus de virulence que dans une relation de travail traditionnelle». La solution? «On prend nos baskets, on va courir en forêt et l'on en reparle calmement ensuite!», s'amuse-t-il.


En famille sinon rien


Dans ce siècle où chaque carrière se construit sur plusieurs postes, qu'advient-il de la marque si l'un des associés souhaite se désengager?


«Nous n'y avons pas vraiment pensé», admet, quelque peu pris de court, Giles English. «Nous ne ferions probablement pas entrer un co-CEO extérieur. Pour le moment, la question ne se pose pas». Dans la famille Grönefeld, la réponse est à l'unisson entre Bart et Tim: «Si l'un de nous deux voulait quitter l'affaire ou venait à disparaître, l'autre continuerait». Entre devoir familial et réalité économique, bien des questions devraient alors être tranchées.