Interview: Nicolas Bos

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Interview: Nicolas Bos - Van Cleef & Arpels
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Rencontré dans le cadre du SIHH, Nicolas Bos, CEO de Van Cleef & Arpels, répond à nos questions.

On lit en ce moment que les marques joaillières de Richemont, auxquelles appartient Van Cleef & Arpels, sauvent les résultats financier du groupe. Est-ce vrai?

Ce qu'on a vu dans les résultats du groupe, c'est effectivement une belle performance des marques joaillières, essentiellement Van Cleef & Arpels et Cartier. Ce qui est évident, c'est que la dynamique de ces dernières années en horlogerie, n'est pas la même qu'en joaillerie. Pour des raisons historiques, nous sommes moins liés à un réseau wholesale (NDLR : de détaillants) que retail (NDLR : en propre). Nous sommes en prise directe avec nos clients. C'est est moins challenging que l’horlogerie qui passe plus par des détaillants. Et la joaillerie n'a pas profité autant de l'essor fantastique de la clientèle chinoise. Nous avons vécu une croissance plus organique, plus stable, qui dure. L’horlogerie souffre du coup d’arrêt de la demande asiatique. Nous restons une activité moins dépendante d'une seule région.

Comment ce recul de la demande chinoise se traduit-il en termes de produits horlogers? Avez vous revu votre offre, vos prix?

Pas vraiment. On a travaillé, comme d'autres marques, sur les prix internationaux. Les mouvements de taux de change depuis trois ans, et surtout un an, sont tels que même avec des ajustements dynamiques, on est arrivé à des décalages qui rendent complexe la lecture de notre offre entre les Etats-Unis, l’Europe... Nous avons homogénéisé nos prix. On est contraint de continuer à s'adapter. S'il faut diminuer les prix, on le fera. S'il faut les augmenter aussi, même si on sait que dans le monde actuel, c'est plutôt dangereux.

Vous travaillez à la stabilité de votre activité, de votre identité, de vos produits. Pourtant le prix, un des premiers points de contact entre le client et vous, est devenu très instable. Comment gérez-vous ?

Ca a été difficile. On a été moins touché parce que notre réseau de distribution en propre permet de gérer nos prix en direct. Toutes les pièces au-delà d'un certain prix ont un prix unique dans le monde, mis à jour en permanence. Les prix de toute la collection sont désormais mis à jour tous les mois, ce qui a commencé il y a des années en fait. Nos clients voyagent et le prix doit être homogène partout.

Quand on vient voir Van Cleef & Arpels, on repart toujours surpris. Est-ce que c'est important de stimuler l'imaginaire des gens  ?

On cherche surtout à s’inscrire dans les codes de la maison. On a bénéficié du fait que ces codes sont différents de ceux de l'horlogerie. Dans un cadre comme le SIHH, ce qu'on présente détonne. Nos complications poétiques par exemple. Mais l'effet de surprise n'est pas une fin en soi. On cherche toujours comment exprimer l'identité de la maison à travers ces créations. La première fois qu'on a utilisé un mouvement mécanique pour animer une fée, un papillon, ça a été tout nouveau. Quand on a travaillé la narration servie par la mécanique, c'était à contre-courant. Aujourd’hui c'est quasiment une norme. L'effet de surprise doit s’émousser. Nous voulons amener de nouveaux chapitres, plus ou moins impressionnants, et séduire nos clients. Et pas forcément avec une grande innovation.

Tracez vous une ligne claire entre montres pour homme et montres pour dames ?

Nos montres ont clairement un genre. Nous sommes une maison féminine. La joaillerie est notre activité. On vend des pièces portées par des femmes, mais elles sont vendues à des hommes et des couples. Les hommes sont donc importants dans l'achat. Nos créations horlogères sont féminines parce qu’elles expriment le même univers que la joaillerie. En termes d'expression masculine, nous avons deux directions, deux éléments d'identité qui restent très importants pour la maison. D'abord cette idée, celle de la Pierre Arpels, de montre masculine élégante fine, plate, sobre, une tradition de toujours de la maison. Cela correspond à ce que nous avons toujours fait en termes d'accessoires précieux pour homme, comme les boutons de manchette. Cette gamme n'a pas forcément vocation à être développée, elle fonctionne bien pour des hommes qui s’intéressent à la maison. L'autre aspect, et nous allons continuer à l'explorer, c'est comment on peut raconter des histoires dans un univers masculin, comme les montres astronomiques que sont Midnight In Paris ou Planetarium. Nous avons d'autres projets de ce type-là, narratifs. La difficulté est aussi que l'atmosphère de nos magasins est plutôt de joaillerie féminine. Ce n'est pas évident d'y trouver les emplacements pour une clientèle masculine.

Vous avez de plus en plus de toutes petites montres. C'est un type d'offre intéressant pour vous ?

Ce sont des évolutions assez organiques et des attentes de clients. Par exemple, quand on a travaillé sur les métiers d'art, on l'a fait sur de boîtiers larges parce que les histoires s’y expriment bien. Mais sur certains marchés, ces boîtes sont perçues comme un peu masculines, un peu grandes, surtout là où l'idée du bracelet est forte. Avec la Charms, on a prouvé que sur de petits diamètres on peut raconter une belle histoire qui fonctionne assez bien. Ca dépend vraiment des pièces. Vous savez, on n'est pas très stratège sur le marketing. On cherche des histoires qui se répondent entre joaillerie et horlogerie. Sur la Lady Arpels Papillon Automate, on est sur un travail mécanique et un cadran plus complexe, alors on part sur des diamètres plus forts.

«Dans un cadre comme le SIHH, ce qu'on présente détonne.»

La manière dont ce papillon bat des ailes montre un vrai souci de rythme. Il le fait avec grâce. C'est important pour vous, cette maîtrise ?

Ce n'est pas vraiment un hasard. C'est un des éléments de nos histoires qu'on se contraint à traduire techniquement. Souvent les mouvements, les animations peuvent être saccadées, ce qui ne fonctionne pas dans nos histoires. Si le mouvement semble mécanique, on perd la magie de la pièce. On recherche une fluidité, un démarrage très doux, une dimension très organique dans le mouvement. Même quand on travaille avec des fonctions traditionnelles, comme un rétrograde, on fait attention à la qualité du scénario que l’on raconte, un peu comme notre automate de table, Fée Ondine.

Ca ne doit pas être simple de trouver quelqu'un qui adhère à une grande vision comme l'Automate Fée Ondine. Bien plus que pour une montre...

On n'a pas encore décidé si on allait le vendre. C'est un projet qu'on a commencé il y a huit ans et on l'a mené pour le mener. Ce n’est pas un produit, il n'y a pas de dimension commerciale. On ne savait pas combien il allait coûter. Pour l’instant on va le garder et on a envie de le présenter et de le partager. De montrer ce qu'on peut faire dans le domaine des métiers d'art, des arts mécaniques. Le SIHH est un espace parfait pour ça. Je ne pense pas qu’on puisse concevoir ce genre de pièces avec une vision commerciale, sauf dans le cadre d'une commande spéciale. C'est assez expérimental. On a fait travailler une vingtaine d’ateliers. C'est une pièce confluence, une pièce carrefour, sans impératif de date ou de client, qui va nourrir d'autres projets. Ca nous permet d'alimenter notre création dans des registres plus traditionnels.

«Dans un cadre comme le SIHH, ce qu'on présente détonne.»

Le papillon de la Lady Arpels Papillon Automate aurait une parenté avec celui de la Fée Ondine ?
Oui, le fait de travailler dans l’horizontalité nous a donné envie de revenir à la verticalité dans l'animation. De repenser les étagements, dans une logique horlogère où on est toujours sur des empilements. L'automate nous a fait dire : comment donner de l'espace dans une montre pour qu’on papillon puisse y vivre ?

Donc cet automate n'a pas de prix ? Mais il a bien un coût ?
Je n'en suis même pas sûr tellement le temps passé est fou. On a l'habitude de vendre des choses exceptionnelles mais pour ça, on a des règles. Sur un collier à trois millions d'euros, ça paraît un tarif fou, mais on sait exactement où il se situe parce que ça fait un siècle qu’on le fait. Là, il n'y a pas vraiment de référence. Je crois que le vrai coût échappe même à nos comptables. Mais ils sont assez heureux qu'il y ait des projets comme ça.

Découvrez l’Automate Fée Ondine dévoilé au SIHH 2017.

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