Le cerveau est une femme

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The brain is a woman - TAG Heuer
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Dans un métier encore très masculin, une femme laisse depuis quinze ans une empreinte majeure. Créatrice et développeuse de mouvements, Carole Kasapi innove et casse régulièrement les codes

On trouve bien des femmes dans les ateliers d’horlogerie. Elles pratiquent tous les métiers de la montre, du polissage à l'assemblage en passant par le réglage et la décoration. Mais il est un lieu qui résiste encore à la féminisation : la conception de mouvement. Les exceptions existent et l'une d'entre elles est plus qu'une entorse à la règle. Carole Forestier-Kasapi est l'un des...disons cinq meilleurs cerveaux horlogers de notre temps. Elle a conçu certains des mouvements les plus importants et impressionnants de ces 15 dernières années. Mais plus encore qu'une horlogère, qu'une créatrice, Carole Kasapi est une transmetteuse. « Pendant un moment, j'ai donné des cours à l'Ecole d'Art de La Chaux-de-Fonds, aux graveurs. J'ai été de nombreuses années juré sur des travaux de diplôme à l'Ecole d’horlogerie du Locle. Pour moi, c'est normal. Ca fait partie de ce que je dois rendre à l’horlogerie, qui m'a beaucoup donné.»

Le cerveau est une femme

Carole nait à Paris pendant les événements de Mai 68. Son père est horloger et il s'établit rapidement à son compte en tant que restaurateur. « Mon père avait un souci du détail, il fallait que ce soit parfait ! Il roulait ses pivots pendant des heures, c'est l’image de l'atelier que je garde de lui. Il m'a fallu du temps pour comprendre l'importance de l’opération, tellement ingrate. C'est une relation au temps particulière. » Elle a donc grandi dans le bain de benzine.

A 16 ans, Carole s'inscrit à l'Ecole d'Horlogerie du Technicum neuchâtelois, située à La Chaux-de-Fonds. « Mon père m’avait dit « si tu veux faire une école d'horlogerie, tu vas en Suisse ». Ca, ce n'était pas négociable. » Le cursus horloger vient d'y rouvrir après avoir été fermé de longues années, faute de vocations. Dans la classe, on trouve Carole et une autre fille....prémonitoire. « A la fin de mes quatre ans d'école, je me suis dit que l'horlogerie à l'établi (soupir)... j'ai rempilé pour un second cycle de deux ans pour faire de la conception. »

Ses méthodes de travail étaient déjà en avance sur leur temps. « J'avais demandé une dérogation pour passer mes examens sur ordinateur au lieu de la règle et du papier ». Entrée dans un bureau de développement de La Chaux-de-Fonds, elle construit un calibre automatique, ultrafin, destiné à Zenith. C'est le début d'un long tableau de chasse. Elle passe chez Renaud & Papi, la manufacture très indépendante et très haute horlogerie d'Audemars Piguet. Après avoir pris la tête du bureau technique, après six années dans cette pépinière de talents dont sont issus bien des grands du métier, elle crée le concept qui servira de base à la Freak d'Ulysse Nardin, entre au service de la marque et n'y reste pas longtemps. Puis elle est appelée par un certain Eric Klein. Responsable des développements horlogers pour le Groupe Vendôme, ancêtre de Richemont, il devient son employeur, son mentor. L'homme sera par la suite en charge de la création de la manufacture de composants et de mouvements partagés du groupe Richemont, ValFleurier.

Durant ces années, Carole achète, commandite et développe des mouvements de haute horlogerie qui vont servir entre autres à Piaget, Panerai et Cartier. En 2005, elle monte de zéro le bureau technique mouvement de cette dernière. Il faut dire que Cartier a décidé de s'inventer un destin dans la haute horlogerie, qui est porté entièrement par les créations de Carole. La marque lance ainsi en 10 années des montres parmi les plus mémorables et innovantes. Trois aiguilles, chronographe, tourbillon, tourbillons bi-axiaux, tourbillons innovants, répétition minutes, quantième perpétuel, multiples complications, elle exécute tous les classiques et invente des formes nouvelles.
Le cerveau est une femme

En 2017, Carole entre au département de recherche centralisée du groupe Richemont, pour le quitter en 2020. « Il fallait que je retourne dans le produit, j'en étais déconnectée parce que j'étais dans l'innovation pure, sans lien entre les deux et ça me manquait. ». Elle est aujourd’hui en charge de la stratégie de développement mouvements pour TAG Heuer et on attend ses premiers gestes.

Le truc avec Carole, et tous ceux qui l'ont rencontrée diront la même chose, est que ce n'est pas qu'un cerveau horloger. La pédagogie est sa plus grande force. Expliquer, sans relâche, à ses équipes, techniques ou marketing, aux journalistes, fouineurs ou ignorants, au grand public, curieux ou blasé, est sa marque de fabrique. « Je ne crois pas aux cerveaux tout seuls. Je crois à la richesse de la pluridisciplinarité, dans tout ce que je fais. Etre seul, c'est pauvre. Et un éclairage multi-facette est tellement plus riche ».

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