Interview d'Aurel Bacs

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An interview with Aurel Bacs - Phillips
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Aurel Bacs, célèbre commissaire-priseur, expert horloger et partenaire de Phillips, a reçu WorldTempus pour une interview exclusive.

En un peu plus de deux ans, Phillips en association avec Bacs & Russo a atteint des résultats impressionnants. Comment expliquez-vous ce rapide succès?
Tout d’abord, il y a un marché. Mais même si il y en a un, il est primordial de le comprendre. Prenons l’exemple des téléphones portables. Il y a 20 ans, c’était Nokia et Motorola. Aujourd’hui ces deux marques sont inconnues de la jeune génération, qui ne jure que par Apple et Samsung. Et pourquoi ? Car Nokia et Motorola n’ont pas compris le marché à une certaine époque et le paient aujourd’hui très cher.
Je pense que chez Phillips, nous sommes proches du marché. Nous avons été attentifs aux frustrations des collectionneurs et essayons d’y remédier. De quoi s’agit-il? D’une administration lourde, de personnes jamais atteignables, de spécialistes qui considèrent leur travail comme un travail et  non comme une passion, etc. Nous ne lâchons jamais nos clients, et sommes avec eux du début à la fin. Ils sentent que nous partageons leur passion.

Chez Phillips, vous privilégiez la qualité et non la quantité.
En effet. Comme je vous le disais avant, nous avons compris quelles sont les exigences des collectionneurs ont vis à vis d’une maison de vente aux enchères. Vient en premier la qualité, qui se doit d’être irréprochable. Et depuis le lancement de Phillips en 2014, nous avons expressément mis l’accent sur des pièces de qualité supérieure au niveau de leur état, originalité et provenance. Nous investissons beaucoup de temps dans chaque pièce, mais aussi dans le catalogue de présentation de chaque vente et fournissons un service client digne des montres que nous proposons.

Les deux dernières ventes aux enchères de Genève (ndlr : le 14 et 15 mai derniers), ont réuni 225 lots contre 350 à 500 lots pour les autres maisons de vente aux enchères. Nous avons vendu 100% des montres de la vente thématique « Epic Stainless Steel Chronographs » et 99% de la deuxième vente pour un montant total de 32'843’250 franc suisses. Ce résultat n’est pas dû au fait que nous travaillons un tiers moins de temps que nos confrères et encaissons pour trois fois plus cher. Au contraire, nous travaillons trois fois plus pour la moitié moins de lots.

Lors des ventes du moi de mai, certains modèles de Patek Philippe et de Rolex ont été adjugés à des prix incroyables. Pensez-vous que certaines marques sont sous cotées ?
Absolument. Qui me connait et me suit sait que je ne suis ni marié à Patek Philippe ni à Rolex. J’aime la haute horlogerie, la belle horlogerie, les montres vintage. Le fait que nous ayons organisé cette vente thématique sur les chrono en acier est la preuve que nous ne voulons pas faire de vente uniquement dédiée à Patek Philippe par exemple, mais que nous cultivons la diversité horlogère. Arrêtons nous un instant sur les marques de la vente du 15 mai dernier: Jaeger-LeCoultre, Eterna, Ulysse Nardin, Movado, Longines, Zenith, Omega, Universal, Breguet, Patek, Heuer, Eberhard & Co., Tudor, etc. Un très joli éventail de noms connus et de noms moins connus. Ça m’est égal si une montre de telle ou telle marque est aujourd’hui soldée à la boutique d’un aéroport. A l’époque, cette marque produisait des montres merveilleuses et c’est cela qui m’intéresse. Eterna par exemple a fait des chronographes spectaculaires dans les années 40, 50 et 60. Et on a vu deux Eterna qui ont fait de très jolis scores. A l’époque, les ébauches étaient partagées ! Ne croyons pas que Vacheron Constantin ou Audemars Piguet possédaient une ébauche chrono. Il s’agissait des calibres Lemania, Valjoux, etc. La Rolex Reference 4113 qui a fait CHF 2.4 millions à la même ébauche que l’Universal Genève qui a fait un dixième. Bien sûr, une Rolex vaut énormément, c’est un des noms les plus puissants du monde. Et à l’inverse, je pense aussi qu’une Patek Philippe adjugée à CHF 500'000 francs suisses n’a pas encore atteint son sommet.

Eterna Clamshell

Je rebondis là dessus. Pensez-vous que les prix ont atteint un plafond ?
On sait toujours après coup où était le plafond mais je pense que nous sommes encore loin d’avoir atteint des prix plafond. Faisons une comparaison. Il y a quelques semaines, un tableau de Jean-Michel Basquiat a été adjugé pour 60 millions de dollars à New York. La Rolex la plus chère de l’histoire jamais vendue aux enchères est partie pour CHF 2.5 millions, un vingtième. Essayons de façon rationnelle de comprendre pourquoi le tableau de Basquiat vaut 20 fois plus cher que la Rolex. Ce n’est pas à cause du matériel – une toile et de la  l’huile – que le peintre a utilisé. La rareté ? La Rolex, tout comme le tableau sont des pièces rares. L’âge ? La Rolex est de 1942, le Basquiat est des années 80. Il ne s’agit donc pas de cela.. Autre comparaison, plus « mécanique » : Ferrari, dont certains modèles vintage atteignent des prix entre 25 et 30 millions de dollars. Alors où est la logique ? Si on parle de spéculation, de prix plafonds et que je ne compare pas les montres aux voitures et tableaux, alors je dors très bien avec les prix que nous avons atteints lors des ventes de Genève.

Pourriez-vous définir le profil du collectionneur de demain ?
On vit aujourd’hui dans une société qui est de plus en plus parfaite et contrôlée aussi. Par exemple, quand j’étais jeune, j’ai connu le ski sans lunette, sans casque et en pull. Est-ce que c’était mieux ? Non, mais il y avait ce sentiment de liberté. Et je pense que la jeunesse, cherche dans cette perfection de tous les jours, de l’imperfection. On peut aller acheter une nouvelle chemise dans une boutique ou on peut aller dans un magasin qui propose de la mode vintage, parce qu’il y a une âme. Je vois une grande renaissance pour les objets vintage, la montre, le cinéma, la musique… L’avenir reste l’avenir, mais avec un peu de regret on regarde en arrière. Je pense que le futur collectionneur a la trentaine. Ce n’est pas celui qui à 15 ans aujourd’hui car il n’a pas connu autre chose. Mais un trentenaire a eu un contact avec cette époque. Le vintage est également un moyen de raconter son histoire et de se distinguer et d’affirmer sa personnalité.

Aussi, le futur collectionneur ne doit pas forcément être multimillionnaire pour s’offrir une montre. En effet, la qualité d’une pièce ne s’exprime pas par son prix. Je préfère un restaurant qui me propose les meilleures pâtes sauce tomate à un autre qui propose un filet de bœuf wagyu trop cuit et trop salé. A titre d’exemple, lors de la vente thématique sur les chrono en acier, nous avons proposé une Heuer à CHF 2000.-, une montre de qualité car neuve de stock, très rare et jamais bricolée.

Heuer Autavia