Interview d'Eric Loth

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Interview with Eric Loth - Graham
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Un rédacteur en chef britannique interviewe un anglophile auto-proclamé à Baselworld.

Quoi de neuf chez Graham?
Notre stratégie consiste à proposer des produits perturbateurs. Nous avons remarqué qu’à chaque fois que nous faisons quelque chose d’un peu agaçant, ça marche bien, et que ce que nous proposons de plus classique et traditionnel ne rencontre pas nécessairement le succès espéré. Nous nous concentrons donc à présent sur la collection Chronofighter, où nous avons quelques nouveautés, et surtout sur la Swordfish, que nous relançons cette année.

Nous avons sorti  la Swordfish en 2004 et cette année, pour son 15e anniversaire, nous avons amélioré la construction du boîtier, réduit légèrement l'épaisseur et introduit le bronze et l'acier. Je me souviens qu’en 2014 à  Baselworld, j’avais lancé la production d’une  série de 500 pièces mais je n’avais eu que 70 commandes. Après plusieurs nuits d’insomnie, j’étais arrivé à la conclusion que j’avais probablement commis une erreur. Puis un journaliste en a publié une photo et j'ai commencé à recevoir des demandes d’informations. Et soudain, la production des 500 pièces n’a plus suffi. Selon les années, la Swordfish représentait entre 30 et 40% de nos ventes.

Interview with Eric Loth

Dans ce cas, pourquoi avez-vous cessé sa production?
Nous avons souffert de contrefaçons. À l'époque, vers 2007-2008, il était beaucoup plus difficile de contrôler les contrefaçons en Chine. Donc, vers 2011-2012, j'ai décidé d'arrêter la production et de faire perdre de l'argent aux faussaires. Ce fut une décision radicale, mais qui m’a permis de conserver le produit pour l’avenir car, à l’époque, nous n’étions pas assez puissants financièrement pour nous défendre contre les contrefacteurs.

Entre-temps, la législation contre la contrefaçon s'est améliorée et nous bénéficions d'un meilleur contrôle grâce au soutien de la Fédération horlogère suisse. Le risque est donc moindre. Mais il y a 10 ans, les dégâts causés par les contrefaçons étaient catastrophiques et touchaient la marque dans son ensemble. J’avais en outre l’impression d’être un peu complice, car nous savions d’où venaient ces montres et comment elles étaient expédiées, mais nous n’étions tout simplement pas assez forts pour y faire face.

La décision de cesser la production de la Swordfish a eu un impact financier important sur la marque, mais elle nous a permis de revenir aujourd’hui, car nous savions qu'il y avait une demande pour ce modèle.

Qu’en est-il de votre autre collection phare,  la Chronofighter?
Nous en avons vendu 25 en une soirée et à un seul détaillant, ce qui n'est pas mal du tout pour une montre à plus de 8 000 francs suisses. Nous avons probablement doublé nos prévisions budgétaires pour cette année, et c’est donc une très bonne nouvelle.

Les Chronofighter Superlight sont très techniques et certains modèles pèsent moins de 100 grammes. Elles représentent le côté technique de la marque. Nous souhaitons garder ces modèles à moins de 100 grammes autant que possible. Croyez-le ou non, c’est avec le bracelet en caoutchouc blanc que le challenge est le plus difficile, car les pigments utilisés pour colorer le caoutchouc sont en réalité plus lourds que pour les autres couleurs. Le caoutchouc lui-même n’est pas en cause, mais uniquement les pigments, qui peuvent à eux seuls faire une différence de trois grammes, ce qui est assez conséquent pour une montre qui doit faire moins de 100 grammes.

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Les détaillants en Chine manifestent un intérêt nouveau pour les marques un peu spéciales et moins courantes. Ils recherchent également des montres plus fortes et plus typées. Le travail que nous avons accompli sur la Chronofighter au cours des 18 dernières années est en train de porter ses fruits là-bas. Cela nous a pris 18 ans, mais les résultats sont là. Il arrive que cela prenne une génération et c'est pourquoi le fait que nous soyons indépendants nous permet de regarder vers l'avenir. Je veux simplement amener la marque à un niveau de sûreté tel que je ne rencontre plus de problèmes à l'avenir. Ce sera ensuite à mes enfants de décider s’ils souhaitent  prendre la relève ou non.

Vous avez joué la provocation avec une montre Brexit. Pour quelle raison?
Je suis un anglophile convaincu, qu’il s’agisse de musique, de littérature, ou d’art contemporain… Cela a toujours influencé mes choix au fil des ans. Je suis Suisse de cœur, bien sûr, et fier de l’être. Mais j'ai toujours aimé les Britanniques, leur humour et leur liberté.

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C’est pourquoi le Brexit me fascine. J'ai voulu délibérément que la montre Brexit soit une provocation. Nous avons remarqué qu’elle créait un débat. Je pense que les Britanniques ne se rendent pas service, mais qu’ils finiront par y arriver de toute façon. Les gens avaient conscience qu’il fallait un changement, mais ils n’avaient pas de solution tout prête, ce qui est aussi typiquement britannique.

Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, c’est l’une des plus grandes batailles politiques pour l’Europe et elle me fascine. Curieusement, il semble que les sujets qui me fascinent finissent par se retrouver dans la marque, sous une forme ou une autre.

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