Interview d'Antonio Calce

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Interview with Antonio Calce - Girard-Perregaux
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Le CEO de Girard-Perregaux revient sur le succès de son grand lancement, la Laureato, et sur les changements d'organisation qui bouleversent le fonctionnement de la marque.

Est-ce que la Laureato fonctionne comme vous l’espériez ?
On doit toujours être prudents et humbles, mais la Laureato rencontre un succès significatif. Nous sommes très attentifs au sell-out, c'est-à-dire les ventes au consommateur final. C’est indispensable. On ne peut plus fonctionner en regardant seulement le sell-in, les stocks des détaillants. Ce n'est pas le bon indicateur de santé de l'horlogerie. Et ce sell-out est très satisfaisant. Mais au-delà des chiffres, il fallait que Girard-Perregaux trouve un produit fort, historique, légitime. Or, nous sommes sortis en 1975, en même temps et même avant certains produits forts historiques qui ont ouvert la voie des montres sport-chic en acier. Et nous avons gardé une identité et un design forts, qui sont indispensables pour construire une image de marque. Ce n'est pas possible avec un produit très classique. Nous en avons aussi, mais une icône avec une forte identité permet de sortir du lot.

Parce que les montres classiques sont trop génériques ?
L'identité d'une montre classique, à quelques mètres, on ne sait pas toujours l'attribuer à la bonne marque. C'est plus difficile de la rendre désirable, car elle a moins de surfaces différentes, de finitions différentes. Alors que la Laureato n'avait jamais été utilisée comme une icône, comme un produit avec une forte dynamique commerciale. Alors ça fonctionne et ce n'est que le début. Mais le plus important était de trouver le type de produit pour nous déployer commercialement.

Et la Laureato est devenue une gamme complète ?
Oui, elle s'est déployée pour être mixte, multi-taille, multi-complications. Cette année, elle s'est encore étoffée avec les Laureato Chronograph. On est vraiment présents dans de nombreux segments de prix, ce qui est très positif.

Interview d'Antonio Calce

Mais elle a très vite été dans le haut de gamme...
Oui, il y a eu très vite un tourbillon squelette, tout en haut de la pyramide. Et maintenant un tourbillon volant squelette. Mais nos nouveaux temps de développement nous l’ont permis. Les rythmes d'avant étaient trop lents. On ne peut plus se contenter d'une série de nouveautés lors d'un salon. Cette année, nous en avons eu quatre majeures, à distance de ces salons. Le time to market ne peut plus être celui d’avant, basé qu'il était sur une approche séquentielle.

«  Nous travaillons beaucoup plus vite, sur les produits, sur les mouvements, sur la communication »

Quelle est cette approche ?
Nous avons revu nos processus de développement produit. Au lieu de 18 mois, nous sommes tombés à 6-8 mois. On généralise l’utilisation de composants simples, qu'il n'y a pas besoin de repenser sans cesse. Et on n'attend pas d'avoir fini une étape pour lancer la suivante. C’est essentiel, parce que le monde va à une vitesse que nous devons adopter, grâce à notre organisation.

Le rythme a changé côté client aussi ?
Les clients ne nous attendent pas, ils veulent des produits, des nouveautés, de la fraîcheur. Il est indispensable que nous puissions livrer immédiatement. C'est le cas, la Laureato Chronograph commence à être livrée dans trois semaines, idem pour la céramique blanche. Les difficultés de ces dernières années ne sont pas que dues à des causes extérieures. Au niveau du fonctionnement de l’horlogerie, il faut se remettre en question pour toucher une clientèle qui s'est éloignée de la montre, aussi par notre faute.

En termes géographiques, y a-t-il des marchés qui sont plus preneurs de la Laureato ?
Nous avons une offre produit très sport-chic, la Laureato ; une offre très classique, la 1966 ; une ligne féminine, la Cat's Eyes. Mais on ne livre plus des assortiments standard, où tout le monde reçoit les mêmes montres. On fait très attention à qui reçoit la Laureato. Elle n'est livrée que sur une petite centaine de points de vente, sur un total d’environ 350, un chiffre qui est en réduction. Certains n'y auront pas accès, et c'est une volonté. Il faut éviter de submerger le marché pour préserver la Laureato.

Cela veut dire que vous suivez mieux le fonctionnement de vos détaillants ?
Comme nous faisons partie du groupe Kering, nous avons des moyens nouveaux et nous voulons construire sur du long terme. Et nous suivons au plus près le sell-out et les taux de rotation. C'est ce type d'indicateur qui nous guide.

Et tout au sommet de la gamme, vous continuez la haute horlogerie.
Tout à fait. Cette année, nous lançons la pièce de haute horlogerie la plus compliquée que Girard-Perregaux ait jamais proposée. Nous avons associé un tourbillon tri-axial à une répétition minutes. Elle est très aérienne. Oui, cette offre est très importante, car de tous temps nous avons produit quelques centaines de pièces de très haut niveau. C'est aussi, comme cette nouvelle Esmeralda entièrement gravée à la main, un outil de promotion extraordinaire, un vrai levier. Comme l’Échappement Constant, que nous sommes en train de revoir.

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Et pour les dames ?
Nous avons déjà un volet féminin sport-chic avec la Laureato, mais nous avons développé une offre joaillière concentrée sur notre modèle Cat's Eye. Mais nous n'allons pas sur tous les terrains avec ce modèle. Elle est aujourd'hui une montre bijou.

Quel rôle joue la céramique, que vous venez d'introduire ?
Il y a une volonté d'un noir durable, qui ne s'use pas comme un traitement de surface. Et après il y a un côté nouveau, plus tendance, et nous avons gardé toutes les finitions de la Laureato, les polis, les satinés, les coins... ça apporte de la jeunesse à ce produit.

Et c'est important, cette fraîcheur ?
Girard-Perregaux a 225 ans d’histoire et le poids de l'histoire n'a pas tendance à nous pousser vers le futur. Cela avait déjà commencé avec la Neo Tourbillon. Mais nous devons l’insuffler dans notre manière de communiquer et nous éloigner un peu des codes de l'image horlogère. Nous voulons communiquer plus d’émotions et moins nous centrer sur le produit même.

Et c'est ça votre gros chantier aujourd’hui ?
Oui. Les marques horlogères ont toujours appliqué les mêmes ingrédients. Le salon avec hôtesse en tailleur et cocktail petit fours. Notre manière de présenter les montres est plus ludique. Les vitrines sont animées, plus dynamiques. Je constate que la communication mise en place depuis quelques années ne passe plus. Notre médaille d'or à l'Exposition Universelle de 1889 ne parle à personne. Pareil pour 1989... On doit adapter notre discours.

Est-ce que la dose de modernité dans vos produits est au niveau que vous souhaitez ?
On y arrive. Avec la Neo Bridges, avec la Neo Tourbillon Squelette, on y arrive. Mais il faut continuer à travailler. A insuffler une dose de modernité dans des produits qui sont aussi empreints des codes historiques.

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Vous avez à côté de vous, dans le groupe, une marque très innovante, Ulysse Nardin. Collaborez-vous avez eux ?
Il est clair que nous sommes ensemble dans un comité industriel où des synergies industrielles ont commencé. Et bien d'autres sont en réflexion. Tout ce qui ne touche pas à l'intégrité, à l’identité de la marque, nous y réfléchissons. Nous analysons surtout la mise en commun de composants existants.

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