L’horlogerie enfin prête ?

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Is the watch industry ready at last? - Sustainability
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De la volonté à l’action : à Watches & Wonders, les marques horlogères manifestent leur volonté de mieux intégrer les enjeux environnementaux et sociétaux dans leurs produits. Bien mais suffisant ? Le point avec Ethiwork, qui travaille sur le sujet avec la FHH

Le jeu a parfois des airs de mauvais match de football : tout le monde se renvoie la balle mais personne ne marque de but. Du moins, si rarement. Entre horlogerie et développement durable, le principe est souvent le même. Le consommateur veut des montres plus responsables...mais sans changer ses habitudes : une montre en or avec un bracelet en cuir. L’industrie répond avec des initiatives ponctuelles, voire marginales...qui lui sont ensuite reprochées comme telles ! De ce match, tout le monde peut pourtant sortir gagnant. C’est le pari que fait Ethiwork, un « studio d’impact » créé en 2018. Il forme les marques horlogères et joaillières à la compréhension et la mise en action d’une politique RSE (Responsabilité Environnementale et Sociétale) volontariste, orientée résultats et impact.

« L’horlogerie est une industrie qui a de bonnes bases »

Deux volets semblent bouger : l’amont du produit (extraction, raffinage, tannage, recyclage, traçabilité, respect des droits humains) et son aval (attentes du client, nouveaux matériaux, transparence). « Pour l’horlogerie de luxe comme la joaillerie, le sujet sensible est l’approvisionnement responsable des matières premières rares, notamment l’or, les pierres précieuses et cuirs exotiques », explique Céline Dassonville, fondatrice d’Ethiwork. « Les mines détruisent sol et écosystème vivant et engendrent des pollutions (émission de CO2, infiltration des nappes phréatiques, destruction de la biodiversité). En revanche, la préciosité et la rareté des matières premières a donné lieu à des pratiques exemplaires d’éco-conception des créations. L’horlogerie est donc une industrie qui a de bonnes bases. Les risques de scandales sont essentiellement au niveau des sous-traitants de niveau 3, 4 ou 5 ».

L’horlogerie enfin prête ?

Scandale tessinois

Ces scandales sont rares mais retentissants. Il y a quelques mois, un raffineur du Tessin a vu de l’or sale entrer à son insu dans son circuit de production par l’un de ses sous-traitants. Indirectement, les marques horlogères et joaillières travaillant avec lui ont été éclaboussées. « Institutions réglementaires et groupements professionnels maintiennent la vigilance sur la provenance de l’or. Toutefois, davantage de collaboration est nécessaire pour adresser les enjeux des mines. », poursuit Céline Dassonville. Il en va ainsi du rapport annuel de Human Rights Watch en matière de responsabilité d’extraction aurifère. Il note individuellement chaque entreprise en fonction de ses engagements RSE visibles. Un « name & shame » qui ne dit pas toujours son nom mais fort redouté dans le milieu.

Une matière, des choix multiples d’approvisionnement

Les marques horlogères et joaillières sont confrontées à un double défi. Le premier : adopter une politique d’approvisionnement responsable. « Les choix sont là », explique Céline Dassonville. « Par exemple avec l’or. Il y a l’or industriel minier, tel qu’extrait au Canada et aux États-Unis. Ensuite, l’or recyclé, issu des industries électroniques. Les affineurs traditionnels sont en train de se structurer pour en proposer de manière plus systématique mais il est encore 5% à 10% plus cher que l’or extrait. Enfin, il y a l’or des mines artisanales qui luttent contre l’utilisation du mercure, comme avec les initiatives Fairtrade, Fairmined ou SBGA, telles que développées par Chopard, mais il s’agit de petits volumes, insuffisants pour le marché : quelques tonnes par an, un faible pourcentage de ce qui est consommé par le secteur du luxe ».

L’horlogerie enfin prête ?

Second défi : communiquer. Dans le microcosme genevois, telle n’est pas la posture native. C’est notamment ce qui explique que le français Kering, beaucoup plus ouvert sur le sujet, a préempté une large part de voix RSE. Le groupe Swatch n’est pas inactif, loin s’en faut, mais très discret. Chez Richemont, le choix se porte essentiellement sur un or recyclé avec Varinor en raffineur intégré.

L’horlogerie enfin prête ?

50'000 francs l’ananas ?

Côté client, l’adhésion à cette tectonique RSE reste ambivalente. « C’est le syndrome du cadran bleu », glisse un détaillant. « Tout le monde adore une nouveauté avec cadran bleu électrique. Mais une fois en caisse, le choix reste celui d’une pièce avec cadran blanc et bracelet croco noir. L’adhésion est une chose, l’achat en est une autre. Nous sommes dans un milieu extrêmement conservateur ! ».

Le client final ne serait donc pas prêt à mettre 50'000 CHF pour une pièce en or recyclé avec bracelet en cuir d’ananas. « Il y a effectivement un enjeu d’image et de pédagogie », reconnaît Céline Dassonville. « Mais à terme, ce qui se profile, c’est une économie horlogère circulaire qui recycle l’or mais aussi l’acier, le titane, et élabore des bracelets en cuir avec des garanties éthiques, ou des alternatives végétales ou synthétiques qui offrent le même niveau de qualité et de durabilité ».

Panerai, fer de lance de la circularité ?

À ce jeu, Panerai fait office de fer de lance. A Watches & Wonders, la manufacture a présenté une eLab-ID dont 98,6% du poids est en matériaux recyclés. Jamais un tel niveau ni un tel degré de précision n’avaient été atteints. Reste que la montre n’est éditée qu’à 30 exemplaires et vendue 60'000 euros – un « game changer » encore très conceptuel qui ne fera pas bouger la masse critique de clients capables d’engager un véritable mouvement vers horlogerie circulaire.



Le marché ne se « responsabilisera » donc que si les mastodontes (en volume) de l’industrie se convertissent à cette horlogerie circulaire : Rolex, Omega, Longines, Tissot, entre autres (selon les chiffres de l’industrie). En somme, la donne changera si le marché éduque et tire le consommateur, et non l’inverse.

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