Interview de Jean-Christophe Babin, CEO de Bulgari

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Interview with Jean-Christophe Babin, CEO of Bulgari - Bulgari
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Notre rédacteur en chef s’est entretenu avec Jean-Christophe Babin, CEO de Bulgari, à propos de la situation économique générale, du prix des montres, de la technologie connectée et de l’intégration verticale de la division Montres de Bulgari.

La dernière fois que nous nous sommes parlé, c’était au téléphone, pendant le SIHH 2015. Bulgari annonçait alors son programme « Bulgari Protect » de soutien aux détaillants suisses après l’abandon par la Banque Nationale du taux plancher. Quels sont les résultats de ce programme ?
Le programme « Bulgari Protect » a été appliqué jusqu’en août dernier, quand le taux de change entre le franc suisse et l’euro s’est stabilisé, sans revenir toutefois à son niveau historique de CHF 1,20 d’avant l’abandon du taux plancher par la Banque Nationale. Le taux de change est aujourd’hui à environ CHF 1,10 et, par une augmentation de nos prix dans la zone euro, nous sommes parvenus à aligner les prix en Suisse avec ceux de la zone euro.
Le programme a été extrêmement bien accueilli car à l’époque, nous étions une des seules marques à avoir réagi rapidement pour l’ensemble de notre gamme de produits, et cela nous a permis de terminer l’année sur des chiffres positifs pour le marché suisse. C’est d’autant plus remarquable que 2015 fut, comme chacun sait, une année difficile pour l’horlogerie.

Qu’en est-il du contexte économique mondial, avec une économie chinoise affaiblie, des problèmes en Russie et une désaffection des touristes ?
« Bulgari Protect » n’a pas eu qu’un impact direct sur les prix. Il a aussi eu une influence psychologique positive. Concernant nos affaires en général, le taux de croissance lié au tourisme chinois s’est ralenti, et après les attentats de Paris, on a assisté à une chute du nombre de touristes dans des pays comme la France ou l’Italie, avec une conséquence directe pour le marché suisse aussi, puisque nombre de ces touristes passent également par la Suisse.
En outre, les contrôles douaniers en Chine ont eu un effet direct sur les ventes de certaines catégories de produits. Par exemple, les taxes douanières appliquées aux montres en Chine s'élèvent à 30%, quel que soit le pays d'achat, alors qu'elles ne sont que de 10% pour la joaillerie et la maroquinerie. Si vous y ajoutez les amendes éventuelles, cela peut faire une grosse différence sur le prix final d’une montre. La bonne nouvelle, c’est que cela booste la demande domestique en Chine, car si acheter une montre là-bas peut s’avérer un peu plus cher, on est sûr en revanche d’éviter des taxes douanières ou des amendes supplémentaires.

Constatez-vous une concurrence sur les prix, par exemple avec les modèles Diagono Magnesium, lancés l’année passée ?
Chez Bulgari, notre attention se porte davantage sur les consommateurs que sur les prix. Nous avons effectivement la Diagono Magnesium , dont le prix des nouveaux modèles que nous présenterons à Baselworld cette année va de CHF 4000.- à CHF 5000.-, mais nous restons convaincus qu’une belle montre, avec une identité forte et un mouvement manufacture, comme l’Octo, dans un segment de prix de CHF 7000.- à 15'000.-, continuera de dominer le marché en termes de valeur. C’est là-dessus que nous devons nous concentrer.

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L’année passée à Baselworld, vous avez présenté la Bulgari Vault, en collaboration avec WiseKey. Votre but était-il d’éviter à tout prix de lancer une montre connectée de plus?
De nouveau, nous avons d’abord pensé à nos clients - qui sont aussi des amateurs de joaillerie – et qui ont l’habitude de placer leurs bijoux et leurs montres dans des coffres. Nous avons eu l’idée de leur offrir un véritable service sous la forme d’un coffre virtuel totalement sécurisé. Il y a deux façons de gérer nos empreintes numériques aujourd’hui : la première est le stockage des données et la seconde la sécurisation de l’accès à ces données. La Bulgari Vault offre la solution pour les deux. Il y a d’abord l’espace de stockage situé dans un centre de données quelque part dans les Alpes suisses, et ensuite, l’accès crypté sécurisé.
Jusqu’à présent, nous étions encore en phase de test de cette technologie mais nous allons bientôt passer à son lancement commercial. La montre elle-même a aussi passablement évolué depuis sa présentation à Baselworld l’année passée. Côté esthétique, nous voulions qu’elle se distingue davantage des autres modèles Magnesium et qu’elle ait sa propre identité. Côté technologique, nous avons procédé à de nombreux changements, mais je ne peux pas vous en dire plus pour l’instant.

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Peut-on s’attendre à voir cette technologie appliquée à d’autres produits Bulgari?
Nous travaillons plus généralement sur l’interactivité entre le produit et le client, que ce soit dans le domaine de la protection des données, comme avec la montre Bulgari Magnesium, ou dans celui de la communication entre le produit et son environnement. Nous menons des tests avec des produits de maroquinerie et des puces RFID (Radio Frequency Identification) et NFC (Near Field Communication) pour interagir avec le consommateur, qui peut par exemple s’informer sur le produit à partir d’un microsite, ou trouver d’autres modèles d’un sac qu’il possède déjà. Nous n’en sommes encore qu’en phase de test mais nous constatons que l’absence de métal dans la maroquinerie facilite la communication par fréquences radio, et cela peut offrir un réel avantage au consommateur. Cette technologie peut s’appliquer à différents niveaux, des processus de fabrication à l’authentification, en passant par les garanties et les mises à jour.

Le niveau actuel d’intégration verticale des montres Bulgari vous satisfait-il ?
Le projet principal s’est terminé l’année passée avec la mise en commun de tous nos savoir-faire (développement, production de composants et assemblage) au Sentier. Avec notre fabrique de boitiers à Saignelégier et notre manufacture de cadrans à La Chaux-de-Fonds, nous disposons désormais de trois grandes bases de production, en plus de notre centre d’assemblage de Neuchâtel.
En termes de capacité de production, cette infrastructure répond parfaitement à nos besoins, car à quelques exceptions près, tous nos mouvements 3-aiguilles sont produits en interne. En revanche, nous achetons les mouvements à quartz de nos modèles féminins, ainsi que les petits mouvements mécaniques. Environ 75% des boîtiers et cadrans sont produits en interne. Nous souhaitons garder la part de 25% que nous sous-traitons, afin de conserver une certaine flexibilité mais aussi pour stimuler notre créativité en interne.

Quelles sont vos perspectives pour 2016 ?
Ma boule de cristal ne me révèle pas grand-chose aujourd’hui ; l’année vient à peine de commencer et les statistiques pour janvier 2016 n’ont même pas encore été publiées. Mais je ne m’attends pas à de grands changements, ce qui n’est pas nécessairement une mauvaise nouvelle. Ces dernières années, les exportations sont restées à leurs plus hauts niveaux historiques. La croissance a atteint près de 2% en 2013 et 2014, et environ -3% en 2015. Que les chiffres de cette année soient de +2% ou de -2%, le marché restera quand même énorme. Certes, il est peut-être moins dynamique que les années précédentes, mais les marques qui créent des produits attrayants et ont le marketing qui va avec, peuvent compter gagner des plus grandes parts d’un marché qui reste fragmenté.  
Pour Bulgari, cela signifie continuer de développer nos collections Lvcea et Octo. Vous avez déjà pu en constater les premiers signes au début de l’année, et vous en verrez d’autres à Baselworld. Avec la Serpenti, ces trois lignes sont les piliers de notre collection et elles ont encore beaucoup de potentiel. Lvcea et Octo, qui ont moins de six ans, sont des collections encore relativement jeunes, mais qui ont fait figure d’exemple depuis leur lancement et généré une forte demande. Si on compare avec des modèles iconiques vieux de 30 ou 40 ans, on voir bien le potentiel qu’il y a à développer ces collections.

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